Pour une hygiène numérique

Publié le par Henri LOURDOU

Pour une hygiène numérique
Pour une hygiène numérique

POUR UNE HYGIÈNE NUMÉRIQUE

Internet et surinformation, exposition aux images et dictature de l'émotion : de la sidération au déni, et du déni au délire.

 

Les deux points de départ de cette réflexion sont, tout d'abord, une remarque de Cécile HENNION, dans son livre remarquable et douloureux sur la destruction d'Alep.

Elle note en effet ce paradoxe : jamais une guerre aussi cruelle et injuste que celle menée par Bachar Al Assad contre son propre peuple n'a été autant documentée, notamment par l'image. Et pourtant, jamais une guerre aussi injuste et cruelle n'a suscité aussi peu d'empathie et de solidarité, notamment en Occident.

C'est comme si un gigantesque mouvement de déni collectif s'était enclenché pour inhiber ce genre de réaction.

Ensuite, j'ai rattaché à ce constat paradoxal, qui suscite en moi depuis longtemps la gêne et la honte, un même sentiment, mêlé d'indignation, à la découverte récente dans ma boîte aux lettres, d'un tract conspirationniste et fascisant dénonçant la prétendue volonté de "Macron et Von Der "la Hyène" (sic !), Présidente de la Commission européenne, (de) s'essuye(r) les pieds sur nos droits fondamentaux". (Voir ci-dessus)

On passe ici du déni au délire. Le déni consistant à affirmer que Macron "alimente le risque de guerre en fournissant des armes à l'Ukraine" et que "l'UE et l'Otan y travaillent bien"...comme si Poutine n'était qu'une victime innocente de leurs menées, et comme si sa guerre d'agression n'existait pas !

Ce délire paranoïaque débute par l'affirmation : "Cela a commencé par nos libertés bafouées par les mesures sanitaires imbéciles et liberticides." Et se termine par : "Cela va continuer par les restrictions et la pénurie organisée."

Ainsi, tout s'explique par le complot mené par "Macron et sa clique d'oligarques". Et il n'y a donc eu ni épidémie de Covid 19, ni guerre d'agression de la Russie en Ukraine, ni dérèglement climatique alimenté par notre ébriété consumériste.

Et tout cela bien que tous les éléments d'information objective sur ces trois sujets soient entièrement disponibles et à notre portée.

 

Comment la mauvaise information chasse la bonne

 

Je le répète encore une fois : c'est par la "vertu" des algorithmes des réseaux sociaux et des moteurs de recherche (merci Facebook et Google) que "la mauvaise information chasse la bonne".

La recherche du "clash" et du dissensus, de la véhémence et du simplisme, au lieu de du compromis démocratique et du consensus, de la modération et de la nuance est systématiquement privilégiée pour susciter un maximum de clics et de publicités associées à ces clics (grâce aux fameux cookies que la plupart des internautes négligent, et ce malgré le règlement général européen de protection des données personnelles,le RGPD, qui fait obligation à chaque site commercial de recueillir le consentement des usagers).

Ce triste constat, relevé notamment par Stéphanie LAMY dans "Agora toxica", se greffe sur un mécanisme psychologique : la sidération post-traumatique qui engendre le déni.

 

Comment la sidération engendre le déni

 

ici nous retrouvons la Syrie. Certains activistes médiatiques alépins s'étonnent, dans le livre d'HENNION, que la documentation abondante transmise à l'Occident sur les crimes et exactions du Régime aient produit si peu d'effets sur l'opinion publique.

Nous devons, pour répondre à cet étonnement, convoquer l'effet de sidération post-traumatique produit par l'accumulation d'images insoutenables.

Or, on le sait bien à présent, pour l'avoir étudié sur les anciens combattants, puis sur les victimes de viol, le trauma suscite le refoulement des émotions et l'oubli des événements traumatisants.

Il s'ensuit, plus généralement, que la culture du clash alimentée par les algorithmes et évoquée plus haut produit du déni à haute dose. Et corrélativement de la démobilisation, du ressentiment et de la haine.

 

Comment le déni engendre le délire

 

Une fois certaines réalités refoulées, la réalité n'en continue pas moins d'exister. Et il faut lui donner un sens. La fonction du délire paranoïaque est de donner une explication simple et répétitive à tout. De plus ce délire permet de s'extraire de toute implication émotionnelle première en projetant son agressivité sur d'autres, accusés de toutes les mauvaises intentions possibles. Dans un second temps, cela permet d'exprimer sa propre agressivité de façon totalement déculpabilisée, puisque le Méchant c'est l'Autre.

