Film à voir : Les mots de Taj

Publié le par Henri LOURDOU

Film à voir : Les mots de Taj
Film à voir : Les mots de Taj
Film à voir : Les mots de Taj

Les mots de Taj

Film documentaire de Dominique Choisy, 2021.

Une parole qui a du poids.

 

Je dois remercier l'équipe de Tarbes de la Cimade, et spécialement Cécile, pour avoir choisi ce documentaire dans le cadre du festival Migrant'scène.

Remercier également Dominique Choisy, remarquable réalisateur et accompagnateur de son film, dont les réponses à nos questions à l'issue de la projection furent très bienvenues.

 

De quoi s'agit-il ? D'un projet au long cours, initié dès 2014, alors que Taj en France depuis un an et demi en fait la suggestion à son futur père adoptif, mais réalisé seulement en 2018, six ans après l'arrivée en France de ce jeune afghan "Mineur non accompagné" (succédant  par la disgrâce des appellations administratives  à "Mineur Isolé Etranger") à l'âge de 14 ans.

Il s'est agi de faire son trajet migratoire à l'envers en retrouvant les lieux de passage (qui furent souvent des lieux de blocage) dans sa longue itinérance.

Agé alors de 21 ans, naturalisé français après son adoption et accompagné par son père-réalisateur, Taj a pu digérer les traumas de ce parcours et revient en situation assurée sur des lieux de maltraitance.

Le parcours commence par une rencontre avec les travailleurs sociaux qui l'ont accueilli à Amiens en 2012, puis remonte vers Paris au fameux "square des Afghans" (le square Emile Chautemps entre le boulevard Sébastopol et le Conservatoire National des Arts et Métiers); il n'y a alors plus d'Afghans : les "indésirables" sont rejetés dans des coins moins visibles de la ville. Mais il évoque son vécu d'alors : il y avait en fait "deux squares", celui des sans-abris qui venaient là pour dormir la nuit, et celui des gens normaux, qui passaient sans les voir, ou en faisant semblant de ne pas les voir. C'est cette attitude qui indigne encore Taj : on peut quand même dire bonjour aux gens, c'est la moindre des choses.

A mesure que l'on s'éloigne vers l'Est, le vécu devient plus dur et les souvenirs plus cuisants. L'Europe forteresse n'est pas un vain mot. En Hongrie, plus une trace de migrants à la gare centrale de Budapest : ils sont tous enfermés dans des camps inaccessibles, ou refoulés en Serbie. La route des Balkans est devenue sans cesse plus difficile.

Arrivés en Grèce puis en Turquie, on rencontre des personnes pourchassées sans cesse par la police, et l'on apprend que le prix des passeurs a été multiplié par 10 en 6 ans : c'est la rançon de la fermeture (théorique) des frontières.

Cette politique européenne de refoulement aux frontières s'est radicalisée depuis 2015. Cela se traduit par la montée continue des morts en mer, l'emprise grandissante du crime organisé sur les passages, et par une précarisation accrue des migrants.

Or cette situation de stress permanent, de précarité et d'agression étaient déjà là en 2012 comme en témoigne Taj en évoquant ses souvenirs liés à chaque lieu de passage.

Malgré cela, comme nous l'a confié le réalisateur dans la discussion d'après film, la majorité de ces migrants dans la galère rencontrés au cours du tournage en 2018 sont parvenus à leurs fins : ils ont fini par rejoindre l'Eldorado britannique, allemand, français ou scandinave de leurs rêves.

Mais au prix de sacrifices, de difficultés et de misères sans nom.

Ce parcours du combattant du non-accueil est en partie compensé par les belles rencontres ici ou là, de particuliers, d'associations ou de travailleurs sociaux, comme ceux qui ont recueilli Taj dans la rue et en mauvais état.

Celui-ci ne mâche pas ses mots : il dit les choses de façon directe et factuelle. C'est ce qui leur donne du poids.

Il ne nous reste qu'à en tirer les leçons en nous mobilisant contre la politique de non-accueil et pour une politique d'hospitalité qui, quoi qu'en disent de nombreux politiques, ne tient qu'à peu de choses.

Regarder la réalité en face et employer les bons mots pour la désigner, au lieu de céder aux fantasmes et à la rhétorique de l'extrême-droite populiste.

Publié dans Europe, Immigration

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