Michel JEURY (alias Albert HIGON) Le jour des Voies
Michel JEURY
sous le pseudonyme d'Albert HIGON
Le jour des Voies
(J'AI LU n°761, 1977, 220 p.)
Dans les années 1970, la collection de livres de poche "J'AI LU", émanation des éditions Flammarion, lance une série "Science-fiction et fantastique" dirigée par Jacques SADOUL, dont l'objet est "d'éditer ou rééditer les meilleurs auteurs du genre".
C'est par ce biais que j'ai découvert cette littérature, comme beaucoup de jeunes de ma génération.
En particulier des auteurs comme Isaac ASIMOV, A.E. VAN VOGT, et, surtout, Philip K.DICK.
Dans la foulée de ces "grands classiques", une nouvelle génération d'auteurs français se lève alors, incarnant une "nouvelle science fiction" à prétention sociologique voire politique, bien dans l'air du temps contestataire de ces années-là.
Michel JEURY incarne cette veine à sa façon. Sa présentation par un autre auteur de cette génération, Gérard KLEIN, le met bien en lumière : https://www.quarante-deux.org/archives/klein/prefaces/jeury.html
C'est en effet le seul écrivain de SF d'origine paysanne et retourné dans son village d'origine où il écrit l'essentiel de son oeuvre.
Ce titre, paru donc en 1977, ne constitue pas l'un de ses ouvrages les plus reconnus. A cette époque, il vient de conquérir la notoriété grâce au succès critique du "Temps incertain" , prix du meilleur roman français de SF 1974, et a décidé de ne plus vivre que de sa plume. Il publie alors de nombreux romans et nouvelles.
"Le jour des Voies" est un récit d'anticipation censé se passer en 2016.
Ce qui me frappe tout d'abord c'est la façon dont l'évolution sociale, qui sert de cadre à l'histoire, est anticipée : "Depuis qu'on avait pris l'habitude de mettre une majuscule à Maison -House, Haus, Casa... - pour distinguer les châteaux-forts électroniques des privilégiés des habitations ordinaires, le monde glissait sur la mauvaise pente. Les services fiscaux parlaient de "résidences exceptionnelles" , R.E., et résistaient à leur prolifération en multipliant les règlementations inefficaces.. Le syndicat de propriétaires se battait pour que l'administration supprime le sigle R.E., considéré comme injurieux, et qu'elle le remplace par R.I. (résidence individuelle) (...) Dunn, Arkady, IHM et beaucoup d'autres firmes fabriquaient de plus en plus de Maisons de plus en plus sophistiquées. En 2015 étaient apparus les premiers immeubles collectifs de ce type, en Europe et en Amérique.(...) Dans un monde de plus en plus dur, les gens s'enfermaient et se fermaient. Les sociétés privées encourageaient le mouvement, d'abord parce qu'elles y trouvaient leur profit, et ensuite parce que les Maisons (individuelles ou exceptionnelles) constituaient un excellent barrage contre le socialisme renaissant.(...) Mais la prolifération des Maisons menaçait plus que le socialisme. La société capitaliste elle-même était en danger (...). Le système des Maisons amorçait un retour à la féodalité.(...) Mais que se passerait-il dans les "châteaux" ? Les propriétaires ne deviendraient-ils pas, sous l'effet de la narcose, les esclaves de leurs machines ? Dogmaster & Smith (société de prévisionnistes) prévoyaient une décadence rapide de la culture et de la civilisation occidentales." (pp 66-7)
Comment ne pas voir ici une prémonition de notre monde hyperconnecté, hyper-ghettoïsé et hyper-inégalitaire avec plus de quarante ans d'avance ? Quelqu'un me faisant remarquer que les concepteurs de nouveaux produits sont aussi de grands lecteurs de SF... Je rajouterai qu'il n'y a là-dedans ni complot ni fatalité, mais l'effet de choix collectifs dont les conséquences ou effets pervers ne sont pas suffisamment anticipés et discutés.
Toujours est-il que l'histoire ici racontée met en avant le besoin persistant de l'humanité d'échapper à la domination pour construire sa propre histoire.