Frédéric PAULIN Nul ennemi comme un frère
La guerre civile au Liban : prélude d'une descente aux enfers.
Après la "trilogie Benlazar" sur l'émergence du terrorisme djihadiste en Occident, Frédéric PAULIN entame une nouvelle trilogie centrée sur la guerre civile libanaise (1975-1990), dont voici le tome 1 qui porte sur la période 1975-1983.
Cette parution vient à point nommé avec le nouvel épisode de la guerre lancée par Nétanyahou au Liban pour éliminer le Hezbollah ("Parti de Dieu"), dont la naissance apparaît dans ce tome 1 comme la conjonction de la prise du pouvoir en Iran par Khomeini et de l'invasion israélienne du Liban, en 1982, pour (déjà) éliminer l'OLP et Yasser ARAFAT. Car le Hezbollah est né d'une scission du parti confessionnel des chiites libanais, Amal, vu comme trop conciliant avec les autres acteurs de la guerre civile initiée en 1975 et trop hostile aux Palestiniens.
Il faut revenir en arrière pour essayer de comprendre ces événements. Ce que fait le livre en esquissant ce que fut ce qu'on appelait alors "la Suisse du Moyen-Orient", un Liban où les communautés religieuses, sans vraiment se mélanger, coexistaient en faisant des affaires et en attirant des capitaux de toute la région. Un Liban féodal et patriarcal, ébranlé par l'arrivée de nombreux Palestiniens, et notamment de leurs milices armées, suite au "septembre noir" de 1970 en Jordanie, où le roi avait chassé ces milices armées du pays, après les avoir défaites militairement.
L'alliance de ces milices, notamment les plus "à gauche", FPLP et FDLP, avec la nébuleuse progressiste de la communauté sunnite, notamment dans la jeunesse, mais aussi avec la communauté druze, alliée à la Syrie voisine de Hafez Al-Assad, remettait en cause l'équilibre intercommunautaire négocié en 1958, donnant aux chrétiens maronites la présidence de la République. L'essor démographique de la communauté chiite remet par ailleurs en cause cet équilibre, sur fond d'exode rural alimentant la banlieue sud de Beyrouth.
La France, garant traditionnel du rôle dominant des chrétiens et de l'équilibre intercommunautaire, se voit elle aussi bousculée dans ses habitudes.
C'est dans ce climat de méfiance nouvelle entre communautés qu'éclate en 1975 une guerre civile, rapidement hors de contrôle et manipulée par des acteurs extérieurs de plus en plus présents (Syrie, Iran, Israël, USA, France).
La force du livre est de nous faire toucher du doigt, à travers des personnages divers et emblématiques, le caractère destructeur de la guerre civile et le cynisme des acteurs extérieurs.
Les plus idéalistes sont rapidement broyés par le mimétisme de la violence et par l'insensibilité et le manque d'empathie que son traumatisme génère. Les stratégies politiques des uns et des autres se brisent régulièrement sur cette violence devenue folle et qui s'auto-entretient.
Car ces stratégies oublient régulièrement les motivations de l'un ou l'autre des acteurs, ou en font carrément le déni. C'est le cas en particulier lors des massacres dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila, postérieurs à l'évacuation des milices armées palestiniennes de Beyrouth en 1982, ou des attentats-suicides contre les bases américaine et française de la force multinationale d'interposition en 1983, qui closent ce tome.
Dans ces deux cas, la France de Mitterrand est clairement prise en défaut. Un élément de plus dans l'inventaire de ces années-là, qui confirme les faiblesses du présidentialisme.