 

Pour une hygiène numérique

 

Quelques règles de comportement se sont imposées à moi au départ de façon spontanée. Puis de façon de plus en plus réfléchie. Et aujourd'hui de façon totalement assumée, au point qu'à présent je me sens autorisé à les revendiquer.

Sur l'usage de Facebook, dont j'ai un compte depuis 2008 environ.

Paramétrage au départ limité à l'accès à mes seuls amis, j'ai également évité la "pêche aux amis", me bornant à répondre aux seules sollicitations des gens que je connaissais, puis aux gens connaissant mes amis en fonction du contenu de leur compte. Depuis peu j'ai mis mon compte en accès public en raison des contenus que je poste.

Posts uniquement non personnels sur des sujets me tenant à coeur, et après m'être assuré de la provenance et du contenu des partages, quand il s'agissait de partages. Pas ou peu de vidéos, mais priorité aux textes; en particulier je partage systématiquement tous les articles de mon blog de lecture (dont celui-ci).

Refus des "like" systématiques : extrême parcimonie dans leur usage en raison des indications que cela donne aux algorithmes de Facebook, afin de ne pas voir mon fil d'actualité réduit à ceux qui sont totalement d'accord avec moi.

Refus de la polémique par réaction à des posts : les quelques cas où je m'y suis risqué, j'ai dû couper court aux "échanges" tant ceux-ci relevaient des monologues superposés et tournaient à la montée systématique du ton.

Sur l'usage des messageries numériques.

J'évite d'utiliser la messagerie "Messenger" de Facebook qui fait double emploi avec ma messagerie Orange. C'est sur celle-ci que je communique avec des personnes plus choisies et ciblées que mes "amis Facebook".

J'ai choisi là aussi une forme de sobriété. Pas de mails non indispensables, et recours aux textes ni trop courts, ni trop longs et soigneusement réfléchis et rédigés; attention aux destinataires, et respect de leur anonymat si nécessaire (recours au cci : envoi caché des adresses des destinataires). Réponses à la personne concernée et non "à tous" en cas d'envois collectifs. Pas de retransmission de mails non lus au préalable (pas toujours facile à respecter quand on est pressé par le temps...). Pas de pièces jointes trop lourdes (certains fournisseurs d'accès m'y aident; par ailleurs je refuse en général le recours au cloud pour y déposer les pièces trop lourdes, sauf nécessité).

Sur l'usage du téléphone portable

J'ai refusé jusqu'à présent l'achat d'un smartphone, ce qui réduit mon usage d'Internet à mon ordinateur familial. Mais je sais bien qu' à terme je devrai céder au courant, d'autant que je bénéficie en réalité du smartphone de mon épouse qui me communique pas mal d'informations dont nous discutons souvent tous les deux.

 

Moyennant toutes ces règles, je limite l'impact du numérique sur mon temps et ma vie. Et je peux facilement me déconnecter et prendre le temps de réfléchir, plutôt que de réagir.

 

Je pense que ces mesures d'hygiène numérique sont nécessaires, bien qu'adaptables et modulables au cas de chacun.

 

 

Post Scriptum : A propos du mythe de la gratuité d'Internet.

 

Je m'aperçois après coup que j'ai oublié de traiter ce qui constitue peut-être l'élément principal d'une hygiène numérique : la question du rapport à la gratuité.

Dans ce qui conduit aux pratiques nocives, le mythe de la gratuité est sans doute la première illusion à dissiper.

Pour ma part, je suis depuis longtemps convaincu que "quand c'est gratuit, c'est toi le produit", comme le résume ce slogan.

En conséquence, j'ai développé une méfiance précoce vis-à -vis des fameux cookies. Mais cela ne saurait suffire.

Sachant que tout service sur Internet a un coût, j'ai décidé de le payer chaque fois que possible aux opérateurs qui refusent de se financer par la publicité générée par les fameux cookies.

C'est ainsi que je fais régulièrement un don à la fondation Wikimédia, qui a refusé cette facilité, et dont j'utilise régulièrement les services en consultant Wikipédia.

De la même façon je fais aussi des dons à la newsletter The Conversation, qui a choisi la même éthique.

Inversement, je renonce à consulter tous les sites qui conditionnent leur consultation à l'acceptation de tous les cookies. Et chaque fois que l'on me demande mon avis, je les refuse systématiquement.

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