Petit précis de navigation politique par temps perturbé

Publié le par Henri LOURDOU

Petit précis de navigation politique par temps perturbé
Petit précis de navigation politique
par temps perturbé.

 

La mort récente de Jacques JULLIARD, les tiraillements de la Nupes, la récente affaire Médine, l'essor apparemment sans résistance de l'extrême-droite, le plaidoyer unitaire forcé que je lis dans l'hebdomadaire "Politis", autant de faits qui me poussent à cette mise au point.

 

Jacques JULLIARD et la géographie de la Gauche

 

Il faut que je commence par rendre l'hommage qu'il mérite à cette figure de ce que l'on appelait jadis la "deuxième gauche". Compagnon de route de la CFDT d'Edmond Maire, puis du rocardisme en pleine ascension dans les années 70-80, Jacques Julliard fut aussi un grand éditeur, à travers la collection de poche "Politique" qu'il dirigea au Seuil dans les années 60-70.

Nous lui devons des livres importants qui ont fortement marqué le débat politique et idéologique de ces années-là. Fouillant ma bibliothèque, j'ai donc retrouvé, entre autres : "Les paysans dans la lutte des classes" de Bernard LAMBERT (1970), texte fondateur du courant syndical des "Paysans-Travailleurs" à l'origine de l'actuelle Confédération paysanne; "Le métier de militant"(1973) de Daniel MOTHÉ, militant syndical ouvrier devenu sociologue, qui a fortement marqué ma conception du militantisme; "L'âge de l'autogestion" (1976) de Pierre ROSANVALLON, alors l'un des théoriciens de la deuxième gauche, avec Patrick VIVERET, avec lequel il a écrit en 1977 "Contre la politique professionnelle", pamphlet prémonitoire de la dégénérescence du nouveau PS.

Ces trois ouvrages à eux seuls justifient son travail à mes yeux.

Devenu par la suite éditorialiste au Nouvel Obs, JULLIARD a peu à peu dérivé vers le courant néo-réactionnaire, comme d'autres à gauche.

Cependant, il était aussi historien, et c'est à ce titre qu'il écrivit l'impressionnante somme que constitue "Les Gauches françaises (1762-2012 Histoire, politique et imaginaire" (Flammarion, septembre 2012, 944 p.) . Il prétendait y dégager les 4 familles qui constituent les gauches en France : gauche libérale, gauche jacobine, gauche collectiviste et gauche libertaire.

Cette typologie, trop franco-française, essentialiste, et datée, me semble éminemment critiquable.

Je pense, au contraire de sa vision franco-centrée et essentialiste, qu'il faut penser les divisions (réelles) de la gauche à travers des contradictions et des polarités mouvantes et évolutives que je décrirais ainsi à l'heure actuelle.

En face d'un pôle constitué par l'union contradictoire du mondialisme et du droitdelhommisme, et dans lequel on peut placer le PS et les écologistes, on peut reconnaître me semble-t-il, un second pôle structuré par l'union contradictoire de l'internationalisme et du souverainisme, dans lequel on retrouve le PCF et LFI.

J'explicite rapidement.

Dans le pôle mondialiste/droitdelhommiste la vision des enjeux politiques se situe d'emblée au niveau mondial, avec une propension à privilégier la recherche de solutions politiques basées sur le fédéralisme et les délégations de souveraineté pour privilégier des formes mondiales de régulation, pouvant passer par l'échelon fédéral européen. Dans le même temps cette recherche est plombée et orientée par la défense et la promotion des droits humains, que certains (les écologistes) étendent aux droits du vivant. Mais ces derniers peuvent être sacrifiés par certains au nom de la recherche de régulations mondiales effectives et immédiates.

Dans le pôle internationaliste/souverainiste, la recherche des solutions politiques est basée sur celle des solidarité entre entités politiques souveraines qui ne se conçoivent qu'au niveau national. Le fédéralisme et les délégations de souveraineté ne sont envisagées qu'avec une extrême méfiance qui peut aller jusqu'au refus absolu. Il en découle chez certains une tendance, qui peut devenir problématique, au repli national, sacrifiant ainsi l'internationalisme au nom de la souveraineté.

 

Ces contradictions et polarités ne doivent pourtant pas occulter le formidable vecteur de convergence que constitue la recherche de l'égalité, qui me semble, davantage que la justice et le progrès diagnostiqués par JULLIARD, le facteur principal de l'identité de gauche. Je reprends cette idée du travail remarquable effectué par Shlomo SAND sur la gauche mondiale.

