Pourquoi plus de végétal dans nos assiettes ?
Pourquoi plus de végétal dans nos assiettes ?
Je commencerai par citer ce qu'en disent les 150 membres de la Convention Citoyenne sur le Climat dans leur rapport final de juillet 2020 .
Mais auparavant, je les laisse se présenter :
"Qui nous sommes ?
Citoyennes et citoyens libres, indépendants de tout parti ou influence, représentatifs de la
société : nous sommes 150 femmes et hommes âgés de 16 à 80 ans, de toutes origines et
professions.
Nous avons été sélectionnés par tirage au sort selon une génération aléatoire de numéros
de téléphone, sans nous être portés volontaires préalablement, pour être membres de
la Convention Citoyenne pour le Climat afin que nous formions une image de la société
française capable de vous représenter. (...)
Notre expérience de la Convention Citoyenne
(...)
Pour répondre à la question qui nous a été posée, « Comment réduire d’au moins 40 % par
rapport à 1990 les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans le respect de la justice
sociale ? », nous avons échangé librement dans la pluralité de nos opinions. Nous nous
sommes nourris d’échanges avec des experts et des représentants économiques, associatifs
et publics, afin d’être en capacité de rédiger des mesures concrètes, en connaissance de
cause et en toute indépendance.
Nous avons appris à être plus attentifs et plus tolérants aux avis de chacun dans le respect
de notre diversité. Se mettre d’accord a parfois été compliqué du fait de nos différences
d’opinions, de modes de vie, de culture, d’origine sociale. Cette convention a donc été
une leçon de vie démocratique et participative. Nous avons travaillé intensément, avec
conviction, envie et un sentiment d’urgence face au climat pour parvenir à des propositions
communes.
En dehors des sessions de travail qui nous ont réunis, beaucoup d’entre nous se sont fortement
investis dans leur territoire pour partager notre mission, notre prise de conscience et nos
ambitions. Nous avons souhaité le faire car c'est à nous de faire vivre et protéger l’endroit où
nous vivons. Nous avons ainsi écouté nos amis, voisins, concitoyens, d'associations, des élus
et des institutions locales et nationales. Ces rencontres nous ont permis de recueillir toute
l’expérience et tous les ressentis de nos interlocuteurs, et ainsi confronter nos réflexions
collectives à la réalité quotidienne mais aussi aux enjeux économiques, géographiques,
politiques et sociaux de chaque territoire.
La mixité qui nous caractérise ainsi que les échanges lors des sessions, et toutes les
rencontres en dehors des sessions nous ont permis d’être plus justes et pertinents dans
notre travail.
(...)
Transition
Il apparaît inévitable de revoir nos modes de vie, nos manières de consommer, de produire
et travailler, de nous déplacer, de nous loger et de nous nourrir afin de réduire de 40 % les
émissions de GES d’ici 2030. En 2019, l’empreinte carbone moyenne d’un Français est de
11,2 tonnes d’équivalent CO2 alors qu’elle devrait être de 2 tonnes par an pour atteindre les
objectifs de l’Accord de Paris. (pp 8-9) (...)
Leur rapport définit des objectifs déclinés dans les différentes thématiques concernant le mode de vie.
C'est seulemenrt à la p 312 qu'apparaît la Thématique : Se nourrir.
Le constat
Les émissions de gaz à effet de serre issues de l’alimentation des ménages en France
s’élèvent à 163 Mt d’eqCO2, soit 24 % de l’empreinte carbone des ménages en France (Source : BARBIER C., COUTURIER C., POUROUCHOTTAMIN P., CAYLA J-M, SYLVESTRE M., PHARABOD I., 2019, « L’empreinte énergétique et carbone de l’alimentation en France », Club Ingénierie Prospective Energie et Environnement, Paris, IDDRI, 24p.)
