Des années 30 à aujourd'hui
Des années 30 à aujourd'hui :
Quelle vérité des rêves d'enfants ?
Lydie SALVAYRE
Pas pleurer
roman, 2014 (Points n°P4143, août 2015, 226 p.)
Georges BERNANOS
Les grands cimetières sous la lune
1938, Le Livre de Poche n°819-820, 1er trimestre 1964, 436 p.)
Je profite d'un week-end chez mon fils pour relire le roman de Lydie SALVAYRE, que j'avais déjà évoqué ici et que je lui avais offert, et d'un passage chez ma belle-mère pour lui emprunter BERNANOS.
Si je mets ces deux livres en parallèle, c'est que Lydie SALVAYRE a construit son roman en alternant le récit de l'été 36 de sa mère et la lecture commentée du livre de BERNANOS;
Ce qui sous-tend ce parti-pris est, me semble-t-il la fidélité commune aux rêves d'enfant, c'est-à-dire à des idéaux infra ou trans-nationaux, car, écrit-elle, "ll me semble que je commence à savoir ce que le mot national porte en lui de malheur. Il me semble que je commence à savoir que, chaque fois qu'il fut brandi par le passé, et quelle que fût la cause défendue (Rassemblement national, Ligue de la nation française, Révolution nationale, Rassemblement national populaire, Parti national-fasciste...) il escorta inéluctablement un enchaînement de violences, en France comme ailleurs. (...) Bernanos se défiait lui aussi de l'usage abusif du mot nation dont ses anciens amis se gargarisaient. "Je ne suis pas national (disait-il) parce que j'aime à savoir exactement ce que je suis, et le mot national, à lui seul, est incapable de me l'apprendre"." (p 76)
J'ai retrouvé ce passage p 370 des "Grands cimetières..."
Mais une fois cela dit, force est, à la lecture directe dudit, de soulever un paradoxe. Car il semble que Lydie SALVAYRE, comme bien d'autres avant elle, passe un peu vite sur l'incohérence ou l'excessive naïveté qui fait écrire successivement à Bernanos : "Qu'importe ma vie ! Je veux seulement qu'elle reste jusqu'au bout fidèle à l'enfant que je fus." (p 104) Puis : "Lorsque, dans ma treizième année, je lisais pour le première fois la France juive, le livre de mon maître, - si sage et si jeune à la fois, d'une jeunesse éternelle, d'une jeunesse religieuse, la seule capable de retentir au coeur des enfants – m'a découvert l'injustice, au sens exact du mot, non pas l'Injustice abstraite des moralistes et des philosophes, mais l'injustice elle-même, toute vivante, avec son regard glacé." (p 106).
Car de quoi et de qui s'agit-il ? Du pamphlet commis par Edouard DRUMONT, qui arma les violences antijuives de l'affaire Dreyfus, avant d'armer les violences ultérieures, prédécesseur et modèle d'Eric ZEMMOUR, qui exerce le même délire complotiste à l'égard des migrants musulmans et subsahariens, en appelant de ses voeux la guerre civile que récuse explicitement BERNANOS.
Cela n'obère en rien cependant le livre de SALVAYRE, car ce qui le domine est bien sûr le récit lumineux d'une expérience d'émancipation : celle de la jeune Montse qui, à quinze ans, suit son frère adoré, José, dans une escapade de huit jours, du 1er au 8 août 1936, dans Barcelone libérée. Et tout le reste de l'histoire tourne autour de ce foyer solaire et chaleureux.
Dans cette découverte de la liberté par une jeune femme que tout destinait à la vie modeste et répétitive d'une condition subalterne ancestrale dans son village perdu d'Aragon, comment ne pas voir l'expérience universelle de toustes ceux ou celles qui ont un jour découvert que leur vie n'était pas limitée au morne horizon de l'obéissance aux habitudes et aux convenances des oppressions établies ?
Cet idéal d'émancipation, qui s'est peu à peu répandu, bien que très inégalement, dans toutes nos sociétés mondialisées est aujourd'hui, comme dans les années 30, où il débutait à peine, particulièrement menacé.
Car à l'Axe mondial des dictatures, aujourd'hui à l'offensive, s'ajoute le backlash néo-réac qui envahit nos démocraties libérales et justifie le recul de l'Etat de droit partout.
Et, comme dans les années 30,il y a deux façons, irréductiblement contradictoires, de s'y opposer.
La façon autoritaire, qui survalorise les valeurs guerrières et nationales, et la façon libertaire et égalitaire qui s'appuie sur tous les mouvements d'émancipation.
Cette seconde façon n'a pas eu, alors, les opérateurs politiques adéquats. Elle doit à présent les trouver, à travers un nouvel internationalisme des droits humains, appuyé sur les institutions et les textes fondateurs de l'ONU, et un nouvel internationalisme des droits de la planète, appuyé sur la mobilisation des scientifiques pour le climat et la biodiversité, bref une alliance politique qui transcende le mouvement écologiste en l'intégrant pleinement.
Aussi, nous pouvons conclure, comme Montse, 90 ans, à sa fille Lidia : "Si tu nous servait une petite anisette, ma chérie. Ça nous renforcerait la morale. On dit le ou la ?
On dit le. Le moral.
Une petite anisette, ma Lidia. Par les temps qui galopent, c'est une précaution qui n'est pas, si j'ose dire, surnuméraire."(p 221)
Alors, santé !