 

Déboires et avenir de la Nupés

 

Il ne manque pas de monde ces temps-ci pour se pencher, avec plus ou moins de bienveillance et d'arrière-pensées, sur le cercueil supposé de la Nupés. Certains pour déplorer, et j'y reviendrai à propos des appels appuyés de "Politis" à une liste unique pour les européennes de juin prochain, la rupture de l'union; d'autres, au contraire, pour s'en féliciter, en raison du poids jugé trop excessif des "extrémistes" au sein de cette union; d'autres enfin, pour s'en exonérer afin de préparer la prochaine présidentielle, objet de toutes leurs obsessions.

Je considère quant à moi qu'il faut être à l'écoute des électeurs-trices qui aspirent à un cadre unitaire d'un côté, mais qu'il ne convient pas de transformer tout désaccord tactique en événement à dramatiser.

De ce double point de vue, ma réponse est qu'il faut localement préserver le cadre unitaire que représente la Nupés, réunissant la plupart des partis de gauche et écologistes autour d'un programme qu'il ne faut pas pour autant sacraliser. On sait bien que l'accord conclu en mai 2022 en quelques jours représente davantage une concession au rapport de forces créé par le 1er tour de la présidentielle qu'une convergence de fond sur tous les sujets. Si les sujets inconciliables ont été explicitement cernés et mis à part dans l'accord, ils ne constituent pas tous les points de désaccords entre partis.

D'où l'importance de travailler davantage nos convergences localement sur des bases d'actions unitaires afin de dépasser les méfiances réciproques et les malentendus. Cela devrait pouvoir permettre ensuite plus sereinement de débattre des désaccords afin de mieux les cerner dans l'optique d'avancer au maximum dans les convergences possibles. Le corollaire étant le refus des polémiques, notamment dans le cadre de campagnes électorales séparées comme en ce moment sur les sénatoriales, et prochainement pour les européennes.

Tout cela constituant à mes yeux la meilleure façon de préparer les conditions d'une candidature unique pour les présidentielles 2027 et d'un accord unitaire pour les législatives qui suivront. Il est bien évident que les autres élections intermédiaires (municipales 2026) constitueront un test décisif de notre capacité à nous rassembler et à entraîner avec nous un maximum de citoyen·nes.

 

Enjeux de clarification : la question du racisme et du rapport à l'extrême-droite

 

Ce que les médias ont appelé l'affaire Médine, et qui a largement parasité le compte-rendu des Journées d'été des écologistes des 24-26 août au Havre, a été le révélateur d'un retour de l'antisémitisme qu'il convient d'analyser. De ce point de vue, les excuses de Médine pour son tweet controversé qualifié par lui de "maladresse", ont été un peu trop vite acceptées, voire apparemment acclamées, si j'en crois le compte-rendu de la presse sur l'accueil qu'il a reçu lors de "L'explication de texte" programmée le jeudi 24 août de 18h45 à 19h30 entre lui et Marine Tondelier. L'une des plus de trente initiatives de cette journée, à laquelle, bien que présent, je n'ai pas participé, comme la grande majorité des 2000 participant·es à ces JDE...

En effet ce tweet en forme de mauvais jeu de mots (il avait traité la polémiste Rachel Khan, qui l'avait insulté sur ce même canal défoulatoire, de "res-khan-pée") est révélateur d'un antisémitisme qui se répand de plus en plus dans les milieux islamistes et dans le monde arabe. En témoigne par exemple une brève récente dans l'hebdomadaire "Politis" concernant une déclaration publique du chef de l'Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas (n°1775 du 14-9, p 11).

Il faut y ajouter la montée de l'antisémitisme dans les milieux complotistes, spécialement antivax, pas toujours directement liés à l'extrême-droite.

Aussi la tribune récente de Gérard Miller, proche on le sait de LFI, dans le "Monde" du 12-9, mettant en cause la fracture qui s'est creusée entre "deux judéités", depuis que Zemmour et Le Pen ont réussi à se créer un électorat juif, est-elle un peu courte. Elle s'est d'ailleurs attirée deux répliques cinglantes mettant en cause une fracture symétrique qui partage la gauche en deux sur l'antisémitisme (Emmanuel Debono et Gérard Bensussan dans le "Monde" du 15-9).

On a presque envie de renvoyer ces duellistes dos à dos tant la confusion qu'ils sèment est épaisse.

Aussi, tâchons de clarifier si possible les choses.