Les émissions du secteur agricole et alimentaire doivent être divisées par deux pour atteindre
l’objectif de neutralité carbone en 2050. À plus court terme, pour atteindre l’objectif de
réduction d’au moins 40 % des gaz à effet de serre en 2030, les émissions gaz à effet
de serre de l’agriculture et de l’alimentation doivent être réduites de 20 % par rapport à
2015. Des mesures, programmes et actions sont déjà en cours aujourd’hui mais n’ont pas
réussi à entamer un changement assez profond de l’assiette du consommateur pour
réduire les émissions.
Nous entendons mobiliser des leviers d’action pour réduire les émissions, qui agissent
comme un ensemble. Il nous semble important d’agir sur l’ensemble de la chaîne
de production alimentaire en partant du consommateur jusqu’à l’agriculteur. Cette
modification profonde de notre système passe par un changement de nos habitudes et
l’adoption progressive d’une nouvelle assiette. D’ici 2030, notre assiette devra comprendre
20 % de viande et de produits laitiers en moins mais plus de fruits et légumes, de légumes
secs et de céréales.
Par chance, ces évolutions souhaitables pour le climat vont dans le même sens que
celles qui sont souhaitables pour la santé si l’on en croit les derniers repères nutritionnels
publiés en 2018 par le Haut conseil de santé publique qui ajoute qu’il serait bon qu’au moins
20 % des fruits et légumes, céréales, légumineuses soient issus de produits biologiques.
Nous ne voulons pas dicter aux gens ce qu’ils doivent consommer. Nous voulons plutôt
nous assurer que tout le monde ait accès aux bonnes informations concernant les
impacts sur le climat et la santé, de son choix d’achat ou de consommation ; que le
choix de produits adaptés soit facilité et accessible à tous ; que les producteurs soient
aidés et accompagnés pour adapter leurs pratiques, organiser une offre adaptée aux
nouveaux besoins. Nous avons conscience de la connexion à l’extérieur de notre système
alimentaire : notre volonté est d’agir dans un contexte globalisé avec efficacité.
L'ambition
→ Se nourrir est un besoin vital, cependant il génère de nombreuses émissions de gaz
à effet de serre. Il est urgent de faire évoluer notre façon de manger et de réinventer
un système alimentaire durable d’ici à 2030 ;
→ Chacun devrait pouvoir accéder à une alimentation saine, durable et de qualité,
grâce à une agriculture, une pêche, une industrie agroalimentaire, respectueuses du
climat, des écosystèmes et de la biodiversité ;
→ Pour réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et dans
un esprit de justice sociale, nous devons développer de nouvelles pratiques agricoles,
de pêche et environnementales, ainsi que transformer l’industrie agroalimentaire et
la distribution dans un souci éthique, tout en portant une ambition de changement du
modèle économique du système agricole.
(pp 312-313)."
Mais qu'est-ce qui fonde ce parti pris pour moins de produits animaux et plus de produits végétaux dans nos assiettes ?
Il est apparu massivement dans le débat public en 2019 :
"Au fil des études, les scientifiques répètent le même message : si l’ensemble de la chaîne alimentaire pèse pour environ un tiers des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, la consommation carnée en est un des principaux facteurs. « La viande, et en particulier la viande de ruminant (bœuf et agneau), est l’aliment avec le plus d’effet sur l’environnement », écrivait en août 2019 le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans un rapport sur le changement climatique et les terres."
Dans son rapport spécial sur les terres émergées le Giec constate que "les terres subissent une pression de plus en plus forte, les activités humaines affectant plus de 70 % des terres (hors glaciers) et un quart d'entre elles sont déjà dégradées. "La croissance démographique, les changements dans la consommation de denrées alimentaires, de nourriture pour les animaux d'élevage, de fibres, de bois et d'énergie entraînent des rythmes d'utilisation croissante des terres et de l'eau douce sans précédent", souligne Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe de travail I du Giec.
