Frédéric PAULIN La Fabrique de la terreur

Publié le par Henri LOURDOU

Frédéric PAULIN La Fabrique de la terreur
Frédéric PAULIN

La Fabrique de la terreur

Agullo Noir, janvier 2020, 350 p.


 

Avec ce tome 3, et dernier, de la "trilogie Benlazar", nous passons directement du 11 septembre 2001 à fin 2010. Nous sommes en Tunisie où vont démarrer les "printemps arabes". Parallèlement, en France, nous suivons la journaliste free-lance Vanessa Benlazar, qui constitue l'une des deux protagonistes principales, avec la commissaire de la DGSI (devenue DCRI par fusion avec les RG, par la grâce de Sarkozy), Laureline Fell, compagne de Tedj Benlazar, mis à la retraite d'office après ses révélations intempestives à la presse et qui s'est retiré en Haute-Loire.

Avec Laureline Fell, puis Réic Arnotovic, compagnon de Vanessa, ex-journaliste reconverti en prof d'Histoire-Géo en lycée, nous allons fréquenter les milieux radicalisés de Toulouse et de Lunel, et donc croiser toutes les "vedettes" du nouveau djihad armé, comme Mohamed Merah et d'autres.

Navigant entre la Tunisie, la Libye, la France et la Syrie de Daech, à partir de 2014, nous terminons ce périple le 13 novembre 2015.

L'auteur s'efforce d'éviter les caricatures et les clichés qui grèvent ce sujet, mais il n'y parvient pas toujours.

J'ai été en particulier choqué par la description et les remarques entourant un cours d'Histoire au lycée de Lunel, en 2012.

Le prof, Réif Arnotovic, "énonce le chapitre qu'il va aborder – "La place fondamentale de la chrétienté dans l'Europe médiévale" – (et il) voit immédiatement qu'il y a de l'agitation dans les rangs."

"Les profs d'histoire et géographie l'ont prévenu : dès qu'on aborde la religion catholique, même au Moyen Âge, il y a un risque que certains élèves se sentent attaqués dans leurs croyances. Jusqu'ici il a toujours réussi à désamorcer ces situations. Mais là, il va y avoir droit."

"Le prof dessine au tableau le plan simpliste d'une cathédrale et, lorsqu'il se retourne, Akim, Mickaël et les autres élèves musulmans ont les mains posées sur les oreilles et les yeux fermés.

Réif parvient à maîtriser sa respiration, à endiguer la colère et poursuit son cours. Les vingt-cinq autres élèves n'imitent pas Akim, c'est déjà ça. Quelques garçons continuent de rire, ça va être une bonne histoire à raconter à la récré.

Depuis qu'il est prof, Réif constate qu'il manque un véritable enseignement des religions qui permettrait peut-être d'éviter ce genre de provocations. Il n'est pas le seul à le penser dans la salle des profs : un tel enseignement aurait l'avantage de combler le déficit culturel des gamins en matière de religions, de lutter contre leur ignorance." (pp 143-4)

Cette séquence et la remarque qui la conclue sont particulièrement non-crédibles à mes yeux d'ancien prof d'Histoire-géo en lycée à cette époque.

Il est faux en particulier de dire que l'enseignement des religions est absent des programmes d'Histoire. Même s'il n'est pas toujours assez approfondi par les profs, ils en ont la latitude. Encore faudrait-il qu'ils se forment un peu sur le sujet, ce qui n'est pas souvent le cas. Et qu'ils aient le recul nécessaire pour contextualiser la naissance et le développement de ces religions en mettant en avant le caractère destructeur des guerres qui les ont accompagnées.

Quant à la crispation identitaire de certains élèves, il n'est pas vrai qu'elle soit acceptée aussi facilement qu'on le voit ici. En témoignent les affaires autour du "voile" depuis 1989, et la loi de 2004 sur le port d'insignes religieux à l'école.

Cette idée d'une pénétration sans résistance de l'islamisme à l'école est donc fausse et caricaturale.

 

Heureusement, l'auteur résiste dans l'ensemble à cette tentation de la caricature et de la paranoïa islamophobe.
 

Son histoire se termine d'ailleurs par l'évasion d'une jeune veuve de Daech de Raqqa, avec ses deux jeunes enfants, avec l'aide de Vanessa Benlazar.

Sur son chemin, entre Kobané et la frontière turque, elle rencontre un vieillard, originaire de Mossoul, qui donne une forme de morale et de conclusion à tout cela.

"- T'aider ? Mais qui pourra t'aider maintenant ? Qui aidera les Irakiens ? Les Syriens ? Même les Kurdes, bientôt, personne ne les aidera plus. Tu n'as pas compris : les Américains et leurs alliés, ils ne veulent plus aider personne, ils ont peur. Ils ont peur comme jamais, ils croient que nous les pauvres, tous les pauvres du monde entier, on veut venir chez eux les tuer.

(...)

    • Ils aideront mes enfants au moins.

    • Tu ne comprends donc pas ? Crie le vieil homme. C'est fichu. Même les enfants ils ne les aident pas." (p 343)

Comme le montre cet article ci-joint du "Monde" du 8-10-24, il reste encore 120 enfants français, fils de djihadistes, comme ceux de Maram, détenus dans le Nord de la Syrie... Et il aura fallu beaucoup d'efforts pour en extraire 364 autres de cet enfer et de l'embrigadement qui l'accompagne.

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