D'un côté, c'est un fait établi qu'une partie de l'électorat juif s'est porté à l'extrême-droite, et d'abord, il faut le souligner, en Israël, où le phénomène est à la fois plus précoce et plus massif qu'en France. Si le phénomène s'est ensuite diffusé en France, c'est moins par l'habileté de Zemmour et Le Pen que par solidarité inconditionnelle et a-critique avec le gouvernement israélien d'une part (Israël étant considéré comme le seul rempart contre la montée de l'antisémitisme en Europe et dans le monde), et du fait de la montée de l'antisémitisme en France d'autre part. Que cette montée de l'antisémitisme soit concomitante à celle de l'islamophobie (je reprends ce terme, même s'il est instrumentalisé par les islamistes car il n'est pas réductible à l'usage qu'ils en font) n'est pas assez analysé et perçu. D'où l'importance des analyses historiques de Reza Zia-Ebrahimi dont j'ai rendu compte ici.

Il y a donc nécessité à gauche d'une vigilance accrue à ce sujet : minorer l'importance de l'antisémitisme est une erreur politique majeure, et l'on ne saurait entrer dans un discours de concurrence victimaire qui a malheureusement cours dans certains milieux de gauche. Le racisme est un tout et nous n'avons pas à choisir entre ses victimes.

 

Cela pose plus largement la question du rapport, pas toujours bien maîtrisé, à l'extrême-droite.

Composer avec son logiciel nationaliste pour récupérer certains de ses électeurs est également une erreur politique majeure. Comme de composer avec ses attaques contre certaines minorités opprimées : on en a vu la tentation, heureusement repoussée, chez un François Ruffin, concédant à la radio que la défense des droits des personnes LGBT n'était pas sa priorité, puis admettant qu'il avait "dit une connerie".

Nous devons rester intraitables sur la question de l'égalité des droits, socle fondamental de l'identité de gauche. Et en tirer toutes les conséquences, notamment en matière migratoire.

Ce n'est qu'en restant elle-même que la gauche pourra reconquérir ses électeurs perdus, pas en courant derrière la démagogie d'extrême-droite. Mais il faut pour cela reconquérir une forme de crédibilité.

 

Quand l'unitarisme nuit à la construction de l'unité

 

Dans la crédibilité à reconquérir, la capacité à se rassembler entre pour une large part. Aussi faut-il être très attentifs aux conditions du rassemblement.

Dans la façon alarmiste dont "Politis" milite actuellement pour une liste unique de la Nupés aux Européennes; je discerne quant à moi un double danger sur lequel je voudrais attirer l'attention.

Le premier danger est de faire miroiter une perspective qui ne se réalisera pas, et donc créera davantage de ressentiment et de démobilisation que d'enthousiasme et de mobilisation. Que les mouvements de jeunesse (en fait leurs directions nationales) de 4 partis de la Nupés aient trouvé la convergence programmatique qui le permettrait est une chose. Sur le papier tout est possible. On pourrait objecter que ces 4 partis (EELV, Génération.s, LFI et le PS) ne sont pas toute la Nupés (le PCF manque à l'appel). Mais l'objection principale est que les listes Europe Ecologie Les Verts, LFI, PS et PCF sont en voie de finalisation, que les programmes qu'elles portent sont, pour certains comme EELV notamment, définis au niveau européen avec d'autres partis du même bord, et que donc la perspective de la liste unique en France est illusoire. Pourquoi donc s'obstiner , contre toute évidence , à la porter et qui plus est en menaçant d'une catastrophe électorale si elle ne se réalise pas ? Ne serions-nous pas là dans le domaine de la prophétie auto-réalisatrice ? Jeu dangereux me semble-t-il.

Mais il y a un second danger, qui me semble à la fois plus insidieux et plus profond. C'est celui de réveiller un mal français chronique qui est le poujadisme anti-partis. Si l'union de nos rêves ne se réalise pas, c'est la faute aux partis, il faut donc s'en passer. Et donc recourir au remède-miracle de l'action directe. Là aussi, au risque de passer pour le fâcheux grand-père donneur de leçons, je souhaite mettre en garde contre cette illusion, portée notamment par nos amis anarchistes, que l'action directe suffirait à tout régler.

 

Face à ces deux dangers, comme déjà évoqué plus haut, il faut construire patiemment les conditions de l'unité à la base et dans l'action : les occasions ne manquent pas de le faire, dans des combats identifiants permettant de pointer clairement les enjeux auxquels devrait répondre un gouvernement de la gauche et des écologistes .

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