Mieux connaître l'Ukraine
Mieux connaître l'Ukraine
Face à la barbarie de la guerre, il importe de peser soigneusement les raisons de s'engager aux côtés du pays agressé, l'Ukraine. Et de bien savoir jusqu'où s'engager pour ne pas cautionner d'éventuelles manipulations.
Le cycle de films "L'Ukraine en question", programmé par le cinéma Le Parvis, fait partie des moyens de peser et d'évaluer les raisons d'un tel engagement.
L'interview par "Le Monde" de la co-lauréate du Nobel de la Paix, l'avocate ukrainienne Oleksandra Matviichuk, également.
Je n'ai pu voir que deux des 5 films programmés, tous produits en 2022, 4 ukrainiens et 1 slovaque, mais ils m'ont tous deux fait la plus vive impression et tous deux donné à réfléchir.
Quant à l'interview d'Oleksandra Matviichuk, elle constitue pour moi une heureuse découverte, celle d'une de ces activistes des droits humains dont notre monde a le plus urgent besoin, et qui se lèvent sur tous les coins de la planète. Je lui souhaite un plus heureux destin que ceux d'Anna Politkovskaïa ou Razan Zaïtouneh, car la vie et la liberté doivent au final avoir le dernier mot sur tous les dictateurs.
Babi Yar, contexte : des images saisissantes, mais une contextualisation insuffisante.
Il faut d'abord saluer le caractère titanesque de l'entreprise : reconstituer le fil historique des événements survenus à Kiev entre 1941 et 1946 uniquement à travers des images d'archives.
Si la chronologie est bien rétablie et rappelée par des inserts de texte, il manque cependant à ces images le recul explicite que l'on doit à des films de propagande. Car la plupart d'entre elles résultent de mise en scène successives des propagandes nazie et soviétique. Et leur prolongement après 1946 par des images du devenir du site du massacre des 29 et 30 septembre 1941 montrant une volonté d'en effacer quasiment la trace à travers le déversement dans le ravin des déchets issus d'une usine de briqueterie, reste très allusive.
La grande réussite du film est de nous montrer cependant la symétrie presque parfaite des images de propagande nazie et soviétique décrivant l'entrée de leurs troupes à Kiev en 1941, puis en 1943 : comme l'écrit le critique du "Monde", "même marche triomphale des troupes conquérantes, même accueil enthousiaste de la population, mêmes cohortes de prisonniers défaits, mêmes pendus ostentatoirement abandonnés pour l'exemple, mêmes cadavres de vaincus gisant dans la boue et attaqués par les mouches. Pareillement pour Babi Yar : les nazis commettent le crime, puis en effacent les traces (en en faisant brûler les restes des cadavres), les soviétiques en travestissent la nature (en ne parlant que de citoyens soviétiques massacrés, pas de Juifs)." (Le Monde, 14-9-22)
(S')il montre aussi la face sombre d'un nationalisme ukrainien qui se vendit corps et âme au nazisme, pour mieux se venger de la férule soviétique, et qui à ce titre participa pleinement au massacre des juifs d'Ukraine, dans une indifférence à peu près générale", il occulte cependant en quoi a consisté cette "férule soviétique" en ne donnant aucun élément concernant l'Holodomor, la famine provoquée de 1931-33, encore toute fraîche dans la mémoire des survivants en 1941, et qui peut expliquer en partie l'accueil d'abord enthousiaste fait aux nazis...qui se transforma rapidement pour le plus grand nombre en cruelle déconvenue.
Il a fallu une recherche complémentaire, après la projection du film, pour connaître le destin ultérieur du site et du souvenir de Babi Yar en Ukraine soviétique, puis dans l'Ukraine indépendante. Ce n'est qu'en 2016, que la mémoire juive de Babi Yar est restaurée par le président Porochenko, après plus de 70 ans d'occultation soviéto-ukrainienne. Il aura fallu l'agression russe de 2014, puis de 2022 pour remettre cette mémoire au premier plan. Inversant ainsi l'accusation de nazisme adressée par Poutine aux Ukrainiens. Même si du chemin, à l'évidence, reste à faire, la bonne direction est prise, contrairement à c e qui se passe, pour l'instant, en Russie.
Butterfly vision : les promesses vénéneuses de la guerre du Donbass
Ce film de fiction s'inscrit dans le cadre de la "guerre de basse intensité" menée au Donbass de 2014 à 2022. Il s'agit d'une histoire de résilience d'une prisonnière ukrainienne libérée dans le cadre d'un échange. Violée par ses geôliers, on le comprend peu à peu sans que ce soit jamais dit, elle va devoir faire face à toutes les conséquences de ce viol.
Le film est sans complaisance pour les patriotes volontaires ukrainiens, qui se révèlent à l'occasion comme de violents racistes anti-Roms.
Cependant, ce film très prenant, dessine un beau portrait de femme qui fait face à toutes ces violences en prenant le parti de la vie, et reconquiert ainsi sa liberté.
Il montre enfin un visage de la guerre en Ukraine qui va se confirmer en 2022 : celui de l'usage systématique du viol comme arme de guerre par les troupes russes.
Oleksandra Matviichuk : le visage d'une nouvelle Ukraine
Âgée de 39 ans et directrice du Centre pour les libertés civiles, qu'elle a créé en 2007, elle s'est d'abord battue contre la corruption et pour le respect des libertés démocratiques dans son pays. A ce titre elle a soutenu les manifestants de l'EuroMaïdan de 2013-14. Puis elle a documenté les atteintes aux droits dans la Crimée et le Donbass occupés depuis 2014 : malgré les nombreux rapports envoyés aux instances internationales (ONU, Conseil de l'Europe, OSCE...) sur les cas d'arrestations arbitraires et de tortures, rien ne se passe. Tout au contraire, c'est la Russie, instigatrice de ces violations, qui accuse le gouvernement ukrainien de "nazisme" et de "génocide"au Donbass ! Une sinistre habitude consistant à attribuer à l'adversaire ce que l'on commet soi-même, en tentant ainsi de semer la confusion.
Aujourd'hui, elle continue ce travail de documentation des crimes de guerre avec le sentiment que "le système international pour garantir la sécurité et la paix dans le monde est en ruine. Il faut le réparer. Et cela commence par l'exclusion de la Russie du Conseil de Sécurité de l'ONU et la fin de l'impunité." (Le Monde, 29-10-22)
Si ce jugement radical peut paraître exagéré, il nous engage à faire la preuve du contraire : trouver les moyens de stopper l'impunité des criminels contre la paix et la sécurité des peuples.