A propos de deux films : Pour la France et Le retour des hirondelles

Publié le par Henri LOURDOU

A propos de deux films : Pour la France et Le retour des hirondelles
Pour la France

film de Rachid HAMI, France, 2023

Le retour des hirondelles

film de LI Ruijun, Chine, 2023.

Deux films sur une domination apparemment acceptée

et une émancipation à bas bruit.

 

Bien que portant sur des sujets et dans des cadres très différents, ces deux films récemment vus me semblent devoir être rapprochés.

Ils portent en effet tous deux sur l'histoire d'une domination apparemment acceptée accompagnée d'une forme d'émancipation à bas bruit.

 

Pour le comprendre, il faut prendre un peu de hauteur par rapport à ce qui nous est raconté, ce que la façon de filmer des deux réalisateurs, toute en finesse, nous aide à accomplir.

 

Pour la France est, superficiellement, l'histoire d'un bizutage qui a mal tourné dans une école militaire française prestigieuse, celle de Saint-Cyr. Ce qui corse l'affaire est que la victime est un jeune Français d'origine algérienne. Et qu'il s'agit quasiment d'une histoire autobiographique comme le rappelle le début de cet article d'Ouest France de 2020 :

"Étaient-ils coupables de la mort en 2012 de leur frère d’armes Jallal Hami, noyé lors d’un exercice de franchissement d’un étang, dans l’enceinte des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan ? Le tribunal correctionnel a rendu ce jeudi son jugement sur la responsabilité pénale et individuelle de sept prévenus, cinq anciens élèves officiers et deux ex-membres de la hiérarchie, plus de huit ans après le drame. Trois d’entre eux sont condamnés. Les quatre autres sont relaxés. Notre récit des audiences.

 

D’un regard circulaire, il désigne " ses " ​coupables. Ceux qu’il juge responsable de la mort de son frère, étudiant promis à une belle carrière militaire. Huit ans après le drame, Rachid Hami, l’aîné de la fratrie, fait face aux anciens camarades de Jallal au palais de justice de Rennes.

 

Il se retourne vers ces hommes en costume et cravate impeccables, qui se tiennent droit. Ses yeux accusent les anciens étudiants. Son regard s’arrête toutefois, pour ne pas viser les gradés. Un ancien lieutenant-colonel et un ancien colonel comparaissent aussi, aux côtés des cinq autres prévenus assis sur les bancs du prétoire. Compétent en matière militaire, c’est le tribunal correctionnel qui les a jugés, pour homicide involontaire, au cours d’un procès qui a duré cinq jours en novembre 2020. Nous y étions, voici notre récit alors que le tribunal correctionnel a rendu son jugement ce jeudi 14 janvier : trois militaires et ex-militaires sont condamnés de six à huit mois de prison avec sursis. Les quatre autres sont relaxés.

 

Dans l’esprit de Rachid, les deux cadres des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan ne sont pas coupables de ce qui s’est passé cette nuit-là, du 29 au 30 octobre 2012, sur les terres du Morbihan. Une seule certitude l’habite : « Les responsables du bahutage sont les responsables du décès de mon frère. »

 

La transmission des traditions et des valeurs

 

Le bahutage. Dans le jargon de Coët’, la transmission des traditions. Des épreuves physiques, mais qui reposent avant tout sur l’enseignement des valeurs aux nouveaux élèves par ceux de deuxième année. Elles font partie de la formation des officiers français. Elles sont un principe d’éducation, au sein de la prestigieuse école.

 

Un dépassement de soi et un esprit de corps forgé au rythme de réveils intempestifs et de marches nocturnes, cinq semaines durant… « Bizutage », vilipendent certains. L’Armée, embarrassée, dément. Dès le lendemain de la noyade, le procureur de la République de Vannes, Thierry Phelippeau, l’écarte : « Il n’apparaît pas d’intention d’humilier des élèves dans l’activité. » Jallal Hami « n’a pas été poussé, il n’a pas été contraint de faire l’exercice. Ceux qui ne souhaitaient pas participer n’y ont pas été obligés ». Mais d’autres catégories d’élèves en sont exclues : les « porcelaines », c’est-à-dire les exemptés, et aussi, parce qu’ils sont réputés mauvais nageurs ; les « crocodiles » qui désignent les élèves d’origine africaine comme les femmes, appelées « sans chibre » dans l’argot cyrard."

https://www.ouest-france.fr/societe/justice/recit-proces-de-saint-cyr-coetquidan-qui-est-responsable-de-la-mort-de-jallal-hami-7117310

 

Malgré ce lourd passif, le film reste très sobre dans la dénonciation et, au contraire, nous donne les clés d'une contextualisation de l'itinéraire de Aïssa (le double fictionnel de Jallal).