Plus de 7.000 publications analysées Le rapport spécial du Giec a été élaboré pendant deux ans par 107 experts provenant de 52 pays. Pour la première fois, une majorité (53 %) des auteurs d'un rapport du Giec provient de pays en développement. L'équipe a passé en revue plus de 7.000 publications scientifiques et s'est penchée sur plus de 28.000 commentaires d'experts et de gouvernements.
Cercle vicieux
Nous sommes dans un cercle vicieux. La dégradation des terres réduit leur capacité à stocker du carbone, explique la chercheuse. Ce qui aggrave le changement climatique, qui, en retour, aggrave la dégradation des terres de différentes manières. Environ 500 millions de personnes vivent d'ores et déjà dans des zones touchées par la désertification. "Même un réchauffement planétaire limité à environ 1,5 °C entraînera une augmentation des risques liés aux pénuries d'eau dans les zones arides, aux dommages causés par les incendies, à la fonte du pergélisol et à l'instabilité du système alimentaire", prévient Mme Masson-Delmotte. Avec un réchauffement de 2 °C, "les risques liés à la fonte du pergélisol et à l'instabilité du système alimentaire seront très élevées", ajoute la chercheuse.
"La sécurité alimentaire sera de plus en plus compromise par le changement climatique à venir en raison de la baisse des rendements, en particulier dans les régions tropicales, de l'augmentation des prix, de la réduction de la qualité des nutriments et des perturbations de la chaîne d'approvisionnement", explique Priyadarshi Shukla, coprésident du groupe de travail III du Giec.
Alors que les différents usages des terres sont eux-mêmes sources d'une grosse part (23 %) des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux activités humaines, l'amélioration de l'utilisation des terres et de notre système alimentaire a un rôle important à jouer tant pour l'adaptation que pour la réduction des rejets de gaz à effet de serre, explique Valérie Masson-Delmotte. "Les projections entre 2010 et 2050 montrent, en effet, qu'en l'absence de changement technologique et d'autres mesures d'atténuation, le secteur agricole verra ses émissions de GES augmenter de 80 à 92 %", explique Julien Demenois, chercheur en écologie au Cirad.
"Les régimes alimentaires équilibrés riches en aliments d'origine végétale tels que les céréales secondaires, les légumineuses, les fruits et les légumes, et les aliments d'origine animale produits de façon durable dans des systèmes à faibles émissions de gaz à effet de serre offrent de bonnes possibilités d'adaptation aux changements climatiques et de limitation de ces changements", explique Debra Roberts, coprésidente du groupe de travail II du Giec.
Les experts du climat montrent tout l'intérêt que présente une gestion durable des terres. Mme Masson-Delmotte cite ainsi une série de solutions, parmi lesquelles l'agroécologie, l'agroforesterie, la diversité d'espèces végétales et forestières, l'agriculture biologique ou encore la conservation des pollinisateurs. Ce qui permet aussi de démontrer la communauté d'intérêt avec le combat en faveur de la biodiversité, alors que les experts internationaux de la diversité biologique ont déjà tiré le signal d'alarme en mars 2018 sur la dégradation mondiale des terres après l'avoir fait, deux ans plus tôt, sur les pollinisateurs.
La suite de cet article souligne l'oecuménisme des réactions à ce rapport :
"Mettre fin à l'agriculture industrielle destructrice"
"Nous devons mettre fin à l'agriculture industrielle destructrice et investir dans les approches agroécologiques qui stockent du carbone, améliorent la santé des sols et augmentent les rendements", réagit Nicolas Vercken d'Oxfam France après la publication du rapport. L'ONG, dont l'objet principal est la lutte contre la pauvreté, demande aux politiques de "rejeter les fausses solutions qui détournent la terre de la production alimentaire au profit de cultures destinées à la production d'énergie et à la capture de carbone". "Une gestion prudente de la bioénergie (production de biomasse pour l'énergie) permettra (…) d'éviter des risques pour la sécurité alimentaire, la biodiversité et la dégradation des terres", juge en effet Valérie Masson-Delmotte.
