Déclin et renouveau de la gauche (2)
Déclin et renouveau de la gauche (2) :
La faillite morale de la gauche anti-Otan.
Je suis d'accord avec JL Mélenchon sur un point : "La crise que nous vivons interroge toutes les certitudes et les doctrines passées."
Ainsi le positionnement ancien de mon parti, EELV, pour la sortie de la France de l'Otan doit être réinterrogé à la lumière des constats suivants.
C'est leur non-appartenance à l'Otan qui a permis l'invasion russe de l'Ukraine , et qui met la Moldavie et la Géorgie sur la liste des prochaines invasions, si celle-ci réussit.
Inversement, c'est l'appartenance de l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie à l'Otan qui les met, pour l'instant, à l'abri d'une telle invasion.
Mais ce double constat, la gauche anti-Otan dogmatique à laquelle Mélenchon appartient, avec Fabien Roussel et les candidats d'extrême-gauche, est bien incapable hélas de le faire.
Elle préfère broder sur les excuses de Poutine et se préparer à avaliser le "nouvel ordre mondial" ainsi analysé par Mélenchon : "A l'Onu , dans le vote sur la résolution à propos de l'Ukraine, notons l'abstention de l'Inde et de la Chine, c'est-à-dire de 50% de l'humanité. C'est un signal d'une extrême importance. Un autre ordre géopolitique du monde s'installe déjà, à partir de l'Asie." (discours prononcé à l'Assemblée nationale le 1er mars 2022, comme la citation précédente).
Ainsi, pour Mélenchon, mais aussi sans doute pour d'autres, il faudrait avaliser ce nouvel ordre mondial dans lequel ce sont des dictatures (Chine) ou des régimes autoritaires et nationalistes (Inde, Russie) qui dictent leur loi, sans égards pour les traités internationaux et les instances multilatérales comme l'Onu et pour les principes qui les fondent : respect des droits humains et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Rappelons que depuis 1991, contrairement à la fable sur le militarisme américain et occidental, la progression des dépense militaires dans le monde est le fait très majoritaire des dictatures et régimes autoritaires. Même si cela profite, du point de vue strictement mercantile, à des firmes occidentales, ceux qui sont susceptibles d'utiliser ces armes ne sont pas les gouvernements occidentaux, mais bien ces gouvernements non contrôlés par leurs peuples.
Dans une analyse datant d'août 2017 et adressée au comité local du Mouvement de la Paix, que je venais de rejoindre, je faisais déjà remarquer :
"Un monde plus complexe et plus dangereux :
effort relatif et dynamique selon les pays des dépenses militaires.
Parmi les nombreuses séries statistiques mises à la disposition du public par le Sipri (Stockholm International Peace Research Institute), l'une m'a paru particulièrement intéressante.
Il s'agit de la série mesurant, pays par pays, la part en % de la production nationale (PIB) consacrée aux dépenses militaires.
Bien que les chiffres collectés soient assortis de nombreuses restrictions sur leur exhaustivité, ils n'en montrent pas moins des différences très significatives entre pays. Ils montrent également des évolutions (la série porte sur la période 1988-2016).
https://sipri.org/databases/milex
Dynamique 1988-2016 : un rattrapage des pays émergents
Si l'on considère l'évolution sur cette moyenne durée de "l'effort militaire" des différents pays, on constate un relâchement certain des pays dits du "Nord" et une nette progression des pays émergents du "Sud".
Ainsi les USA passent de 5,7% en 1988 (apogée de la "nouvelle guerre froide") à 3,3% en 2016 (avec un creux en 1999-2001 à 2,9%, un regain de dépenses apès le choc du 11 septembre 2001 jusqu'à 4,7% en 2010, suivi d'un nouveau recul depuis).
En Europe de l'Ouest, les 3 principaux Etats (France, Allemagne et Royaume Uni) ont nettement (Allemagne et RU surtout) "baissé la garde" depuis 1988 : avec 3,6%, 2,8% et 3,8% à cette date, ils sont passés depuis à 2,3%, 1,2% et 1,9% en 2016 !
Face à cette évolution, la montée en puissance relative des "pays émergents" est impressionnante.
La Chine (dont le PIB a été multiplié par plus de 30) maintient un effort militaire à 2% du PIB, soit une multiplication par 30 de ses dépenses militaires.
L'Inde malgré son recul de 3,7% à 2,5% entre 1988 et 2016, a connu, avec un PIB multiplié par 7, une multiplication par 5 de ses dépenses militaires.
La Russie, après l'effondrement des années 1990 (estimation à 3% du PIB en 1998) a connu depuis un net regain de ses dépenses militaires avec une progression du PIB dû aux prix du gaz et du pétrole et un effort militaire porté à 5,3% en 2016 et en progression constante depuis 2012.
Une première conclusion :
Le résultat est une nette inflexion de la répartition mondiale des dépenses militaires entre 2001 et 2015 :
2001 2015
Afrique 1,66% 2,37%
Amériques 44,30% 40,55%
dont USA 38,4% 35,6%
Asie et Océanie 18,29% 26,07%
Europe 26,65% 19,91%
Moyen Orient 9,10% 11,10%
Même si les USA dominent de très loin le paysage, ils sont de moins en moins dans le quasi monopole de la force armée, et leurs alliés européens aussi.
Cette dissémination de la force militaire ne peut qu'avoir des effets déstabilisateurs sur un ordre mondial de plus en plus complexe et mouvant.
Dans ce contexte nouveau, continuer à ne lire le monde qu'avec la clé de lecture d'un impérialisme américain qui expliquerait tout semble une fausse facilité qui explique de moins en moins de choses.
Il devient vital pour les pacifistes de sortir des vieux schémas en analysant les nouveaux dangers de guerre à la lumière de la complexité des enjeux."
Malheureusement, les "vieux schémas" ont la vie dure. Et la réaction de la gauche anti-Otan à l'invasion de l'Ukraine relève de la faillite morale : refus des livraisons d'armes à l'Ukraine, appui systématique sur l'argument des "provocations de l'Otan contre la Russie" relativisent fortement pour le moins leur condamnation officielle de l'agression russe.
Complémentairement, leur fixation sur la sortie de la France de l'Otan paraît pour le moins irréaliste, voire relève du renoncement à faire reculer l'agresseur et donc à ne faire cesser la guerre que par la destruction de l'Ukraine et son asservissement.
Il s'agit bien là d'une cassure au sein de la gauche qui sera difficile à réparer. Comparable à bien des égards à la cassure de 1938 entre "munichois" (partisans de tout céder à Hitler pour garantir la paix) et "anti-munichois" (solidaires des Tchèques honteusement abandonnés et de la fermeté face à l'expansionnisme nazi).
Cela ne peut, dans un premier temps, qu'accélérer le déclin et freiner le renouveau de la gauche.