Simone de Beauvoir Le deuxième sexe 1

Publié le par Henri LOURDOU

Simone de Beauvoir Le deuxième sexe 1

Simone de BEAUVOIR

Le deuxième sexe 1

Folio essais n°37, 1949, renouvelé en 1976, 412 p.

 

 

Je n'avais jamais pénétré dans ce monument de la pensée contemporaine.

La biographie de Kate Kirkpatrick nous apprend que ce tome 1, le plus théorique pourtant, est celui qui s'est le plus vendu, alors que le 2 était beaucoup plus accessible, car tourné sur les témoignages de femmes.

Son interprétation est que son écriture très philosophique et universitaire a découragé certaines des acheteuses du tome 1, pourtant alléchées par la thématique. Ce fut d'ailleurs celle de Beauvoir, qui en tira les conséquences en changeant sa façon d'écrire pour atteindre les femmes ordinaires à travers ses livres autobiographiques, inaugurés en 1958 avec ses "Mémoires d'une jeune fille rangée".

Il n'en demeure pas moins que, malgré certains aspects un peu vieillis, ce tome 1 dégage toujours autant de puissance dans sa conception et témoigne d'une capacité de travail et de raisonnement et d'une érudition impressionnantes.

Structuré en trois grandes parties, avec pour sous-titre général "Les faits et les mythes", il parcourt d'abord la notion de "Destin" féminin, tel que tracé par la biologie, la psychanalyse et le marxisme; puis aborde une "Histoire" des femmes en recueillant les données de l'ethnologie et de l'Histoire des grandes religions et civilisations, telles que connues en 1949; enfin sous le titre "Mythes", il conclut par une analyse générale de la vision mythique de la "Femme" dans la culture, suivie d'une analyse serrée de l'oeuvre de 5 "grands écrivains" occidentaux des XIXe et XXe siècle, encore lus en 1949, mais, pour certains aujourd'hui vieillis (Montherlant, DH Lawrence, Claudel, Breton, Stendhal) dans leur vision mythifiée de la Femme. Curieusement, c'est le plus ancien des cinq, Stendhal, qui est le plus épargné par cette analyse critique dont Montherlant en particulier sort essoré.

Tout le propos est sous-tendu par la position philosophique existentialiste de Beauvoir, avec les concepts récurrents de situation, d'immanence et de transcendance pris dans le sens tout particulier que leur donne cette philosophie libertaire et individualiste.

On comprend que beaucoup de lecteurs-trices sans formation philosophique aient un peu calé. Mais la prodigieuse érudition et le sens de la formule de Beauvoir -incontestablement elle écrit bien – font passer en grande partie la difficulté. Au prix cependant d'une lecture qui peut être réductrice ou biaisée.

Car le féminisme de Beauvoir s'appuie sur une conception exigeante de la liberté individuelle : il s'agit bien de faire de sa vie une oeuvre, au sens fort du terme. Non seulement de ne pas la subir, mais aussi d'en construire soi-même le sens.

De ce point de vue les développements récents du féminisme, incluant la question du choix de genre à travers les problématiques LGBTQIA+, ou l'intersectionnalité des luttes contre l'oppression, qui font si peur à tous les conservateurs, sont dans le droit fil de sa pensée.

 

Quelques citations choisies :

Sur le "destin biologique de la femme" : "la biologie ne suffit pas à fournir une réponse à la question qui nous préoccupe : pourquoi la femme est-elle l'Autre ?" (p 77)

Sur son destin biologique, psychanalytique ou économique : "pour découvrir la femme, nous ne refuserons pas certaines contributions de la biologie, de la psychanalyse, du matérialisme historique : mais nous ne considèrerons que le corps, la vie sexuelle , les techniques n'existent concrètement pour l'homme qu'en tant qu'il les saisit dans la perspective globale de son existence. La valeur de la force musculaire, du phallus, de l'outil ne saurait se définir que dans un monde de valeurs : elle est commandée par le projet fondamental de l'existant se transcendant vers l'être." (pp 105-6)

Sur l'Histoire des femmes : "Ce monde a toujours appartenu aux mâles : aucune des raisons qu'on en a proposées ne nous ont paru suffisantes. C'est en reprenant à la lumière de la philosophie existentielle les données de la préhistoire et de l'ethnographie que nous pourrons comprendre comment la hiérarchie des sexes s'est établie." (p109)

Sur les mythes de la Femme : "selon la règle universelle que nous avons constaté, les catégories à travers lesquelles les hommes pensent le monde sont constituées de leur point de vue comme absolues : ils méconnaissent ici comme partout la réciprocité. Mystère pour l'homme, la femme est regardée comme mystère en soi." (p 400)

"Pour un grand nombre de femmes les chemins de la transcendance sont barrés : parce qu'elles ne font rien, elles ne se font être rien; elles se demandent indéfiniment ce qu'elles auraient pu devenir, ce qui les conduit à s'interroger sur ce qu'elles sont : c'est une vaine interrogation; si l'homme échoue à découvrir cette essence secrète, c'est que tout simplement elle n'existe pas." (p 402)

"Ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui il est très difficile aux femmes d'assumer à la fois leur condition d'individu autonome et leur destin féminin (...) Et sans doute il est plus confortable de subir un esclavage aveugle que de travailler à s'affranchir." (p 407)

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