Comment combattre les dérives sectaires ?
Comment combattre les dérives sectaires ?
Je m'interroge sur la multiplicité et la véhémence des réactions à mes derniers articles sur l'école des Boutons d'Or et sur le bilan de Jean-Michel Blanquer.
Elles mêlent à des degrés divers l'agressivité, l'arrogance, l'ironie condescendante et la culpabilisation. Et ceci en utilisant, là aussi à des degrés divers, l'amalgame (je représenterais "les écolos" et je serais devenu un allié objectif de la Manif pour Tous et de l'extrême-droite) et le procès d'intention (j'attaquerais un syndicat particulier de façon fallacieuse, alors que mon propos visait tous les syndicats de l'Education nationale, y compris le mien, pour déplorer leur impuissance face à la politique ministérielle ; je viserais à détruire le service public d'éducation, alors que je me contentais de pointer ses carences accentuées par la politique de Blanquer).
Tout cela apparemment dans le but de m'intimider pour soit me faire taire, soit me faire rentrer dans le rang en adoptant la position "juste".
Je le dis clairement : cette façon de faire m'insupporte au plus haut point. Si j'ai choisi de paramétrer mon compte Facebook en limitant son accès à ceux qui ont demandé à être mes amis, ce n'est pas pour supporter les procédés les plus détestables en vogue sur ce réseau dit social.
J'arrête donc à partir d'aujourd'hui de répondre à ce genre d'attaques.
On ne combat pas le sectarisme en adoptant des procédés sectaires
Pour moi cette affirmation n'est pas négociable. Aussi je dois commencer par me l'appliquer à moi-même : aurais-je été trop péremptoire et de mauvaise foi dans mes articles ?
Mon point de vue sur l'école des Boutons d'Or repose sur le sentiment désagréable depuis le début de cette affaire d'un acharnement très agressif et a priori contre des personnes jamais rencontrées ni écoutées, et donc traitées comme des ennemis à combattre, pas comme des personnes avec qui débattre.
Il se trouve que j'en ai rencontré fortuitement une, que je connaissais déjà comme militante de Nature & Progrès, association à laquelle j'ai appartenu quelques années, et qui s'est avéré être la présidente de l'association des parents d'élèves des Boutons d'Or. Je ne fréquente pas de très près cette mouvance bagnéraise de sensibilité "anarcho-écolo" et composée de beaucoup de néo-bagnérais. Je sais que ceux-ci ont porté la liste Bagnères Écologie Citoyenne aux dernières élections municipales, ce qui était un pas en avant par rapport au credo anti-électoraliste de certains d'entre eux. Que cette liste a suscité beaucoup d'agacement localement. Notamment à gauche. Mais de là à les accuser en bloc de repli sectaire, je partage la perplexité du journaliste de Bigorre Mag dont j'ai reproduit l'article. D'autant plus après avoir parlé avec cette présidente des parents d'élèves, dont j'ai reproduit en partie les propos.
J'ai donc relu attentivement les attendus du Tribunal Administratif de Pau déboutant en référé (procédure d'urgence) deux parents d'élèves ayant contesté la mesure de fermeture administrative de fait des Boutons d'Or à cette rentrée et leur enjoignant d'inscrire leurs enfants dans un autre établissement.
La mesure rectorale du 16 août, transmise par le Directeur départemental de l'EN le 18 aux parents, se basait sur 4 arguments : la sécurité des locaux, l'absence de liste exhaustive et justifiée des enseignants, le contrôle administratif insuffisant des présences d'élèves, et les manquements pédagogiques.
Concernant ces divers arguments, que dit le Juge administratif ?
Sécurité : en l’état de l’instruction, le recteur de l’académie de Toulouse a fait une inexacte application des dispositions précitées de l’article L. 442-2 du code de l’éducation en estimant que les conditions de fonctionnement de l’établissement sont susceptibles de présenter un risque pour l’ordre public.
Liste et titres des enseignants : Il résulte toutefois de l’instruction que la liste complète du personnel enseignant de l’école Les boutons d’or de Bigorre, assortie des dates de prise de fonction, a été communiquée le 15 mars 2021 aux services du rectorat de l’académie de Toulouse. Par suite, le motif précité de la décision du 16 août 2021 manque en fait.
Liste des élèves et contrôle des présences : Il résulte toutefois de l’instruction que la liste complète des élèves inscrits a été transmise aux services du rectorat de l’académie de Toulouse le 4 février 2021 et le 2 mars 2021 et que la mauvaise orthographie ne concernait que le nom d’un seul élève. Par ailleurs, cette même liste a été transmise les 9 et 10 mars 2021 à l’ensemble des mairies des communes de domiciliation des familles des élèves. Par suite, le motif précité de la décision du 16 août 2021 manque également en fait.
