AI Weiwei Dans la peau de l'étranger

Publié le par Henri LOURDOU

AI Weiwei Dans la peau de l'étranger

AI Weiwei

Dans la peau de l'étranger

En guise de manifeste

traduit de l'anglais par Béatrice COMMENGÉ

Actes Sud, juin 2020, 52 p.

 

Ce très court manifeste (son titre original en allemand est "Manifeste sans frontières") est augmenté d'une non moins courte préface à l'édition française, datée du 2 juin 2020.

Il s'agit d'un texte d'artiste revendiqué : à la fois donc très personnel et très universel. Il constitue un plaidoyer non ambigu en faveur de l'accueil des exilé-e-s.

 

Pour cela, AI Weiwei s'appuie sur son expérience personnelle dont il s'efforce de nous transmettre le sens.

Fils du poète AI Qing et né en 1957, son père fut emprisonné l'année-même de sa naissance lors du fameux mouvement "anti-droitiers" qui avait suivi celui des "cent fleurs" encourageant les intellectuels à s'exprimer librement par le pouvoir maoïste, puis condamné à l'exil.

L'enfance de AI Weiwei se déroula donc sous le signe de la fuite perpétuelle. "Mon plus ancien souvenir est une phrase de mon père : "Il faut partir, aller plus loin." (p 11)

La famille, originaire de Pékin, est pourtant exilée très à l'Ouest : au Xinjiang. Mais les persécutions et discriminations se poursuivaient de village en village.

"Mon père a été pourchassé, insulté et battu en pleine rue. Certains lui versaient de la terre ou de l'encre sur la tête. On lui imposait les tâches les plus dures et les plus humiliantes, comme de nettoyer les toilettes publiques.

(...) Aujourd'hui encore, je suis poursuivi par les images de ce monde hostile et j'entends les cris et les malédictions des villageois. Cette expérience précoce de dégradation quotidienne m'a profondément marqué. Elle explique peut-être pourquoi je peux me mettre dans la peau de l'étranger perçu comme un danger par son entourage et par la société." (p 12-3)

Ce n'est qu'au bout de 20 ans de cette existence errante que la famille est "réhabilitée", en 1977 donc, et qu'elle peut réintégrer Pékin.

 

De cette expérience de vie, AI Weiwei tire la leçon suivante : "le pire c'était de ne pas avoir de voix pour dire qui nous étions. Ce dont souffrent aussi les personnes déplacées de nos jours. L'expérience est universelle." (p 13)

"Au début, celui qui vient d'ailleurs est présenté comme un marginal, une sorte de clandestin. De là, il n'y a qu'un pas pour le percevoir comme un danger, une menace pour les autres, les soi-disant "normaux".

Il suffit de si peu pour convaincre une majorité que vous n'en faîtes pas partie ! (...)

C'est une chose qu'il faut toujours garder à l'esprit pour ne pas tomber dans le piège qu'on vous tend. Les exclusions sont les premiers et les principaux ingrédients de la haine dans ce monde, et elles en sont aussi les fruits." (p 13-4)

Un exemple tout récent me vient à l'esprit. Il suffit du choix d'un banal article pour titrer un texte paru dans un journal local ce matin. Il s'agit du nième épisode des installations illégales de "gens du voyage" dans l'espace public de nos villages périurbains. Le titre: "Les gens du voyage évacués de l'enceinte de l'école !" aurait pu être, de façon plus factuelle : "Des gens du voyage évacués de l'enceinte de l'école." Et son sens en aurait été radicalement changé. Au lieu de rappeler la ligne de séparation infranchissable entre "eux" (les marginaux dangereux) et "nous" (les gens normaux), il aurait juste évoqué un épisode particulier concernant des gens particuliers.

Je passe bien sûr sur le contenu de l'article... dont il y aurait beaucoup d'autres choses à dire, et qui en fait justifie l'emploi du "Les"...

 

Or, comme le fait remarquer opportunément AI Weiwei dans sa préface, l'expérience de la pandémie de Covid-19 aurait dû faire "toucher du doigt la condition de réfugié à une grande partie de l'humanité. Beaucoup se sont retrouvés sans emploi, séparés de leurs amis et de leur famille. Il ne leur a pas été possible d'accompagner leurs proches dans la maladie, de leur tenir la main, de recueillir leurs dernières paroles.Ni même d'assister à leurs funérailles. Tel est le sort ordinaire du réfugié, qui n'est ni reconnu, ni accepté par la société.

(...) Ce danger qui les menace tout particulièrement requiert notre adhésion à ce principe d'humanité : toucher aux droits de quelques-uns, c'est toucher aux droits de tous." (p 7-8)

 

 

D'où la conclusion : "Le sort des réfugiés pourrait être un moteur de civilisation. Si nous reconnaissons sa puissance, il fertilisera nos esprits, nos connaissances, notre littérature, nos beaux-arts et notre musique. Les flux humains font bouger la société, la vie gagne en éclat et en intérêt. C'est pourquoi je ne vois pas ce qui se passe actuellement dans le monde comme une apocalypse, ainsi que voudraient nous en convaincre les xénophobes de tous les pays, mais plutôt comme un mouvement fluide et tout simplement humain." (p 46)

 

C'est ce que AI Weiwei a voulu rendre perceptible par son film de 2017 "Human flow" tourné dans quarante camps de réfugiés du monde entier entre 2015 et 2016.

 

Cette précieuse goutte d'eau fera-t-elle croître le sentiment de commune humanité, ou bien "celui qui vous aide dans une telle situation , ou qui éprouve simplement de la compassion pour vous (continuera-t-il à prendre) le risque d'être considéré comme un traître et banni à son tour" ? (p 14)

Publié dans Immigration, Europe

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