Samar YAZBEK 19 femmes-Les Syriennes racontent
Samar YAZBEK
19 femmes
Les Syriennes racontent
2017, traduit en 2019 de l'arabe (Syrie) par Emma AUBIN-BOLTANSKI et Nibras CHEHAYED,
Stock-La Cosmopolite
Réédité en poche, Pocket n°18108, en janvier 2021, 394 p.
Postface de Catherine COQUIO.
Il est particulièrement important que ce soient des femmes qui témoignent de ce qui s'est passé en Syrie depuis mars 2011, tant leur point de vue est précieux pour apprécier la portée et les limites de ce qu'il faut bien appeler une révolution.
Car l'événement révolutionnaire a été recouvert par les deux forces masculinistes du confessionnalisme et de la militarisation.
Samar Yazbek a donc tendu son oreille à cinquante-cinq Syriennes et rempli ses petits carnets "dans leurs pays d'asile – en Turquie, en France, en Allemagne, au Canada, au Liban, en Angleterre et aux Pays Bas - , ainsi que sur le territoire syrien."
"Parce que leurs expériences se ressemblaient et se répétaient, (elle n'a) retenu que dix-neuf de ces récits" (p 13)
Elle a privilégié dans sa sélection la variété géographique. Celles désignées par un simple prénom ont choisi l'anonymat, celui-ci a donc été changé. C'est le cas de 11 d'entre elles. Les 8 autres témoignent sous leur vrai nom.
De générations différentes, la majorité d'entre elles sont cependant plutôt dans la tranche 25-35 ans. Leur plus grand point commun est d'être issues de la classe moyenne éduquée.
La limite du livre est là : "la voix des déplacées et réfugiées dans les camps – démunies au point de ne pouvoir ni traverser les frontières ni nourrir leurs enfants – est totalement absente." (pp 15-16)
Cependant Samar Yazbek nourrit l'espoir de pouvoir un jour la recueillir.
Une prise de parole et de responsabilité
C'est le premier point commun à tous ces témoignages. Quel que soit le contexte, toutes ces femmes sont sortie du silence et de l'effacement dans lesquels une société très masculiniste aurait voulu les cantonner.
Or, leur profil "idéologique" est très différent : certaines sont des musulmanes très pratiquantes, d'autres des laïques militantes. Et pourtant, toutes se retrouvent sur certains constats.
Le premier constat est le refus des hommes de prendre sérieusement en compte leur parole et leur action. Toutes se sont heurtées à ce "mur de verre" du déni masculin.
Or, elles sont toutes engagées dans des actions déterminantes pour la survie du mouvement d'opposition et l'avenir du pays : le plus souvent des actions humanitaires (ravitaillement, soins médicaux) ou éducatives (auprès des enfants ou des femmes), mais aussi dans l'information et la communication, la gestion...
Cela leur vaut un minimum de reconnaissance. Mais celle-ci est peu à peu rognée par l'essor des groupes armés qui prennent bientôt toute la place, en lien avec le monopole progressif des groupes religieux fondamentalistes, sponsorisés par les monarchies du Golfe.
Un positionnement politique commun
Les positionnements communs sont ceux du refus de la militarisation et de la confessionnalisation du conflit avec le pouvoir. Ces positionnements rejoignent ceux des voix masculines les plus lucides. Ils s'appuient tantôt sur l'expérience politique, pour les deux plus anciennes, formées dans les années 60-70 et dans la mouvance "de gauche", tantôt sur une intuition spontanée, née de leur constat précédent et de leur lutte personnelle contre le poids de la tradition patriarcale.
Le traumatisme de la violence subie
Certaines ont vécu l'expérience de l'emprisonnement et de la torture. C'est une expérience très partagée dans la Syrie des dernières années (on estime à près de cent mille le nombre de personnes disparues dans les geôles du régime ou des groupes d'opposition – à plus de 90% dans celles du régime). Elle fait écho à celle subie par les opposants des années précédentes, et à celle de toutes les victimes des dictatures et totalitarismes.
Personne n'en sort indemne. Et il faudra sans doute du temps avant d'en solder les effets.
Difficile d'échapper en ce cas à trois postures également négatives : le déni, la victimisation et le ressentiment. Dépasser les impasses de ces trois postures, qui généralement coexistent, n'est pas un mince travail.
La prise de parole que constituent ces récits en est la première et indispensable étape.
Au total, un livre indispensable pour préparer un futur vivable pour l'ensemble des Syriens.