Par delà l'androcène Adélaïde BON, Sandrine ROUDAUT, Sandrine ROUSSEAU

Publié le par Henri LOURDOU

Par delà l'androcène Adélaïde BON, Sandrine ROUDAUT, Sandrine ROUSSEAU

Par-delà l'androcène

Adélaïde BON, Sandrine ROUDAUT, Sandrine ROUSSEAU

(Seuil Libelle, août 2022, 70 p.)

 

 

Bien sûr, ce titre est poussé par l'identité d'une de ses co-autrices, Sandrine Rousseau, dont j'ai déjà dit ce que je pensais de la stratégie de communication qu'elle a adoptée.

 

Mais on ne saurait s'en tenir là. Sur le fond, cet ouvrage est important à lire car il pose de façon claire les enjeux de ce qu'il faut bien admettre comme un mouvement à prendre en compte : l'écoféminisme.

Ce qui frappe à la lecture c'est la langue utilisée : elle est riche, imagée et précise. Tout cela sans être dans le jargon pour initié que l'on reproche souvent aux groupes militants.

Il faut s'arrêter ici sur les deux co-autrices les moins connues : Adélaïde BON est écrivaine, Sandrine Roudaut est éditrice, leur apport est donc fondamental sans doute dans la rédaction de ce bref essai.

S'arrêter également sur la bibliographie en fin de volume : on y trouve quelques classiques de l'écologie (René Dumont, André Gorz), mais surtout de nombreuses autrices féministes dont Christine Delphy, Françoise d'Eaubonne, Françoise Héritier, Bell Hooks, Starhawk, dont les deux dernières, américaines, incarnent le courant écoféministe inventé par Françoise d'Eaubonne dans les années 70, un courant étroitement lié aux luttes antiracistes. Tout cela amène au concept d'intersectionnalité : l'idée que toutes les formes d'oppression sont liées, et doivent être appréhendées et combattues conjointement. Un concept à rapprocher de l'intuition écologiste du système-Terre et de l'idée d'interdépendance.

 

 

Mais le point de départ du livre est bien le constat du sentiment qui se répand d'un possible effondrement de notre civilisation et d'une nécessaire bifurcation qui angoisse tout autant.

L'alternative est bien posée : "D'un côté une route goudronnée et familière où il fait bon somnoler. Une route connue que l'on peut emprunter avec nos habitudes et nos certitudes, mais qui, à bien y regarder, ne nous mène pas très loin." (pp 7-8)

"L'autre voie est sinueuse, elle ne se découvre que pas à pas, et des ronces menacent de leurs épines le confort de la marche. Ce chemin-là, quoique modeste, paraît mener plus loin." (p 8)

 

Pourquoi parler d'androcène ?

 

Pour emprunter ce second chemin, nous devrons renoncer à certains récits, et pas des moindres, ceux de puissance, de maîtrise et de domination (...) Pour maintenir la possibilité de vivre dignement, nous devons transformer nos modes de vie maintenant." (ibid)

Or, "le monde politique, économique, médiatique est sourd à cet impératif (...) Il nourrit l'illusion :votre pouvoir réside dans le fait d'acheter ce que d'autres produisent. Toujours plus vite, de la mine à la poubelle, de l'extraction à l'enfouissement, cette pensée shadokienne, close sur elle-même, est le propre de l'Androcène."(pp 8-9)

 

Ce néologisme a pour but de "révéler la structure sociale et culturelle qui nous a menés à l'Anthropocène, cette ère où l'influence de l'être humain sur la géologie et les écosystèmes est si grande qu'elle nous conduit à une vitesse fulgurante vers un dérèglement climatique hors de contrôle et une chute abyssale de la biodiversité.(...) Mettre la lumière sur le genre de l'Anthropocène révèle les relations entre extractivisme, colonialisme, capitalisme et patriarcat." (p 9)

"Le nommer permet d'en comprendre les fondements. L'analyser ouvre la possibilité de la radicalité. Le déconstruire libère nos manières de penser le monde et nos imaginaires, et nous permet d'envisager une autre société : égalitaire et juste, sobre et solidaire." (pp 9-10)

 

Cinq pistes pour en sortir

 

Que retenir de ces cinq pistes ?

