Du danger persistant de la "radicalité radicale"
Du danger persistant de la "radicalité radicale"
-Complaisance de dirigeants LFI avec le RN : faux pas ou persistance du "populisme de gauche" ?
Tout le monde (ou presque) le ressent : le positionnement complaisant de certains dirigeants LFI, à commencer par JLM, avec le RN à l'occasion de la dernière motion de censure a ouvert un boulevard à Emmanuel Macron pour se recentrer en fustigeant "l'alliance des extrêmes", tout en suscitant au sein de la Nupes une interrogation sur la cohérence de la stratégie.
La question cependant qui se pose est : s'agit-il d'un simple faux pas ?
Je tiens à développer l'hypothèse que ce positionnement est cohérent avec le "populisme de gauche" professé jusqu'aux dernières présidentielles par JLM. J'ai déjà écrit à ce sujet, mais il n'est peut-être pas inutile de rappeler en quoi consiste cette idéologie, construite et développée par Chantal Mouffe, philosophe belge.
Elle repose sur une conception tiré du théoricien politique Carl Schmitt, selon laquelle la vie politique est une forme de guerre symbolique où il n'y a pas de compromis possible et où le couple "ami-ennemi" est matérialisé par l'opposition entre "le peuple" -national : pour C Mouffe comme pour C Schmitt, il ne peut y avoir de politique supranationale, ni "européenne", ni a fortiori mondiale- et "l'oligarchie" (qui elle par contre est supranationale... voire apatride, et on voit là la connexion possible avec l'extrême-droite et sa vision complotiste du monde).
Si l'on suit cette vision des choses, l'important est de "révéler" l'unité virtuelle du "peuple" en l'incarnant (d'où l'importance du "leader"... autre connexion possible avec l'extrême-droite). Pour cela, il faut dépasser le clivage Droite-Gauche tel qu'il s'est historiquement incarné dans des partis, aujourd'hui dépassés, et oser des transgressions posant la seule opposition "peuple/oligarchie" comme pertinente.
De ce point de vue, il est parfaitement logique et cohérent de faire flèche de tout bois contre le représentant français de "l'oligarchie", Macron, seul véritable "ennemi" du "peuple". Le soutien du RN est donc sans importance, car il sera balayé par la reconnaissance finale par le "peuple" de son représentant naturel : le leader populiste de gauche.
On comprendra pourquoi j'ai ajouté des guillemets à tous ces termes employés par le populisme de gauche : ils me semblent totalement en décalage avec la réalité. Leur simplisme outrancier déforme la réalité des enjeux politiques de façon très dangereuse.
Car il occulte l'existence de contradictions majeures au sein du peuple, dévalorise le pluralisme politique et les combats supranationaux, voire les nie, et nie également l'existence de contradictions au sein des classes dirigeantes.
Or, tous ces éléments doivent être pris en compte pour construire des majorités démocratiques.
En poursuivant sur cette ligne, les dirigeants LFI déconstruisent le début d'union que constitue la Nupes, offrent des opportunités à ses adversaires politiques (RN et Renaissance), dévalorisent les combats supranationaux qui s'imposent de plus en plus comme déterminants (climat, biodiversité, guerres et désarmement, droits humains) et renforcent l'unité des classes dirigeantes au lieu de les diviser.
Il est donc crucial que le débat se développe au sein de LFI sur cette conception aberrante des enjeux et du combat politique.
-Congrès EELV : l'attirance ambivalente des discours radicaux
Mais balayons aussi devant notre porte. Le congrès triennal d'EELV qui va se tenir de façon décentralisée le 26 novembre voit s'affronter 6 motions d'orientations, là où la logique politique aurait dû à mon avis en voir 3. Cette surabondance est due à des stratégies personnelles favorisées par nos statuts basés sur l'élection proportionnelle.
