Pour la vie
Pour la vie
(et contre la manipulation de l'Histoire.)
Il m'a semblé évident de titrer ainsi ce compte-rendu du film lumineux et si juste de Sandrine Kiberlain, "Une jeune fille qui va bien".
J'aurais pu m'en tenir à la critique très circonspecte, voire négative, du "Monde" et m'abstenir d'aller voir ce film.
J'ai choisi d'aller voir, en raison de la sympathie que j'éprouve pour Sandrine Kiberlain suite à la lecture d'interviews d'elle parus bien antérieurement à son film.
Je ne l'ai pas regretté.
Je passe sur la qualité "technique" de son film (un cadrage très près des acteurs et qui épouse leurs mouvements et les émotions des personnages, qui se révèle très prenant), et je vais directement au fond.
On pourrait reprocher l'espèce de déni constant du danger qui semble habiter l'héroïne et qui va lui être, comme à d'autres à cette époque, fatal. Mais ce "déni" auquel je mets immédiatement des guillemets, n'est pas le fruit d'une inconscience coupable. Il est au contraire l'affirmation d'une volonté de "vivre comme les autres" et un refus d'assignation au rôle que les antisémites voudraient lui imposer. A ce titre, cette joie de vivre qui accompagne tout le film, malgré les signes clairement posés dont nous pouvons le voir jalonné, est une forme de résistance (terme bien galvaudé hélas aujourd'hui, et que je n'emploie qu'avec réticence) : résistance au malheur, qui permet d'arracher de derniers instants de bonheur.
Cela ne rend la fin elliptique du film que plus déchirante. Et cela en souligne à mon sens la portée. Surtout en ces temps de manipulation de l'Histoire, où certains voudraient dédouaner Vichy et Pétain de leur collaboration active au génocide.
Voici ce qu'en dit l'historien Jean-Pierre AZÉMA dans son ouvrage de référence "De Munich à la Libération (1938-1944)" (Points-Histoire n°H 114, 1979, pp 183-4) : "C'est au printemps 1942 que les premiers convois de "déportés raciaux" s'étaient ébranlés vers la "solution finale". Ils furent au minimum 75 721 qui partirent de France. Sur les 70 000 pour lesquels on possède des renseignements d'état civil suffisamment précis, on compte un peu plus de 10 000 enfants ou adolescents de moins de dix-huit ans; on dénombre aussi environ 23 000 ressortissants français et 47 000 étrangers. Il partirent en 76 convois, presque tous de la gare de Drancy-Le Bourget et presque tous rejoignirent Auschwitz; le premier était mis en route le 27 mars 1942, le dernier le 31 juillet 1944. A l'arrivée, à Auschwitz, tous ceux – la grande majorité- dont la rentabilité physique était jugée médiocre étaient immédiatement éliminés, les autres, les "sélectionnés", étaient exterminés par le travail forcé. Sur les 28 754 "sélectionnés" partis de France (20 717 hommes et 8 037 femmes) il en revint environ 2190 (dont 740 femmes) d'Auschwitz. On peut estimer – selon toute vraisemblance- qu'on survécu moins de 2 500 "déportés raciaux" de France, soit 3% des partants."