Fabrice HUMBERT Les mots pour le dire

Publié le par Henri LOURDOU

Fabrice HUMBERT Les mots pour le dire

Fabrice HUMBERT

Les mots pour le dire

De la haine et de l'insulte en démocratie

Tracts Gallimard n°24, février 2021, 45 p.

 

 

Je découvre ce petit texte qui rejoint complètement mes préoccupations et mon positionnement.

Il résume excellemment je trouve ce qui se joue dans la crise démocratique que nous connaissons.

Certaines de ses formules sont particulièrement heureuses.

Et tout d'abord celle-ci : "L'expression lucide et mesurée d'une situation reste en démocratie le meilleur moyen d'affronter les problèmes."

Ainsi que ce diagnostic de l'état de la parole publique : "Nous sommes pris en étau entre une parole politique dévitalisée, perdue dans les habiletés rhétoriques et les ruses, et un hurlement systématique, dénué de raison, sinon d'habileté démagogique, d'une partie de la société civile." (p 3)

 

La dévitalisation de la parole politique

 

Le mécanisme en est ainsi analysé : "à des degrés divers, chez les politiques, la langue de bois et plus encore les éléments de langage, parce qu'ils engendrent une dépersonnalisation du discours individuel, ont pour conséquence la perte de sens." (p 6)

Cet inconvénient majeur, qui empêche la communication, est accentué par la répétition favorisée par la société numérique : on assiste à l'apparition d'une "novlangue" qui s'assimile au langage publicitaire. Elle édifie un "monde onirique et sucré dépourvu de tout rapport avec le réel"(p 7) avec une "euphémisation permanente et une dilution dans des termes vagues et englobants" (p 8)

A titre d'exemple, l'auteur donne son préféré : le terme "bienveillant, spécialité de l'Education nationale, employé en toutes situations." (ibid)

Cette perte de sens n'est pas que rhétorique, car elle renvoie à un déficit de l'action : en l'occurrence l'action de l'Etat, coincé par la pénurie de moyens. Cette dilution du sens de l'action dans la gestion et la technique a pour effet d'assoupir les passions : mais cet effet ne peut être que temporaire.

 

L'abus des grands mots

 

Si la politique est bien une tentative de donner du sens en liant le vécu individuel au grand nombre, elle ne peut le faire seulement en surinvestissant certains mots. Or c'est bien l'orientation suivie par nos gouvernants, au prix de la dévalorisation finale de certaines références historiques (la Révolution, la Seconde Guerre mondiale et la Résistance) ou de certains concepts (la République, la Laïcité... celle-ci curieusement oubliée par l'auteur dans son inventaire non exhaustif au profit de la Renaissance, la Constitution... p 11).

Ainsi des mesures faibles sont habillées de mots trop grands pour elles, déchaînant du coup scepticisme et hurlements d'indignation.

 

La montée du populisme

 

Cette dévitalisation du langage produit la réaction inverse : la mise en avant des vrais gens face aux chiffres, de l'hyperbole face à la prolifération de l'euphémisation. Avec pour effet retour l'adoption par le pouvoir du style populiste, à défaut des idées : usage du registre de langue familier ("On ne va pas faire les malins", "Les gens en ont marre de tout ça", p14).

Il ne lui manque plus qu'à adopter le principal "remède" prôné par le populisme : la désignation d'un bouc émissaire . "La recherche du bouc émissaire, point systématique du populisme, est une passion humaine et la haine, le rejet, l'accusation ont leurs attraits."(p 15)

Mais ce qui nourrit aussi le populisme est le non-dit : c'est le cas pour ce qui concerne l'immigration (rhétorique de l'accueil recouvrant une pratique de non-accueil, rhétorique du déni recouvrant un réel flux migratoire) comme pour la montée des inégalités et du séparatisme social à caractère ethno-religieux. Et l'absence de tout débat sur ces questions nourrit le sentiment de vide et d'impuissance, et donc la recherche de solutions magiques et violentes.

 

Recherche d'un public et désignation d'un ennemi : le vocabulaire de l'outrance et de l'effacement

 

L'Histoire, notamment du XXe siècle, nous enseigne que la violence verbale précède toujours la violence physique. Les mots ne sont jamais neutres. Ici l'auteur fait référence à une oeuvre qui m'a aussi beaucoup marqué : "Histoire d'un Allemand" de Sebastian HAFFNER. Celui-ci notait en particulier la montée de la violence verbale dans l'Allemagne des années 1920. Mais HUMBERT note que "à la différence de l'entre-deux-guerres, nos sociétés ont pu répondre tant bien que mal à la crise de 2008 et notre continent a résisté au terrorisme islamiste alors que nous aurions pu imploser sous l'effet de la haine." (p 26)

Mais ne surestime-t-il pas le degré de résistance de nos sociétés ? Car je note moi, dans deux lectures parallèles, des symptômes de fermeture et de repli progressifs : c'est Farouk MARDAM BEY directeur de la collection Sindbad chez Actes Sud attestant que depuis une dizaine d'années en France l'attrait pour les littératures étrangères s'est réduit avec une nette accentuation pour la littérature arabe ("Politis", 15-12-22, p 45) ou Bertrand BADIE, politiste bien connu, dans une analyse sur laquelle je reviendrai des nouveaux enjeux internationaux, appelant à la "reconstruction de la question migratoire, au-delà de la répression, du repli identitaire et de la stigmatisation conduisant parfois à des formes modernes d'islamophobie."("Le monde ne sera plus comme avant-édition 2023", p 22).

Le degré de violence verbale que cela a entraîné commence déjà à produire des effets de violence physique.

Avec un effet symétrique que le rôle nouveau des réseaux sociaux ne fait qu'attiser : "Le fait est que l'excès s'est emparé de la pensée, ce qui lui assure la fausseté et l'erreur ainsi qu'une croissance permanente puisque la caractéristique de l'excès est d'aller toujours plus loin et de se nourrir de sa propre ivresse."( p 31)

 

Les conditions de sauvegarde de la démocratie

 

Assumer le doute face aux fausses certitudes, la nuance face aux fausses radicalités, le compromis face aux fausses intransigeances, ce qui passe par la capacité à dialoguer et à débattre sans renoncer au rapport de forces à établir avec les pouvoirs en place. Cela suppose la prise en compte des contradictions, et d'abord des nôtres. De la complexité et des interdépendances qui caractérisent nos sociétés mondialisées. Et enfin "un langage sincère et une volonté réelle d'aboutir."(p 44)

 

Faut-il pour autant conclure que si "ce texte n'insulte pas, ce texte ne hurle pas, ce texte ne crie pas au scandale,(...) il ne sera ni lu, ni pris en compte" ?(p 45)

 

Je ne le pense pas, puisque je l'ai lu, vous incite à le faire, et pratique, comme d'autres, ce qu'il prône . Car, comme le dit Ala EL ASWANI, "la démocratie est la solution".

Publié dans politique

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