Il n'y a pas de statuts parfaits : tous ont leur faille entraînant potentiellement des dérives. D'où l'importance (comme pour les Constitutions d'ailleurs) de les modifier périodiquement pour corriger les abus constatés. L'ennui chez nous c'est que la majorité requise pour cela (66% des votants) est difficile à réunir, comme on l'a tout récemment constaté...
Cela étant, comment se présente ce congrès ?
Une majorité sortante, usée et divisée : elle était composite et n'a pas résisté à l'épreuve des faits.
Son noyau dominant était l'héritier du tandem Duflot-Placé qui a dirigé le parti depuis 2004. Initialement positionné "à gauche toute", il s'est révélé au fil du temps comme essentiellement opportuniste et clientéliste : son seul moteur est le désir de durer à la tête du parti. Il a donc coopté Marine Tondelier, élue municipale à Hénin-Beaumont, sous le nom (significatif ?) de "La suite", après avoir échoué à modifier les statuts du parti pour s'assurer une domination pérenne.
Un autre élément de la majorité était le courant "social-démocrate" hérité de Dominique Voynet et auquel je me rattache. Il a bataillé en vain pour une réforme des statuts élaborée de façon participative et non imposée d'en haut comme l'avait tenté le noyau dominant. Il s'est également battu pour le respect de nos règles satutaires de non-cumul des mandats entre élus et dirigeants du parti : la démission finale de Julien Bayou qui violait allègrement ces règles n'a malheureusement pas été obtenue sur ces bases.
Ce courant a choisi pour le représenter une élue régionale de Nouvelle Aquitaine, Sophie Bussières, sous le nom de "Printemps de l'écologie".
La "gauche" du parti, également associée en position subordonnée à la majorité sortante, s'est divisée en trois avec une prime médiatique à celle soutenue par Sandrine Rousseau et représentée par Mélissa Camara, élue municipale à Lille ("La Terre, nos luttes"). Les deux autres (Hélène Hardy -"l'Arche"- et Géraldine Boyer -"Rébellion-construction") ont pour vocation de la rejoindre au 2d tour.
La dernière représentée par Claire Desmares-Poirrier, élue régionale de Bretagne, "Ce qui nous lie", est une motion axée sur les territoires et la notion de décroissance mais à prétention "rassembleuse", ce qui laisse penser qu'elle a en fait pour objectif de fournir des places à ses dirigeants dans la direction du parti.
La lisiblité des options politiques incarnées par ces différentes motions n'est pas évidente.
Si la gauche du parti ne jure que par la Nupes, c'est avec des nuances : la motion Hardy plaide en effet pour une liste écolo autonome aux européennes de 2024... tout comme la motion Bussières.
Celle-ci prend acte de l'existence de la Nupes, mais n'en fait pas l'alpha et l'oméga de notre stratégie : tout est subordonné à la clarté et à la transparence de choix politiques opérés collectivement... et à la recherche urgente de majorités d'idée sur nos choix radicaux en matière de bifurcation écologique.
La direction sortante, elle, ne pense visiblement qu'à gérer son portefeuille d'élus et à continuer à distribuer des investitures en position dominante. Pour la stratégie, elle verra selon le sens du vent...
Mais il y a fort à parier que le débat portera sur le degré de radicalité des positions en s'appuyant sur la médiatisation du conflit Bayou/Rousseau et le goût des médias pour le clash et la "nouveauté".
De ce point de vue l'attirance des idées radicales est ambivalente.
S'il s'agit de bien repérer les enjeux, notamment de domination, pas de problème. Mais s'il s'agit d'entraîner la majorité de la société dans leur remise en cause, la stratégie du clash permanent a des effets contre-productifs : elle fige les positions de façon caricaturale en générant des oppositions binaires et simplistes, qui marginalisent les supposés "radicaux" et repoussent les hésitants dans le camp de la réaction. Or l'écologie doit avoir pour ambition de rassembler des majorités pour concrétiser des politiques publiques.