A propos du film As Bestas

Publié le par Henri LOURDOU

A propos du film As Bestas

A propos du film As Bestas

Pourra-t-on en finir un jour

avec le populisme et le luttisme de classe ?

 

Je lis toujours avec plaisir le mensuel libertaire marseillais CQFD auquel je suis abonné à la suite d'un appel au secours lancé par ce bon Jean-Luc PORQUET dans Le Canard enchaîné.

Cependant, je n'en partage pas le point de vue "révolutionnaire". Et c'est ce que je constate à nouveau avec la critique du film As Bestas dans son dossier "Néo-ruraux" du mois de septembre.

L'auteur conclut abruptement : "A un certain stade de conflictualité on ne peut pas être bourgeois et de gauche". J'ai envie de rétorquer : "A partir d'un certain stade de conflictualité on ne peut pas être révolutionnaire et respecter les droits humains". Ce qui est tout aussi caricatural que la proposition précédente, j'en ai bien conscience. La différence est que je ne partage pas cette certitude de béton (armé) qu'il porte en bandoulière.

Je pense donc non seulement qu'on peut être bourgeois et de gauche, mais aussi que l'on peut être révolutionnaire et respecter les droits humains... ce qui implique bien sûr des contradictions à gérer et à surmonter, des cas de conscience, et la nécessité, qu'un bon libertaire devrait comprendre, de se poser sans arrêt des questions (je repense en écrivant cela à mon amie Arlette Dubalen (1944-2012) , militante écologiste, qui avait pour phrase fétiche : "Il faudrait se poser des questions").

C'est d'ailleurs tout l'intérêt que je trouve à la lecture mensuelle de CQFD.

(NB : Ce titre est la reprise -subliminale- du titre du journal pacifiste lancé par Sébastien Faure en 1914-18 : Ce Qu'il Faut Dire.)

Post Scriptum 1 : Le titre de cet article prête à confusion, car il laisse penser que je vais donner mon point de vue sur le film As Bestas que je n'ai pas encore vu. Or il s'agit juste pour le moment de critiquer la façon dont CQFD, qui se dit libertaire, en a rendu compte : avec une grille de lecture dogmatique et caricaturale, celle de la lutte des classes et du point de vue populiste-prolétarien. Grille dont je récuse la pertinence.

Quant au film lui-même, j'en parlerai quand je l'aurai vu.

Post Scriptum 2 du 28-9-22 : Le film.

Après avoir vu le film, je reprends la critique de É.MINASYAN parue dans CQFD . Son titre annonce la couleur : "Éco-bourgeoisie ou barbarie", avec un surtitre renforçant l'orientation de lecture suggérée "Panique métaphysique sur grand écran".

Bien que je n'ai rien à redire sur la première partie du compte-rendu, très factuelle, je retrouve ce simplisme manichéen et mécaniste dans le chapeau de l'article : "Dans le film As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, en salles depuis le 20 juillet, un conflit tortueux oppose néo-ruraux écolos et paysans fachos. On en oublierait presque la place qu'occupe chacun dans les rapports de production."

Or ce n'est pas le film que j'ai vu. Loin de tout simplisme et de l'outrance suggérés, il déploie au contraire un sens de la nuance qui gêne visiblement l'auteur de l'article.

S'il montre bien les conditionnements et conditions sociales et économiques qui pèsent sur les acteurs de l'histoire, il ne rabat pas tout dessus comme le voudrait cet auteur. Lequel conclut, comme je l'ai déjà signalé, par une formule anthologique : "A un certain stade de conflictualité on ne peut pas être bourgeois et de gauche".

Bien au contraire, le film montre la marge de liberté qui reste à chacun une fois éprouvés les conditionnements sociaux. Et c'est bien ce qui gêne quelqu'un d'enfermé dans ses certitudes "luttistes de classe" et populistes.

Antoine, l'ex-professeur néo-rural, est davantage ou tout autant victime de son ego un tantinet mégalo-parano (totale assurance sur ses convictions et total manque de sens de l'humour) que de ses préjugés sociaux. A plusieurs reprises, le scénario lui offre des chances de sortie du conflit qui l'oppose à ses voisins paysans. Il les repousse par sa personnalité psycho-rigide et son comportement méprisant et trop sûr de lui.

Inversement, ses deux voisins, les vieux célibataires Xan et Lorenzo, ne se réduisent pas à l'archétype de "fachos" : s'ils sont bien représentatifs d'une misère rurale profonde que nous avons pu côtoyer, ils sont très conscients de cela et veulent en sortir. Le projet de Xan de faire le taxi à mi-temps en ville avec son frère pour permettre à sa mère de 73 ans de ne plus travailler, grâce à l'argent des éoliennes, n'a rien de fasciste. Leur ressentiment est nourri par l'intransigeance et le manque d'écoute d'Antoine.

Quant aux autres personnages, ils ne sont pas non plus traités sous le mode des archétypes sociaux, mais comme des personnes : Breixo, le vieux berger, en quasi-mentor de ce couple néo-rural, Pépino, le voisin sympathique, en compagnon de travail.

Car tous ces personnages ont aussi un point commun : ils travaillent comme des brutes. La beauté des paysages apparaît, avec justesse, et sans démonstration excessive, comme une compensation à ce labeur incessant.

Reste à parler de la place des femmes dans ce film. Avec bien sûr le personnage principal, Olga, épouse d'Antoine, mais aussi leur fille, restée en France, et qui vient périodiquement leur rendre visite. Et enfin la vieille mère de Xan et Lorenzo. Elles apparaissent comme les temporisatrices, impuissantes à conjurer la violence des hommes, et comme les justicières qui leur demandent des comptes. A ce titre, le film mériterait, plus que le qualificatif de thriller métaphysique, celui de drame féministe.

Au total, un grand film, qui mérite son succès.

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