Écouter le monde et l'époque (pp 10-24)

-Rien n'arrête les lobbies de l'androcène dans la destruction méthodique du vivant et l'exploitation indéfinie des ressources

-On assiste parallèlement à une montée des replis identitaires, des régimes autoritaires, des guerres et des fascismes

  • Mais aussi à une révolution de l'écoute de toutes les voix des dominé·es qui révèlent que l'intime est politique

  • Mais aussi à une révolution de la science prenant enfin en compte la complexité et la variété des échanges non humains

  • Il en découle une nouvelle dynamique sociale basée sur la coopération, la non-violence et l'inclusivité.

Ressentir (pp 24-33)

-Tous les modèles héroïques de l'androcène sont bâtis sur le refus de l'émotion, l'absence d'empathie , le non-respect de l'altérité

  • La prise de conscience de son impasse repose au contraire sur ce qu'on a baptisé l'éco-anxiété qui touche aujourd'hui plus d'un jeune sur deux

  • la sensibilité dans l'androcène est réservée aux machines : il humanise les robots et robotise les humains

-les violences subies par les femmes, les enfants, les personnes racisées et discriminées doivent au contraire pour être combattues être ressenties en dépassant les syndromes de stress post-traumatique

Déconstruire (pp 33-45)

-Déconstruire le mythe consumériste : de peur d'être marginalisé, nous consommons. Ce que nous n'achetons pas nous l'envions. Dépossédés de nos désirs, nous avons les yeux rivés aux écrans et aux tendances, et à l'âme un vide que rien ne comble. Et nous perdons tout pouvoir d'agir

-Revenir à l'essentiel et nous séparer du superflu, car la peur du déclassement nous fait perdre la tête en déchaînant la haine sur des bouc-émissaires : les deux I, Immigration, Islam, au nom du troisième I sacralisé , l'Identité.

-Reconquérir le temps, contre l'accélération pour les uns et l'inactivité pour les autres, en imposant le partage du travail et des données numériques accaparées par les multinationales Gafam : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.

-Reconquérir les communs (eau, air, terre) et restaurer les équilibres naturels (climat, biodiversité) contre ces mêmes multinationales qui cultivent le consumérisme et alimentent les peurs et le s haines

Nous réconcilier (pp 45-55)

-Sortir de la violence généralisée (systémique) produite par toutes les dominations : pour cela en regarder en face l'héritage, non pour culpabiliser les héritiers que nous sommes du patriarcat, de l'extractivisme et du colonialisme mais pour faire justice .

-Refuser l'inversion victimiste consistant à transformer toute revendication de justice en agression et persister dans l'écoute des vraies victimes

-Faire société en abandonnant les positions de dominant pour rejoindre le combat des dominés : leur faire place dans toutes les positions de pouvoir en veillant à la mixité et à l'inclusivité

Être radicales et radicaux (pp 55-63)

-La radicalité nous impose de prendre parti : le parti du respect. L'air sain ça ne peut pas être un jour sur deux, l'égalité non plus.

-Elle nous impose d'abandonner un indicateur mortifère comme le PIB, et partant le mythe de la croissance, ou les fausses appellations comme la taxonomie européenne qui a transformé le gaz naturel et le nucléaire en "énergies renouvelables"

-De reconquérir les conditions d'un esprit critique

-Il y a une rive à lâcher, des usages à abandonner, des habitudes à transformer : trop d'écrans, de voitures, trop de porno, de films de castagne, trop d'histoires d'hommes virils, de femmes effacées, d'argent roi, trop d'animaux morts dans nos assiettes, d"emplois précaires, de corps abîmés, d'horaires décalés, trop de mépris et de haine.

 

Conclusion

 

Toutes ces analyses, je les partage, comme en témoigne le contenu de ce blog.

Reste à les transformer en force politique.

Et c'est là que je diverge avec la voie suivie par Sandrine Rousseau. Le mode de communication qu'elle a choisi, basé sur le clash et les choix tactiques polémiques pas toujours très honnêtes, lui aura sans doute fait franchir un seuil de notoriété. Peut-être aura-t-il fait découvrir ces idées à une fraction très minoritaire de personnes. Par contre les crispations et les incompréhensions qu'il a engendrés, y compris au sein de son propre parti, qui est aussi le mien, EELV, sont contradictoires avec ces idées-mêmes. Tout comme Mélenchon, Rousseau minorise son camp au lieu de l'élargir.

Ce dernier défi reste cependant entier : rester radical sans perdre le cap de la conquête démocratique d'une majorité est la perspective que nous devons nous donner.

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