Nouvelles radicalités et politique démocratique : apports et limites des intellectuels

Publié le par Henri LOURDOU

Nouvelles radicalités et politique démocratique : apports et limites des intellectuels
Nouvelles radicalités et politique démocratique : apports et limites des intellectuels

Nouvelles radicalités et politique démocratique :

apports et limites des intellectuels.

 

"Aux origines de la catastrophe"

sous la direction de Pablo SERVIGNE et Raphaël STEVENS (trente contributeurs)

Les Liens qui Libèrent/Imagine, novembre 2020, 204 p.

"Relions-nous !"

Ouvrage collectif (58 contributeurs)

Les Liens qui Libèrent, juin 2021, 218 p.

 

Dans le nouveau contexte idéologique qui s'installe, on assiste à la fois à une radicalisation des positions et à une montée de la confusion.

Pour qui aspire à un débat démocratique de qualité, la vigilance doit donc s'exercer sur deux fronts : celui du maintien d'une capacité à débattre et à construire des majorités plurielles cohérentes, par la pratique du compromis entre courants proches ; et celui d'une clarté des positions défendues face au brouillage des repères.

Je me suis passablement concentré ces derniers temps sur ce second aspect des choses.

Il est temps à présent, face à la prolifération des messages radicaux et à l'emballement du débat pré-présidentiel, de me consacrer au premier.

Je commence donc par l'analyse de deux ouvrages collectifs récents qui témoignent d'une mobilisation croissante d'une fraction des intellectuels (universitaires, écrivains, artistes, professions libérales intellectuelles) sur des positions radicales. Cette mobilisation s'inscrit dans une période d'affaiblissement sans précédent des partis politiques de gauche, et plus largement des "corps intermédiaires" à structuration collective (associations, syndicats). Sa particularité est d'agréger des paroles individuelles fondées le plus souvent sur la seule pratique intellectuelle de leurs auteurs.

 

Des apports indéniables

 

Que ce soit dans l'un ou l'autre recueil, nous avons des apports de spécialistes sur des questions pointues, qui nous permettent d'éclairer différentes questions.

C'est le cas plus particulièrement dans "Aux origines de la catastrophe", qui n'a pas de prétention programmatique, et vise, comme son titre l'indique, à éclairer les origines de notre présent sous l'éclairage particulier des perspectives potentiellement catastrophiques qu'il contient.

J'ai déjà dit l'intérêt qu'a suscité en moi, comme chez beaucoup d'autres, l'apparition de ce que ses inventeurs ont baptisé la "collapsologie". J'en ai aussi précisé les limites, que d'ailleurs ils ont eux-mêmes admis : abandon de toute ambition politique notamment.

Cependant, creuser ce qui, parfois lointainement, a induit des dynamiques dangereuses pour l'avenir de nos conditions de vie sur cette planète, n'est pas sans intérêt.

On retrouve ici l'importance fondamentale de l'Histoire pour penser la politique.

Ainsi, la structuration de l'ouvrage en strates chronologiques ("depuis un siècle, depuis deux siècles, depuis plusieurs siècles, depuis plusieurs millénaires, depuis la nuit des temps"), permet de situer l'enracinement et donc la résistance probable de certains processus à l'oeuvre. Cela permet de distinguer ce qui sera a priori facile ou non de remettre en cause.

L'enfermement dans le néococon numérique, la finance débridée, les énergies fossiles, la croissance, l'individualisme et la surpopulation (depuis un siècle) sont donc davantage susceptibles d'être changés ou remis en cause que l'agriculture en tant qu'activité, les religions, les mythes, les organisations pyramidales ou notre cerveau (depuis plusieurs millénaires) ou la société complexe, la thermodynamique ou la démesure (depuis la nuit des temps).

Dans le même temps, on peut s'interroger sur le choix des thèmes étudiés, qui relèvent d'ordres différents. Et surtout sur l'interconnexion de ces différents phénomènes à travers "l'arborescence des causalités" : c'est ce que font brillamment nos collapsologues en conclusion, en soulignant , avec Donella Meadows, précurseuse de leurs alertes, à quel point nous devons nous déprendre de "l'illusion du contrôle".(p 189)

 

Mais des limites

 

Que des intellectuels nous éclairent utilement sur les racines de nos problèmes actuels est donc bienvenu. Surtout quand la réflexion bénéficie d'un minimum de coordination et de synthèse collective.

Par contre, les choses se gâtent quand on leur demande de proposer individuellement des changements politiques comme dans "Relions-nous !" Et cela sans autre coordination que celle des éditeurs qui, de toute évidence, ont travaillé dans l'urgence pour mettre leur livre sur les tables des libraires avant l'été. Cette hâte témoigne apparemment d'une volonté de peser sur les débats des présidentielles.

Les propositions qui concluent chaque contribution sont de qualité très inégale, et pèchent souvent par une radicalité de surenchère typique de la posture habituelle des intellectuels qui s'enivrent de leur propre pensée. Cela risque donc davantage d'alimenter la radicalisation de l'air du temps que de permettre à la gauche de se reconstruire...

 

Conclusion

 

Encore une fois se vérifie la nécessité de bien cerner la portée des spéculations intellectuelles quand il s'agit de construire des politiques publiques démocratiques.

Tracer la limite entre vision et réalisation pratique passe par la capacité à faire partager et à définir très concrètement les mesures que l'on propose : si l'expertise des intellectuels doit être convoquée, et surtout ne pas être méprisée, elle ne suffit pas à garantir la définition de mesures démocratiquement acceptées et portées collectivement par la société. Là est le travail spécifique des politiques : il est irremplaçable. Et il passe par le débat public et les élections qui le suivent.

Publié dans politique, Histoire, écologie

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