May PICQUERAY Un anarchisme bondieusard ?

Publié le par Henri LOURDOU

May PICQUERAY Un anarchisme bondieusard ?

May PICQUERAY

May la réfractaire

(Libertalia-poche, février 2021, 332 p.)

Un anarchisme bondieusard ?

 

Je retrouve dans ces souvenirs autobiogaphiques beaucoup de figures connues, au premier chef Louis Lecoin, Emma Goldman et Alexandre Berkman.

C'est à propos de ce dernier que je me suis dit finalement que j'avais ici affaire à une "anarchiste bondieusarde".

Comme il y a des "communistes à oeillères", des "socialistes mitterrandolâtres", des "Insoumis mélenchonolâtres" ou des "écologistes autosatisfaits", il y a en effet des "anarchistes bondieusards". Leur bondieuserie s'exprime par une forme de culte des saints, icônes intouchables dont on ne saurait trop approcher l'image sous peine de blasphème.

Cette bondieuserie conduit à une forme d'étroitesse d'esprit que je n'ai pas, à l'inverse, rencontrée chez certains croyants religieux, pourtant a priori plus exposés à ce travers.

Ici le révélateur final fut pour moi le commentaire véhément opposé à l'appréciation du traducteur français des "Mémoires de prison d'un anarchiste" sur l'évolution de Berkman dont son livre rendait compte : "Complètement aberrant !" nous assène May Picqueray (p 144) après l'avoir cité. Pour moi qui ai lu attentivement ces "Mémoires", ainsi que ceux d'Emma Goldman et le livre de Berkman sur la révolution russe, c'est à l'évidence le jugement de Picqueray qui est aberrant. Berkman a en effet fortement évolué dans sa perception des choses et sa conception de l'action, ce qui ne signifie par pour autant qu'il ait renié ses principes, contrairement à ce qu'a cru comprendre Picqueray de l'appréciation incriminée. Cette sacralisation d'une icône, on la retrouve aussi à propos de Makhno, le leader paysan ukrainien pourchassé par les bolcheviks et un temps accueilli par May à Paris : elle avalise sans le moindre recul critique sa version de l'entrevue qu'il a eue avec Lénine au Kremlin, ou ce dernier aurait admis : "Il se peut que je me trompe ..."(p 209). Une prétention qui prête à sourire...Lénine se tromper ? Pas même en rêve !

Bref, malgré une énergie hors du commun, une volonté d'indépendance qui la pousse à élever seule ses trois enfants sans s'encombrer de leurs pères, et une générosité indéniable, May Picqueray fait partie de cette catégorie de militants que le doute n'effleure jamais...

Je constate une fois de plus ce paradoxe : l'énergie militante est corrélée souvent avec cette conviction sans la moindre faille, qui peut conduire au sectarisme et aux pires aveuglements.

Heureusement ce ne fut pas le cas de May Picqueray en raison des causes qu'elle a choisies : l'aide humanitaire et le refus de la guerre, dans des positions où elle n'exerçait pas de pouvoir.

Mais il reste toujours indispensable de garder au fonds de soi ce zeste de doute et d'esprit critique, qui peuvent lester l'action militante à la fois de l'ironie et du sens de l'humour qui évitent de se prendre trop au sérieux, et de la lucidité nécessaire à une efficacité dans l'action.

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