Etienne de LA BOETIE Discours de la servitude volontaire
Étienne de LA BOÉTIE
Discours de la servitude volontaire.
GF-Flammarion n°394, 1983, 220 p.
Chronologie, Introduction, Bibliographie, Notes par
Simone GOYARD-FABRE, professeur à l'Université de Caen.
Comme beaucoup d'autres "incontournables", ce livre dormait dans les rayons de ma bibliothèque depuis longtemps. C'est le livre de Jérémie FOA qui m'y a ramené.
Je tiens à saluer tout d'abord la richesse et la pertinence de la longue introduction de Simone GOYARD-FABRE. Le texte du "Discours" n'occupe en effet que 50 pages. Mais la nécessité d'en contextualiser et éclairer la lecture me semble indispensable.
Car, comme pour Machiavel, son quasi-contemporain, le travail de La Boétie a été hautement et intensivement instrumentalisé.
Au point que Montaigne qui envisageait de publier ce "Discours" dans ses "Essais" pour illustrer son chapitre sur l'amitié a choisi de le remplacer par ses sonnets (Chapitres XXVIII et XXIX du Livre 1).
Simone GOYARD-FABRE nous éclaire utilement sur ce point. En effet, tant MONTAIGNE que LA BOÉTIE ont vécu dans le contexte d'une guerre civile quasi-continuelle en France de 1562 à 1598. LA BOÉTIE, né en 1530 et MONTAIGNE en 1533 ont vécu la montée des haines et des intolérances qui ont conduit à cette guerre, concurremment à la richesse nouvelle d'une vie intellectuelle à laquelle on a donné le nom d'"humanisme".
Nous sommes ici confrontés à ce problème récurrent de la connexion paradoxale et toujours aussi difficile à déconstruire et dénouer entre poussée d'émancipation et réactions violentes.
Car le problème n'est pas aussi simple que celui d'une réaction mécanique des dominants à la prise de parole des dominés, façon "lutte des classes" selon Marx et ses épigones.
Il y a bien un champ de forces diverses et variées qui tendent dans différentes directions, dont l'une est la confrontation armée, avec des modalités elles-mêmes diverses, mais d'autres des variétés très différentes entre elles de compromis évitant la violence.
Dans ce champ de forces et de possibles, LA BOÉTIE et MONTAIGNE ont conjointement défendu, dans les années 1560-62, la voie d'un compromis qui garantisse la liberté de penser dans un cadre pacifique. LA BOÉTIE meurt en 1563, mais son ami poursuit ce dessein jusqu'en 1572.
Que cette tentative ait été un échec, scellé par les massacres de la Saint-Barthélémy, ne doit pas conduire, par un finalisme rétrospectif, à en conclure à son inanité.
Aussi, l'utilisation du "Discours" dans un sens antimonarchique par sa publication partielle en 1574 dans un pamphlet protestant, "Le Réveille-matin des Français et de leurs voisins" constitue un premier détournement de sa pensée.
En réalité, ce "Discours", composé semble-t-il à différentes époques de sa courte vie, entre seize et vingt-cinq ans (pp 36-39), est un exercice de rhétorique fondé sur de solides convictions humanistes, mais qui s'inscrit dans le cadre monarchique français de l'époque. Le refus de la guerre civile ultérieur de LA BOÉTIE, ses tentatives de médiation face au conflit qui montait, plaident dans ce sens. Sa critique de la tyrannie et son plaidoyer pour la liberté s'inscrivent dans la perspective d'un idéal à atteindre.
Et c'est justement cela qui en fait un livre toujours actuel.
Sa lecture peur s'avérer difficile aux adeptes actuels des phrases courtes et du vocabulaire limité au strict minimum. Elle constitue au contraire un grand plaisir pour qui aime la nuance et les références nombreuses, notamment à l'Histoire grecque et latine, dont il est abondamment nourri.
La thèse centrale du discours est que l'homme, naturellement fait pour la liberté, peut facilement s'accoutumer à la sujétion, voire à la servitude. Son propos vise essentiellement à décrire les inconvénients de celle-ci, à la fois pour les sujets et pour les maîtres, et les avantages, à l'opposé, de la liberté. On notera au passage ce point qui devait beaucoup parler à Montaigne sur l'impossibilité pour le tyran ou l'esclave volontaire d'avoir des amis...