Comment sortir de la guerre en Ukraine ?
Comment sortir de la guerre en Ukraine ?
Il ne peut y avoir de paix durable sans justice, c'est ce que certains pacifistes ont du mal à intégrer.
Bien sûr, plus la guerre dure, plus ses effets pervers s'accentuent : incrustation d'une culture de la violence, diabolisation de l'ennemi, réduction des libertés et étiolement de la démocratie...
Pour autant, la nécessaire conclusion d'un accord de cessez-le-feu ne peut se faire à n'importe quelles conditions.
Dans le résumé du podcast d'une interview de l'avocat Philippe Sands, la lettre électronique "justice info" du 16-9-22, parle de son action sur l'agression russe en Ukraine :
"L'histoire familiale de Sands le lie par ailleurs intimement à celle de l'Ukraine. Il l'a racontée dans son best-seller "Retour à Lemberg". Dès le lendemain de l'invasion russe, en février dernier, Sands est ainsi devenu le principal promoteur de la création d'un tribunal spécial sur le crime d'agression. Et il ne lâche pas l'affaire. "Pourquoi avons-nous besoin d’un autre tribunal ?" pour juger le crime d'agression de la Russie. "Dans cette affaire, c'est le plus important de tous les crimes. C'est le crime dont découlent tous les autres crimes. Je pense que ce serait une parodie si, dans cinq ans, nous avions des procès à La Haye ou à Kiev ou dans d'autres parties du monde d'un groupe de militaires ou de paramilitaires de relativement bas niveau pour des actes odieux commis sur le territoire de l'Ukraine, mais que la table d'honneur s'en tire à bon compte", répond Sands. "Il y aura bientôt une annonce sur l'établissement d'un nouveau bureau d'un procureur spécial pour le crime d'agression en Ukraine", révèle-t-il, "et ce doit être à La Haye". Selon lui, "plus ce terrible conflit se prolonge, plus ce développement devient possible." Et c'est l'évolution politique de quelques grandes puissances européennes qui, encore une fois, fera pencher la balance."
Ce point de vue fait écho à une controverse dont Sylvie KAUFFMANN chroniqueuse du "Monde" rend compte dans le n° du journal daté 15-9-22 (p 37).
Lors d'une conférence de haut niveau sur l'Ukraine intitulée Yalta European Strategy, organisée par la Fondation Victor Pinchuk à Kiev le 10 septembre, l'ancien ambassadeur allemand Wolfgang Ischinger a suggéré de commencer à réfléchir à la réconciliation russo-ukrainienne en citant l'exemple de son pays, vaincu en 1945, mais invité, à peine quelques années après, à rejoindre ceux qui sont aujourd'hui ses alliés.
"Un froid poli a accueilli la proposition. Puis l'ex-présidente d'Estonie Kersti Kaljulaid (...) l'a, gentiment mais fermement recadré : "Ce que vous décrivez, a-t-elle dit, s'est passé après que l'Allemagne a été jugée. C'est l'erreur qui a été commise avec l'Union soviétique : les Soviétiques n'ont jamais eu à répondre de ce qu'ils ont fait – et c'est pour ça qu'on se retrouve aujourd'hui dans cette situation. L'Allemagne a fait ce qu'il fallait, et j'espère vraiment que la Russie suivra ce chemin."
Ce point de vue est aujourd'hui partagé par l'ensemble des dirigeants des pays démocratiques de l'ex-URSS, mais aussi par les dissidents russes, comme je l'ai précédemment évoqué à propos de la directrice exécutive de Mémorial, Elena Jemkova.
Mais la chronique de Sylvie Kauffmann cite en conclusion l'historien français Nicolas Werth, qu'elle sollicite ainsi : "le récit national construit par Poutine "n'a pas été imposé d'en haut. Il a incontestablement répondu aux attentes d'une société désorientée qui avait perdu tous ses repères à la suite de l'effondrement du système soviétique."
Ce faisant, elle quasi-détourne son propos, car il écrit en réalité, dans le cadre d'un bref essai consacré au contraire au rôle propre de Poutine : "Toutefois -il faut le souligner- le nouveau récit national construit par le régime poutinien au cours des deux dernières décennies n'a pas été uniquement imposé d'en haut par des mesures autoritaires incluant des atteintes, de plus en plus graves, aux droits humains. Il a incontestablement répondu aux attentes d'une société désorientée qui avait perdu tous ses repères à la suite de l'effondrement du système soviétique." ("Poutine historien en chef, pp 7-8.)
Si donc aujourd'hui, "comme le montrent les derniers sondages réalisés par le Centre Levada, reconnu pour être le plus indépendant des centres russes d'étude de l'opinion publique, le quasi-effacement des "pages sombres" de l'histoire soviétique a été efficace." (ibidem, p 38) ce résultat est tout de même dû principalement à l'action du pouvoir.
Et c'est donc bien la mise en cause de ce pouvoir qui constitue la clé de sortie de cette situation.
La sortie du conflit n'est donc pas purement militaire, mais bien politique. Comme en Syrie, un rapport de force militaire peut provisoirement geler le conflit, et il importe que, contrairement à la Syrie, il ne se produise pas à l'avantage de la dictature. Mais la sortie du conflit ne peut s'opérer qu'à travers un changement de régime et un jugement des responsables de l'agression.