Histoire et vigilance démocratique

Publié le par Henri LOURDOU

Histoire et vigilance démocratique
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Histoire et vigilance démocratique

La politique d'exception s'oppose-t-elle à la politique d'exclusion, ou la prépare-t-elle ?

 

Le dernier numéro de l'hebdomadaire "Politis" (25 mai 23) pose la question par une "une" provocante (ci-dessus) mais surtout par un dossier fouillé (pp 12 à 16) mettant en avant la "lutte par le droit" pour défendre les libertés fondamentales dans la France d'aujourd'hui.

Un rappel historique bienvenu nous est fourni par la synthèse récente (septembre 2020) de Claude LAHARIE sur les camps d'internement français de 1939 à 1945, largement appuyé sur l'ouvrage de référence de Denis PESCHANSKI, qui en signe la préface.

Le livre est clair et bien informé.

Il rappelle la périodisation en 4 phases que l'on peut opérer sur cette histoire :

-de janvier 1939 (ouverture du premier camp à Rieucros, Lozère) à mai 1940

-de mai à juillet 1940

-du 10 juillet 1940 au 25 août 1944

-d'août 1940 à décembre 1945. (pp 17-21)

On voit déjà ainsi que cette histoire dépasse le régime de Vichy qui en constitue la 3e période.

Cette périodisation est ainsi problématisée : les deux premières phases relèvent du "temps de l'exception" et correspondent aux trente derniers mois de la 3e République. "C'est en raison de circonstances exceptionnelles, l'arrivée massive des réfugiés républicains espagnols à la frontière pyrénéenne, que sont promulgués les grands décrets répressifs de 1938 : d'abord celui du 2 mai sur "la surveillance et le contrôle des étrangers", puis celui du 12 novembre 1938 (...) sur les "indésirables astreints à résider dans les centres (d'internement administratif)." Ces premiers textes sont présentés par Albert Sarraut, ministre de l'Intérieur (radical de gauche), comme imposés par les événements, et donc momentanés." (p 21)

Quant à la troisième phase, "Avec l'instauration du régime de Vichy débute le temps de l'exclusion (...) Tous ces parias sont destinés à être tenus à l'écart de la France et de sa "Révolution nationale", c'est-à-dire à être enfermés dans des camps soigneusement gardés (...) Les camps d'internement apparaissent donc comme un élément fondamental des nouvelles institutions." (p 22)

La quatrième phase constitue, elle aussi une période d'exception : celle du retour progressif à la légalité républicaine.

 

Revenant plus loin sur cette problématique, Claude LAHARIE pose la question : concernant la 1e "période d'exception", s'agit-il "comme on le dit parfois d'un "Vichy avant Vichy " ?

Et il répond , d'une façon catégorique et définitive qui me semble suspecte : "Certainement pas, car une différence fondamentale sépare la politique d'exception proclamée comme telle par tous les gouvernements de la 3e République finissante, de la politique d'exclusion menée par Vichy. Dans la seconde, le camp est placé au coeur du projet politique et idéologique, ce qui n'est pas le cas de la première." (p 87)

 

L'argument me semble bien court. D'autant qu'il concède aussitôt : "Pourtant, les victimes de l'internement l'ont rarement vécu ainsi, constatant seulement que l'administration en place était restée la même et que les baraques dans lesquelles ils étaient enfermés n'avaient changé ni de place ni de fonctions." (ibid.)

Plus loin, il s'étonne que le terme d"'indésirable" "utilisé pour la première fois par le ministre de l'Intérieur Albert Sarraut dans la circulaire qu'il adresse aux préfets le 14 avril 1938, au sujet des "étrangers indésirables" (...) curieusement (...) n'est plus employé aujourd'hui que pour ceux de l'été 1940." (p 89)

Il s'étonnerait moins s'il avait pris en compte l'état de l'opinion dans ces années 1938-39. Un témoin et acteur de l'époque, Arthur Koestler, interné au camp du Vernet, nous rappelle ce fait, par la suite soigneusement refoulé de la mémoire collective, avec l'absolution tacite de certains historiens : la montée d'une xénophobie délirante, suivie et encouragée par le gouvernement.

Fait confirmé par l'historien Pierre Laborie dans son ouvrage "Les Français des années troubles" (Points-Histoire n°332, 2003, p 115).

 

 

Pour moi , l'affaire est entendue : la moindre concession à la xénophobie prépare le terrain aux renoncements ultérieurs, le moindre abandon de l'Etat de droit pour des raisons exceptionnelles comporte le risque mortel de dérives liberticides structurelles.

Opposer, comme le fait Laharie, "l'exception" à l'exclusion" n'a pas de sens.

 

Il s'ensuit que la lutte pour garantir l'intégrité de notre Etat de droit est impérative. Aujourd'hui, plus que jamais, aucune concession ne saurait se justifier.

 

C'est pourquoi le projet de loi Darmanin sur l'asile et l'immigration, tout comme les mesures restrictives sur le droit à manifester, doivent être résolument combattues.

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