Alice ZENITER L'art de perdre
Alice ZENITER
L'art de perdre
(Flammarion, août 2017, 510 p.)
Cela faisait longtemps que j'envisageais de lire ce livre, de par son sujet et le succès rencontré. Récemment j'ai même conseillé à une amie qui reprenait les clichés habituels sur les harkis (tous traîtres et assassins) propagés par le pouvoir algérien, de le lire. Il m'a donc fallu franchir le pas pour vérifier que mon conseil était pertinent.
Lecture faite, je suis rassuré. Avec une finesse remarquable, Alice Zeniter reconstitue le contexte quotidien de la Kabylie profonde à l'époque coloniale et les mentalités d'alors. J'y retrouve les notations de Slimane Zhégidour, qui est de la génération du père de l'héroïne du livre : celle des enfants ayant vécu la période de la guerre d'Algérie.
Elle fait sentir également comment fut alors perçu le FLN dans ces montagnes, et l'ambivalence des positionnements de chacun, ainsi que l'avait également établi Zhégidour.
Ce qui va plus loin dans ce roman, c'est la retranscription du vécu des deux générations d'exilés et de la troisième génération des enfants d'exilés, celle de l'héroïne, qui est aussi celle de l'autrice, née en 1986.
La question identitaire aujourd'hui très à la mode y reçoit une réponse que je trouve très pertinente. La quête des racines est vaine : ce qui importe c'est de savoir accepter leur perte et de la dépasser en se construisant soi-même un présent et un avenir.
Contre toutes les assignations identitaires, il s'agit de connaître son passé sans le fétichiser ni le transformer en mythologie, et d'apprendre à vivre ensemble tout simplement en nous appuyant sur notre commune humanité.
Une autrice au positionnement intéressant, dont je vais explorer l'oeuvre ultérieure.
Le documentaire de Lina SOUALEM sur ses grand-parents, venus en France au début des années 50, me semble compléter utilement ce livre. Surtout après avoir entendu la réalisatrice, dont le propos rentre en complète résonance avec l'approche de ZENITER. Je pense que nous assistons à l'émergence d'une nouvelle génération d'enfants issus de l'immigration qui produit un narratif lucide sur la question identitaire à l'opposé des crispations régressives incarnées par un ZEMMOUR. Quant à celui-ci et à son écho actuel, ainsi qu'au confusionnisme qui le favorise, je renvoie à mes prochains compte-rendus de lecture.