Gauche mythique et gauche réelle
Comment ne pas céder au désespoir face aux faux débats qui agitent une gauche dont le rôle irremplaçable rend la bonne santé indispensable ?
Un dernier exemple nous est donné par le numéro du "1" du 20-11-24 intitulé "La gauche fait-elle fausse route ?"
En effet, celui-ci est centré sur l'opposition, décidément à la mode, entre "gauche sociale" et "gauche sociétale". Une opposition illusoire et qui renvoie à la marge ce qui est pour moi l'enjeu central : l'enjeu écologique.
"Gauche sociale" contre "gauche sociétale" : une opposition basée sur un mythe.
Ce mythe, quel est-il ? Il nous est très clairement formulé par Gérard Noiriel, l'un des contributeurs : "Aux temps heureux de la gauche, du Front populaire à 1968, les forces d'émancipation étaient porteuses d'un projet culturel."
Ainsi, à le croire, l'âge d'or de la gauche se situerait dans cet intervalle de temps 1936-1968 où la gauche aurait été porteuse d'un projet culturel...
Il ne devrait échapper à personne que cela correspond quasi-strictement à l'époque où le Parti Communiste Français était "le premier parti de France"...et le plus stalinien d'Europe de l'Ouest !
Donc, je m'interroge : de quel projet culturel était-il porteur ? Aurait-il échappé à Gérard Noiriel (qui fut militant de ce parti dans les années 1970) que 1968 marqua une rupture majeure dans l'hégémonie de ce parti à gauche ?
Si l'on élargit la perspective, la gauche dans son ensemble fut, durant ces années-là, profondément divisée sur différents sujets majeurs et en crise permanente.
En réalité, le "projet culturel" auquel Noiriel fait référence est celui de la démocratisation du consumérisme qui a alimenté la croissance du PIB des "trente glorieuses" (1945-1975) selon l'économiste libéral Jean Fourastié.
Faut-il souligner que ce sont ces "trente glorieuses"-là qui ont donné l'impulsion à la destruction accélérée du climat et de la biodiversité à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés ?
On ne peut séparer les progrès sociaux accomplis durant ces années de cette croissance économique écologiquement irresponsable.
Et donc, son appel à "remettre l'accent sur l'économique et le social" (titre de sa contribution) fait l'impasse sur le débat à avoir concernant la définition d'une économie post-croissance et d'un mode de vie basé sur la sobriété énergétique.
C'est la raison pour laquelle la désignation de l'épouvantail du "sociétal" (tout ce qui concerne en gros les droits des minorités) auquel la gauche aurait accordé la priorité constitue un leurre dangereux.
Gauche réelle contre gauche mythique
Il convient au contraire de s'appuyer sur la gauche réelle d'aujourd'hui pour lui donner le "projet culturel" dont elle a besoin.
Cette gauche réelle est la gauche qui lutte contre les atteintes aux droits universels et contre la destruction du climat et du vivant.
On la trouve dans les mobilisations pour les droits des exilé-es, pour ceux des femmes (une minorité ?) et des autres personnes discriminées. On la trouve dans les luttes contre les projets d'aménagements climaticides et écocides. Ces luttes sont porteuses du projet culturel d'une société émancipée de la croissance à tout prix, de la concurrence effrénée, et des oppressions séculaires.
Pour cela, il faut s'émanciper du mythe d'un âge d'or de la gauche constitué autour du "rôle historique de la classe ouvrière" et de la "lutte des classes moteur de l'Histoire". Le vrai moteur de l'Histoire, c'est la lutte universelle contre toutes les oppressions.