Sa famille, comme celle de Jallal et Rachid HAMI, a été déchirée par la "décennie noire" de 1990-99 en Algérie : la mère a quitté le pays pour la France en 1992 avec ses enfants, tandis que le père restait. La séparation n'a pas été facile. Après la scène d'exposition sur la nuit du "bahutage" fatal, toute la première partie du film revient sur cet épisode. Puis, après une ellipse narrative de près de vingt ans, sur le stage de 6 mois de Jallal à Taïwan, à la fin d'études brillantes, et avant son entrée à Saint-Cyr. Le reste du film est la confrontation de la famille à l'institution militaire, et à ses contradictions, concernant les funérailles d'Aïssa, ainsi qu'avec ses propres contradictions (quelle place pour le père revenu pour enterrer son fils ?).

Ce qui ressort est la violence éducative ordinaire : scène fondatrice du père jetant ses fils à l'eau en leur ordonnant de nager sans avoir appris. L'hypocrisie de l'institution militaire : pas de punition autre que symbolique pour les organisateurs du "bahutage" (on ne touche pas aux "traditions") et refus de la proposition du directeur de l'école de les exclure. Et l'ambivalence du rapport entre ex-colonisateurs et ex-colonisés : faut-il accepter jusqu'au bout la volonté d'intégration des seconds ? On notera que pour la première fois au cinéma français à ma connaissance on assiste à un enterrement musulman. Enfin, la cérémonie militaire finale introduit le défunt dans la communauté nationale, après d'âpres négociations sur les conditions.

Faut-il considérer donc que cette volonté forcenée d'intégration est une aliénation et un leurre ?

Le film laisse ouverte toute interprétation.

Au final, je retiens que la famille décrite dans le film finit par imposer une forme de respect de la mémoire du disparu et de ses motivations : il voulait servir la France, une France peut-être idéalisée à l'excès, mais dont l'image qui s'impose est celle d'une France plurielle qui accepte toutes les origines et tous les itinéraires. Une émancipation à bas bruit, dont l'école a été le vecteur.

 

Le retour des hirondelles est aussi au premier abord un film naturaliste sur la vie paysanne traditionnelle dans une province reculée de Chine, le Gansu, au nord-ouest du pays. Centré sur deux personnages victimes du mépris de leur entourage, un vieux garçon et une fille handicapée, que l'on marie pour s'en débarrasser, il montre leur progressive émancipation par le travail et leur affection mutuelle qui se construit au fil du temps. S'ils réussissent à construire leur propre maison en terre crue traditionnelle et à vivre de leurs productions (blé, maïs, oeufs de leurs poules, cochon) en compagnie de leur âne qui constitue leur instrument de travail et de transport, ils se voient offrir, en tant que "paysans pauvres", un appartement dans un immeuble nouvellement construit par le Parti. Acceptant ce cadeau, qui profite à sa famille car il ne voit pas ce qu'il en ferait, Ma le Cadet, finira par le rejoindre, après la mort accidentelle de sa femme qui le pousse à liquider son exploitation et à faire détruire sa maison trop rustique.

Une fin très artificielle à la gloire du Progrès incarné par le Parti, imposée par la censure à un auteur jugé trop nostalgique de la tradition.

Car malgré cela, ce film incarne encore une forme d'émancipation à bas bruit de personnes méprisées qui construisent elles-mêmes le sens de leur vie et construisent une relation égalitaire à travers le travail.

 

Deux films donc qui nous incitent à approfondir ce que j'ai coutume d'appeler "le travail de l'émancipation".

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