L'augustinisme n'est pas un humanisme
La découverte du roman de Claude PUJADE-RENAUD grâce à Anne-Yes (qui chronique systématiquement tous les écrivains qui disparaissent -Claude P-R est morte le 18-5-24) m'a remis en tête deux ouvrages de ma bibliothèque concernant le second personnage principal de son livre : Saint Augustin.
Un personnage de roman
Car PUJADE-RENAUD met en scène et fait parler à la première personne celle qui fut la concubine d'Augustin entre 17 et 31 ans -ils avaient le même âge- et lui a donné un fils à 18 ans.
On sait qu'à cette époque Augustin se réclamait du manichéisme, une des nombreuses sectes religieuses de l'époque, dans l'Empire romain finissant (nous sommes entre 354 et 430). Et qu'il commence une carrière de rhéteur (orateur professionnel) qui le conduit à Milan, siège de la cour impériale, avec une perspective de forte ascension sociale. Un projet matrimonial (suscité semble-t-il par sa mère) l'amène à rompre avec sa concubine, Elissa, à l'initiative, nous dit le roman, de cette dernière, ce qui l'amène à prendre une seconde concubine en attendant ce riche mariage avec une fille qui n'est encore qu'une enfant de dix ans.
Mais sa conversion subite au catholicisme met fin à ce projet : en se faisant baptiser, Augustin renonce définitivement à la chair. Il va néanmoins faire une carrière ecclésiastique brillante et devenir évêque d'Hippone (aujourd'hui Annaba en Algérie), non loin de son lieu de naissance (Thagaste) et le rester jusqu'à s amort en 430 en devenant l'intellectuel de référence d'une Église catholique en pleine ascension.
Le roman se lit aisément et agréablement : il suit la carrière d'Augustin à travers le regard de son ex-concubine, revenue à Carthage, où ils se sont connus, auprès de sa soeur et son beau-frère, artisan potier.
Il n'entre pas dans le détail de sa pensée et s'appuie essentiellement sur ses fameuses "Confessions", première autobiographie connue où un individu livre ses pensées intimes.
On n'en perçoit pas moins son rigorisme intraitable, qui n'hésite pas à s'allier au pouvoir impérial pour réduire les hérésies et imposer sa façon de penser.
Un saint intellectuel
Changement de registre et de point de vue avec Lucien JERPHAGNON, professeur de philosophie spécialiste de la philosophie grecque et romaine, et, à l'évidence, catholique convaincu.
Sa biographie en 100 pages d'Augustin est tout intellectuelle. Tout est dit dans le sous-titre : "Pédagogue de Dieu". JERPHAGNON privilégie le rôle de passeur d'Augustin entre la philosophie platonicienne et le christianisme.
Sa vision très pessimiste du monde et de l'homme est ainsi édulcorée. Il relativise très fortement l'importance et la portée de ses polémiques contre les partisans du libre arbitre, auxquels il oppose la prépondérance absolue de la grâce divine qui seule peut compenser le "péché d'Adam qui a détérioré à jamais la nature humaine" (p 77).
Un précurseur de l'antihumanisme théorique
Or c'est l'angle exactement inverse qu'adopte Gérard MENDEL (que je ne présente plus) dans les pages qu'il consacre à "Saint Augustin, créateur de l'homme moderne" (ch 16 et pp 239-285) .
S'appuyant bien davantage que JERPHAGNON sur la biographie, donc les actes autant que les écrits, sur la psychanalyse (à laquelle les "Confessions" offrent un riche matériau), et sur le contexte historique de sa vie et de sa postérité intellectuelle, il met clairement en évidence la régression civilisationnelle sont il fut un des agents.
Car cet "homme moderne" , héritier des conceptions augustiniennes, reprises par Luther, les jansénistes, et que l'on retrouve chez Althusser défendant son "antihumanisme théorique" dans sa fameuse "Réponse à John Lewis" (1972) fait du déterminisme absolu par un agent transcendant (Dieu et sa grâce, l'Histoire et la lutte des classes) son justificatif de tous les renoncements à une liberté effective d'action.
Cette querelle du libre arbitre, menée par Augustin contre Pélage puis Julien d'Eclanes, et gagnée grâce à l'appui de l'autorité impériale, n'est donc pas de petite importance.
Elle fonde la notion éthique de responsabilité historique , et la perspective d'un changement agi par le sujet dans le cadre d'un acte volontaire, sous contraintes diverses à bien sûr prendre en compte, mais possible et ouvert.
C'est en ce sens que "l'acte est une aventure".
Le mot de la fin, pour moi, est celui de MENDEL : "Ne rechignons pas devant le risque de vivre humainement". (p 560)
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