J.DELPERRIE DE BAYAC Histoire de la Milice
J.DELPERRIÉ DE BAYAC
Histoire de la Milice
Fayard, 1969, Le Livre de Poche n° 5070, 704 p.
Ce pavé, parfois fastidieux, est le premier livre de référence un peu sérieux sur le sujet. Bien qu'il sacrifie parfois, époque de parution oblige, à une forme de manichéisme opposant Résistance -forcément irréprochable- et Collaboration-forcément hideuse moralement- il montre bien finalement à quel point le déchaînement de la violence emporte forcément les uns comme les autres dans des actes injustifiables.
Exécutions sommaires, torture, pillage et violence non nécessaire ont existé dans les deux camps. Ils ont été le fait, dans les deux camps, de personnes moralement faibles.
Ils ont été cependant justifiés ou cautionnés différemment. Le poids de l'idéologie et des positionnements politiques s'exerce en effet de façon autre selon que l'on se situe dans une idéologie égalitaire ou inégalitaire, libertaire ou autoritaire, et que l'on se situe dans une posture de résistance à une occupation étrangère ou de collaboration avec elle.
De ce point de vue, le naufrage moral collectif de la Milice, et de son Chef Joseph Darnand, que l'on voit se mettre progressivement en place, était inscrit dès le départ dans son idéologie inégalitaire et autoritaire, et dans son positionnement collaborationniste.
Et ceci avec une brusque accélération dans les derniers mois de la guerre.
C'est ainsi que Joseph Darnand, ancien combattant exemplaire de 1914-18 et de 1940, se transforme au final en auxiliaire convaincu des nazis jusqu'au bout.
Le récit de cette descente aux enfers s'accompagne d'une description minutieuse des principaux acteurs de la Collaboration et de leurs stratégies et intrigues respectives. Le régime de Vichy y apparaît dans sa cruelle réalité : un instrument de pouvoir au service d'arrivistes cyniques, dont la "protection des Français" et la "préservation de la paix civile" dont, ils se parent, n'est qu'un alibi mensonger.
On voit ainsi évoluer leurs discours au gré des circonstances et du rapport de forces. De ce point de vue, les nombreuses citations sourcées et datées, ainsi que les témoignages recoupés qui appuient le récit sont de cruels révélateurs qui font voler en éclats le discours rétrospectif des "néo-vichyssois" comme Éric ZEMMOUR.
Post Scriptum : Le caractère trop concis de ce compte-rendu peut prêter à confusion. Aussi je tiens à développer le point concernant ce passage :
Exécutions sommaires, torture, pillage et violence non nécessaire ont existé dans les deux camps. Ils ont été le fait, dans les deux camps, de personnes moralement faibles.
Ils ont été cependant justifiés ou cautionnés différemment. Le poids de l'idéologie et des positionnements politiques s'exerce en effet de façon autre selon que l'on se situe dans une idéologie égalitaire ou inégalitaire, libertaire ou autoritaire, et que l'on se situe dans une posture de résistance à une occupation étrangère ou de collaboration avec elle.
Quelle est donc cette façon autre dont s'exerce le poids des idéologies et des positionnements politiques ?
Dans le cas de l'idéologie autoritaire et inégalitaire et du collaborationnisme, l'abus de pouvoir qui conduit aux exécutions sommaires, torture, pillage et violence non nécessaire, est plus facile à justifier car il est normal dans l'idéologie autoritaire que le Fort exerce sa force et que le Faible la subisse, que le Chef commande et que le Servant obéisse, et quant à l'idéologie inégalitaire et nationaliste elle postule que l'on doit tout à sa nation et rien aux autres, ce qui conduit assez naturellement à parler de races et à justifier le racisme et tout ce qu'il induit . Quant à la posture politique du collaborationnisme, elle induit également de se placer dans la main de l'occupant, à accepter ses pratiques et donc à les cautionner.
Inversement, l'idéologie libertaire et égalitaire et la posture résistancialiste impliquent que l'abus de pouvoir ne devrait pas exister. Les seules façons d'y faire face sont donc de le dénoncer...ou d'en nier l'existence. C'est ce second procédé qui a prévalu dans certains cas, et donc concouru au mythe d'une Résistance irréprochable, contraire aux faits. Mais une fois ceux-ci établis, la seule posture cohérente est de condamner leurs auteurs, et non de les justifier.
Il s'ensuit que, même si ce type de faits se retrouvent dans les deux camps, ils sont à la fois plus fréquents et plus graves dans le camp collaborationniste que dans celui de la résistance.
Le même constat a été clairement établi par l'historien Paul Preston à propos de la Guerre civile espagnole dans son ouvrage "Une guerre d'extermination" : les crimes dans le camp républicain ont existé, mais ils sont très loin d'égaler ceux du camp nationaliste.
Aussi faut-il clairement dénoncer la campagne révisionniste lancée par l'extrême-droite espagnole avec le soutien en France du "Figaro", visant à attribuer au camp républicain la responsabilité principale des horreurs de cette guerre (voir "Le canard enchaîné" 17 août 2022, p1 : "Le Figaro y va Franco").
De façon plus approfondie, l'existence des abus de pouvoir systématiques dans les régimes communistes a été longtemps niée. Et une fois clairement établis, elle a amené deux types de conséquences contradictoires. La première a été l'effondrement de ces régimes, dans le cas de l'URSS et de ses satellites, et la construction difficile et cahotique de démocraties assumant véritablement l'idéal libertaire et égalitaire pour ce qui est des pays d'Europe de l'Est. La seconde a été le retour du déni accompagné de l'adoption d'une idéologie autoritaire et inégalitaire-nationaliste : néo-tsariste dans le cas de la Russie de Poutine, "national-communiste" dans le cas de la Chine de Xi jinping.