Kate KIRKPATRICK Devenir Beauvoir

Publié le par Henri LOURDOU

Kate KIRKPATRICK Devenir Beauvoir

Kate KIRKPATRICK

Devenir Beauvoir

La force de la volonté

Préface de Manon GARCIA

(Flammarion, 2020, 574 p.)

traduit de l'anglais (Royaume Uni)

par Clotilde Meyer

édition originale 2020.

 

Cet ouvrage récent modifie fortement l'image de Beauvoir que je m'étais construite au fil des articles à son propos. Je m'aperçois donc à quel point cette image était biaisée par la misogynie et la mauvaise foi.

Résultat : je vais me mettre à lire enfin Beauvoir, dont l'intérêt majeur me saute à présent aux yeux.

Un peu comme Fanon, Simone de Beauvoir, malgré la reconnaissance tardive du rôle pionnier du "Deuxième sexe", a été un auteur minoré et calomnié pratiquement toute sa vie.

Mais c'est également la personne privée qui l'a été, pour des raisons diverses, dont une maladresse certaine liée à sa franchise parfois inopportune, tout comme sa dissimulation, elle aussi parfois à contre-temps. Son apparence froide et glacée dissimulait en fait une grande émotivité compensée par une forme de refuge dans l'intellectualité. Je dois dire que je comprends particulièrement cette disposition d'esprit. Mais comment ne pas voir également dans les attaques incessantes dont elle fut l'objet l'expression d'un pouvoir mâle et d'une position réactionnaire ou conservatrice menacés par la pertinence de ses critiques ?

 

Le redressement de l'image de BEAUVOIR opéré par Kate KIRKPATRICK, elle-même philosophe, "directrice d'études en philosophie à Regent's Park College, université d'Oxford" repose sur l'exploitation de sources nouvelles : ses "Cahiers de jeunesse", ses "Carnets de guerre" et ses lettres à ses différents amants, Jacques-Laurent Bost, Nelson Algren, Claude Lanzmann.

Il en ressort que loin d'être une pâle "disciple" et "compagne" de Sartre, Beauvoir a été au contraire une partenaire exigeante et indépendante qui a su mener sa pensée et sa vie de façon autonome.

L'image qu'elle en a donné elle-même dans certains de ses livres, et notamment son autobiographie, visait en fait à dresser un paravent pour protéger ce que sa vie pouvait avoir de choquant pour la société de l'époque. C'est ainsi semble-t-il qu'il faut interpréter sa conclusion très commentée et inexplicable pour de nombreux lecteurs de son troisième livre autobiographique "La force des choses" (1963) : parlant de la "réussite certaine" de ses rapports avec Sartre, elle conclut en effet : "[Les promesses] ont été tenues. Cependant, tournant un regard incrédule vers cette crédule adolescente, je mesure avec stupeur à quel point j'ai été flouée." (KIRKPATRICK, p 396)

Cet aveu ambigu ne marque-t-il pas les limites du personnage qu'elle a ainsi créé ? Il crée à son tour une limite au "mythe Sartre-Beauvoir" afin de reconquérir sa liberté.

De fait, et Beauvoir elle-même l'écrit et le dit, c'est l'écriture et la réception du "Deuxième sexe" paru en 1949, qui va orienter la deuxième partie de sa vie. Une vie de combattante du féminisme, qui ne doit plus rien à Sartre. Et c'est ce qui commence à apparaître dans ce 3e tome "boudé, parfois méprisé, par la critique." (p 399)

Une lecture stimulante et agréable, qui m'ouvre de nouveaux horizons de découverte.

 

 

Publié dans Histoire, voix libertaires

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