Galia ACKERMANN Le Régiment Immortel ou la guerre sacrée de Poutine

Galia ACKERMAN

Le Régiment Immortel

ou la guerre sacrée de Poutine

Premier Parallèle, 2019, réédition poche août 2023, avec une postface inédite, 290 p.

Voici un livre prémonitoire, écrit par une journaliste et historienne d’origine russe (elle a émigré en France en 1985), qui s’ajoute au lourd dossier concernant la nature du régime au pouvoir en Russie et son évolution récente.

Son intérêt est qu’il situe cette évolution dans l’Histoire longue de la Russie en dégageant la place qu’y occupe le messianisme religieux. Celui-ci fonde un nationalisme apocalyptique, qui fait penser à bien des égards aux idéologies fasciste et nazie. Cette idée d’un peuple élu confronté à un environnement hostile peuplé d’ennemis imaginaires est d’autant plus inquiétante qu’elle se marie aujourd’hui à une puissance militaire bien réelle aux capacités de destruction inégalées.

Et le comble est la place que prend depuis une quinzaine d’années l’embrigadement militariste des enfants dans ce récit agressif et paranoïaque.

Tout cela est très concrètement décrit par Galia ACKERMAN en puisant directement à la source : un récit prenant et glaçant.

Comme elle le concluait dès 2019, « cet embrigadement des enfants est peut-être le plus grand crime du régime poutinien envers son propre peuple » (p 268).

Et, ajoute-t-elle en 2023 : « Ce qu’il faut retenir de cette sombre histoire, c’est que la liberté ne nous est jamais donnée sur un plateau d’argent. Il faut se battre pour elle, nul ne doit oublier cette leçon. » (p 278)

Nous sommes tous concernés par ce combat, les Russes au premier chef (car c’est à eux qu’elle s’adresse ainsi). Par opposition, les Ukrainiens le mènent avec courage. ACKERMAN aborde avec précision toutes les ombres et lumières de l’indépendantisme ukrainien et de son histoire tourmentée. Elle en arrive à cette conclusion : les Ukrainiens méritent notre soutien.

Car il faut aussi souligner au passage l’instrumentalisation éhontée par le régime de Poutine du langage antifasciste et antinazi au mépris de toute vérité. Cette manipulation comme d’autres est le fruit du travail de ceux qui se présentent eux-mêmes comme des « technologues politiques ».

La perversion du langage est aujourd’hui comme hier l’une des armes préférées du fascisme conquérant, qui aujourd’hui nous menace partout.

Post Scriptum 10-11-23 :

Je retombe sur ce compte-rendu de lecture du "Monde" du 19-10. Il montre bien le problème générationnel qui n'est pas entièrement évoqué par Galia ACKERMAN et qui ouvre un espace d'espérance. La génération actuelle des 25-35 ans a eu le temps de vivre autre chose que le soviétisme finissant et le néo-nationalisme autoritaire : et c'est elle qui aujourd'hui résiste, à bas bruit en raison de la répression, à la guerre d'agression poutinienne. Il nous reste donc à espérer qu'elle parviendra à hâter l'effondrement du régime avant que les générations plus jeunes n'aient été formatées par le nouveau dressage nationaliste.

Post-Scriptum 2 : 15-11-23

Cet article du correspondant du Monde en Russie nous met en alerte sur un autre aspect déstabilisant de la guerre pour la société russe : l'enrôlement et le retour à la vie civile de criminels violents, spécialement d'auteurs de féminicides. Cela va s'ajouter aux "simples" traumatisés de guerre, dont Ana Politkovskaïa avait déjà noté, à propos du retour des anciens combattants de Tchétchénie, qu'ils ramenaient avec eux un surcroît de violence...