Par suite, en l’état de l’instruction, alors même que les justificatifs des absences sont classés dans le dossier administratif de chaque élève au-delà du délai d’un mois alors qu’ils devraient être conservés dans le registre d’appel, le recteur de l’académie de Toulouse a fait une inexacte application des dispositions précitées de l’article L. 442-2 du code de l’éducation en estimant que cette situation était susceptible de présenter un risque pour l’ordre public.
Manquements pédagogiques : 16. Tout d’abord, s’agissant du premier domaine de formation du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, la décision du 16 août 2021 se fonde sur ce que, s’agissant de la classe de maternelle, le développement du langage oral ne fait pas l’objet d’un enseignement structuré, sur ce que les activités menées ne conduisent pas à la maîtrise des gestes structurants de l’écriture, et donnent lieu à des relevés d’observations de l’enseignante sans trace des productions graphiques des élèves, sur ce que les élèves âgés de 5 à 6 ans disposent d’un cahier contenant leurs productions graphiques sans que l’enseignement prodigué ne développe le tracé des lettres et les préalables pour l’apprentissage de l’écriture cursive, sur ce que le degré de maîtrise de l’écriture pour les élèves les plus âgés n’est pas suffisant pour atteindre le degré de maîtrise attendu à l’issue de l’instruction obligatoire, et sur ce qu’il n’a pu être vérifié l’effectivité d’enseignements liés à la pratique d’activités physiques et sportives. Si les requérants produisent des extraits du cahiers d’élèves appartenant aux différentes classes justifiant du développement de l’écrit dans les enseignements prodigués, ils ne démontrent pas que le niveau d’apprentissage soit conforme en ce domaine à celui exigé par les dispositions précitées.
17. Ensuite, s’agissant du deuxième domaine de formation du même socle, la décision du 16 août 2021 se fonde sur ce qu’aucune activité, dans les documents préparatoires fournis, n’a été prévue et permettant d’attester d’un enseignement qui permettrait de développer des méthodes et des démarches de recherche suffisamment nombreuses, et sur ce que les traces écrites servant de leçons correspondent à des résumés collectifs écrits par l’enseignante et recopiés par les élèves. Si les requérants justifient d’un enseignement en partie basé sur les visites et les sorties hebdomadaires qui font l’objet de comptes rendus écrits par les élèves, ils ne démontrent pas qu’un apprentissage a été réalisé par l’établissement sur les méthodes et les outils pour apprendre, conformément aux dispositions précitées.
18. Par ailleurs, s’agissant du troisième domaine de formation du même socle, la décision du 16 août 2021 se fonde sur ce que la formation morale et civique n’était abordée que dans sa seule dimension de vie en classe. Il résulte de l’instruction que si les requérants justifient d’un enseignement sur les règles de civisme, il n’est pas démontré qu’il réponde aux prescriptions prévues par les dispositions précitées.
19. En outre, s’agissant du quatrième domaine de formation du même socle, la décision du 16 août 2021 se fonde sur ce que les sciences ne sont pas enseignées et sur ce que le thème abordé dans ce domaine concerne uniquement les animaux et la nature, la classification des animaux et des plantes, le corps humain étant abordé par comparaison avec celui des animaux. Il résulte de l’instruction que si les requérants justifient d’un apprentissage notamment basé sur la découverte à l’occasion des sorties pédagogiques, ils ne démontrent pas que cet enseignement s’étende sur l’ensemble des domaines requis tels que les principales fonctions du corps humain, la structure de l’univers et de la matière, ainsi que les nombres et les grandeurs.
20. Enfin, s’agissant du cinquième domaine de formation du même socle, la décision du 16 août 2021 se fonde sur ce que les matières telles que l’histoire et la géographie ne sont pas traitées. Il ne résulte pas de l’instruction que cette décision soit entachée d’inexactitude matérielle sur ce point.
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Il résulte de ce qui précède qu’alors même que l’école Les boutons d’or de Bigorre a achevé la rédaction de son projet pédagogique, qu’elle rend compte régulièrement aux parents des acquis des élèves et qu’elle a initié la mise en place d’un livret d’évaluation de ces acquis, en prenant la décision du 16 août 2021, le recteur de l’académie de Toulouse n’a pas fait une inexacte application des dispositions précitées du II de l’article L. 442-2 du code de l’éducation. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à invoquer par voie d’exception l’illégalité de cette décision, laquelle permettait sur ces seules dispositions de fonder légalement la décision attaquée.
Ainsi, c'est sur le seul motif de manquements pédagogiques pour lesquels c'est le défaut de preuves suffisantes de la part des parents qui est avancé, que la décision du juge s'appuie. Donc l'action juridique des parents qui se poursuit afin d'obtenir un jugement sur le fond devra établir que ces manquements sont bien avérés (il est bien précisé à tout moment que le jugement en référé est prononcé „en l'état actuel de l'instruction“), voire délibérés.
