Rabih ALAMEDDINE La réfugiée
Dans ce roman ambitieux, d’ailleurs pas présenté par l’éditeur comme roman, il n’est pas seulement question de « la réfugiée » qui donne son titre français au livre.
Bien sûr, celle-ci, une jeune mère de famille syrienne inébranlablement déterminée à permettre à son mari et ses filles d’avoir un avenir enfin digne et libre, est une figure inoubliable.
Mais il est aussi question ici des ressorts de l’empathie et de leur mise ou non en action, à travers les identités et les parcours de ceux-celles qui les font ou non jouer, et des circonstances qui les mettent ou non en mouvement.
Roman ambitieux en ce qu’il voudrait nous amener à nous interroger, nous lecteurs occidentaux « normaux », sur ce qui constitue notre humanité et sur notre regard sur les déviants à cette norme. Je n’en dirai pas plus, sinon que je vous invite à vous plonger dans cette expérience de lecture sur des événements fictifs, mais fortement documentés, qui se sont déroulés en 2016, et qui continuent à se dérouler à nos portes, sur l’île grecque de Lesbos, non loin de la Turquie. Il y est au passage question d’un certain Alan Kurdi (pp 352-4) si ce nom vous dit encore quelque chose…
La lecture de ce livre dans les circonstances présentes (entre le 24 et le 31 octobre 2023) m’a inspiré aussi les considérations suivantes.
Les facteurs de désespoir s’accumulent de façon tellement évidente qu’il devient chaque jour plus difficile d’identifier les raisons d’espérer. D’autant que ces facteurs se conjuguent à une montée de la confusion proportionnelle aux masses d’information en circulation de plus en plus rapide et décontextualisée, sous forme, de plus en plus souvent, d’injonctions ou de slogans.
Comment donc s’y retrouver ? Comment encore trouver, avec des raisons d’espérer, les moyens, les buts et la force d’agir ?
Le sage d’aujourd’hui serait-il condamné à l’abstention face à de telles incertitudes que la probabilité d’une action à la fois juste et efficace semble quasi-impossible à cerner ?
Facteurs de désespoir :
-L’absence de réaction à la hauteur du changement climatique en cours
-La montée des nationalismes agressifs et du climatoscepticisme sur fond de fake news galopantes
-Les conflits armés générés par certains de ces nationalismes
-La fermeture des frontières aux migrations produites par le changement climatique, les conflits mais aussi les dictatures, la corruption et le conservatisme social
-L’incapacité de la gauche et des écologistes à se rassembler et à produire un projet crédible et enthousiasmant.
Raisons d’espérer :
-La prise de conscience écologique croissante dans la population spécialement dans la jeunesse
-Le maintien d’un cadre mondial fondé sur les droits humains : ONU et ses textes de références et traités
-La présence maintenue d’ONG et d’associations favorables à l’accueil des exilé·es
-L’aspiration des électeurs-trices de gauche et écologistes au rassemblement.
Actions justes et efficaces ?
C’est ici que cela coince. Et donc je m’appuie sur le roman que je suis en train de lire. Nous sommes sur l’île de Lesbos en 2016, connue aujourd’hui pour son camp de réfugiés de la Moria… L’auteur se met subtilement en scène par la voix de sa narratrice qui s’adresse à lui comme à un autre personnage. Elle le cite à propos de ses interventions au Liban en 2013. Libanais installé aux USA, il est venu pour recueillir des témoignages de réfugiés syriens. Elle donne des éléments de contexte : le Liban, quatre millions d’habitants, est alors devenu le pays au monde comptant proportionnellement le plus de réfugiés, avec un million et demi de Syriens ayant fui leur pays. Il aurait alors dit à la radio qu’il ne pouvait rien pour améliorer la situation, qu’il se sentait impuissant, mais qu’il estimait que ne rien faire serait un crime (p 123).
C’est à peu près ma présente disposition d’esprit. Aussi, comme lui, je me contente d’écrire, car « ne rien faire serait un crime ».
Cela au moins est possible. Quant à l’efficacité, il faudra, pour l’instant au moins, s’en passer...