D'ici là, on peut débattre tant qu'on veut sur le mouvement Steiner et sa nature sectaire, qui à mes yeux ne fait aucun doute, encore faudrait-il accepter d'envisager que les parents et les enseignants puissent abandonner leur référencement à ce réseau d'écoles et les convaincre de le faire au lieu de les attaquer agressivement et sans même essayer de les rencontrer.
C'est tout ce que j'essaie, mais c'est visiblement difficile à entendre, de dire depuis le début...Je n'y reviendrai plus.
Post Scriptum (pour que les choses soient le plus claires possible) :
Pourquoi je considère le mouvement Steiner comme une secte :
La philosophie de Rudolph Steiner (1861-1925) se veut totale et cohérente avec une prétention scientifique basée sur le primat d'une biologie datée. Si elle comporte des intuitions écologistes, elle ne saurait intégrer tous les apports ultérieurs des sciences, et comporte bien des préjugés de son époque (comme le racisme biologique).
La “gourouification“ de son créateur tend au contraire à fermer la réflexion et empêche de fait toute remise en cause.
Tout ce qui y ressemble, à l'intérieur du mouvement, est aussitôt traité sur le mode de l'hérésie, d'autant que son fonctionnement est rien moins que transparent. Un biographe de Steiner, José Dupré, pourtant sympathisant de la doctrine, parle ainsi de “l'exercice souterrain, insaisissable , du pouvoir par des chefs dont la caste se reproduit d'une manière dépourvue de la visibilité minimale qu'exigerait le respect des contributeurs sociaux.“(“Rudolf Steiner, l'anthroposophie et la liberté“, La Clavellerie, octobre 2004, p 487).
Cette appropriation du pouvoir est favorisée par le faible nombre des adeptes encartés, ainsi que le souligne l'enquête du “Monde“ sur Steiner des 13 au 18 juillet derniers.
Cela contraste avec la diversité des réalisations initiées par ce courant sur tous les terrains : cosmétiques (Weleda), agriculture (label Déméter), pédagogie (écoles Waldorf-Steiner), banque (La Nef). Que toutes ces réalisations soient très inégalement encadrées par le “noyau dirigeant“ n'empêche pas le fait que celui-ci se situe dans une logique sectaire.
Pourquoi les attaques contre l'Ecole des Boutons d'Or me paraissent exagérées, complotistes et hypocrites :
Exagérées car elles présupposent que tous les parents et enseignants sont des “anthroposophes convaincus“ ou “sous emprise de l'anthroposophie“ : comme s'ils n'avaient donc aucun libre arbitre et aucune capacité de choix. Elles font en particulier l'impasse sur le fait que le choix de demande d'homologation au réseau Steiner-Waldorf a été débattu et qu'il peut être pareillement remis en cause par le débat.
Complotistes car elles s'appuient sur une vision du mouvement Steiner comme tout-puissant et omni-présent (je découvre ainsi que le système d'évaluation internationale des écoles Pisa serait une “création steinérienne“...puisqu'un membre de son comité scientifique serait affilié au mouvement Steiner ! Ainsi est disqualifiée toute comparaison internationale ce qui est bien commode, comme on le verra dans le point suivant).
Hypocrites car elles postulent que le système éducatif public français serait tellement parfait (il manque seulement de moyens) qu'aucun parent d'élève n'aurait la moindre raison d'y soustraire son enfant pour le mettre dans une école parallèle. Est ainsi occulté le fait que les inégalités sociales sont aujourd'hui non seulement reproduites par l'Ecole, mais renforcées : on savait depuis le début des années 70 (Bourdieu et Passeron, Baudelot et Establet) que l'Ecole française reproduisait les inégalités sociales et ne les réduisaient pas. Que son fonctionnement autoritaire, hyper-abstrait et hyper-normatif était en cause (voir toutes les pédagogies dites “nouvelles“ et les tentatives avortées de réformes du début des années 80). On sait à présent que depuis 30 ans les inégalités socio-scolaires se sont peu réduites, malgré la massification de l'accès au bac : ce sont les enquêtes Pisa qui le disent, reprises par l'Insee – qui n'est pas à ce jour encore dénoncée comme “officine steinérienne“, mais ça ne saurait tarder - mais également les parcours scolaires des élèves selon leur catégorie sociale d'origine. Les études menées sur les Grandes Ecoles montrent une diversification sociale de recrutement en recul. Mais surtout, le vécu scolaire du commun des élèves reste marqué par le modèle autoritaire, abstrait et normatif qui reste celui de la grande majorité des enseignants : la révolution pédagogique n'a pas eu lieu, malgré des adaptations forcées à la massification. D'où les frustrations de certains parents qui cherchent “autre chose“.