Pour Greenpeace, les citoyens peuvent agir à leur niveau en réduisant leur consommation de viande et de produits laitiers mais les pouvoirs publics ont un rôle central à jouer. Par exemple, en "soutenant la transition agroécologique face au développement des fermes- usines, en mettant un terme aux importations en France de soja issu de la déforestation et destiné à l'alimentation animale, ou en développant l'offre de repas végétariens dans la restauration collective".
"Le Giec donne raison aux écologistes", se félicite Europe Ecologie – Les Verts (EELV). "Le modèle actuel repose sur une agriculture intensive qui entraîne la disparition des petites exploitations et de l'activité économique qui les accompagne, une explosion des maladies liées à l'alimentation (diabète, obésité, maladies cardiovasculaires) à cause d'une alimentation déséquilibrée, un usage massif de pesticides (qui entraînent des maladies chez les agriculteurs et les consommateurs) et de fertilisants (qui dégradent la qualité des aliments et de l'eau) et est très gourmande en eau", analyse la formation écologiste. EELV appelle le gouvernement à agir à travers la politique agricole commune (PAC), en cours de révision, afin que "l'enveloppe de 60 milliards d'euros soit utilisée pour bâtir une agriculture paysanne et biologique".
"Agriculture diversifiée, territoriale et à taille humaine"
Pas de mention de la PAC dans le communiqué du 8 août, par lequel quatre ministres (Affaires étrangères, Ecologie, Recherche, Agriculture) saluent la publication du rapport "fondé sur une analyse rigoureuse et objective des connaissances scientifiques les plus récentes". Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture, y affirme soutenir "la transition vers l'agroécologie et une bio-économie plus résiliente, travail[er] activement à la reconquête des sols, en luttant contre leur artificialisation, mais aussi en privilégiant leur fertilité pour la production végétale, leur qualité sanitaire, leur capacité à stocker le carbone…".
Les organisations agricoles saluent, elles-aussi, les conclusions du Giec, affichant chacune leur brevet d'écologisme. A l'exception toutefois de la Confédération paysanne restée paradoxalement silencieuse sur ce nouveau rapport. La FNSEA salue ainsi l'"approche raisonnable" du Giec qui préconise "une agriculture diversifiée, territoriale et à taille humaine". Le syndicat majoritaire indique y retrouver "les caractères fondamentaux qu'elle défend depuis toujours" et se dit prêt à "produire plus et mieux avec moins" pour répondre au double enjeu alimentaire et climatique. La Coordination rurale salue la prise en compte de la vie du sol par les experts internationaux. "Ce que notre syndicat fait depuis plus de 20 ans, vante l'organisation agricole, via notamment le Festival du non-labour et semis direct et son engagement pour l'agriculture de conservation et les techniques culturales simplifiées".
Aussi, on peut s'interroger sur les réactions hystériques à la simple application de ses préconisations, simplement reprises par la Convention Citoyenne sur le Climat...et que certaines municipalités commencent à mettre timidement en pratique.
Il y a, de toute évidence un fantasme collectif, très présent dans le monde agricole, comme le montrent certaines réactions outrancières, sur "l'idéologie végan", qui joue à peu près le même rôle, (mutatis mutandis : les sujets n'ont rien à voir) que la prétendue "théorie du genre" dans le refus du mariage homosexuel et de la PMA.
Face à une inversion de nos représentations (la viande comme symbole de sortie de la pauvreté et les produits animaux comme unique source de protéines qui se transforment en leur contraire : la viande comme problème écologique et source de la malnutrition chez les pauvres -aujourd'hui ce sont eux qui mangent le plus de viande dans les pays riches et qui ont le plus de problèmes de santé liés à la nutrition : obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires), le choc est tel pour certains qu'il génère la panique et la fabrication d'un épouvantail : "les végans", dont les écologistes seraient les porte-paroles, manipulés (les uns comme les autres) par les gros industriels de la "viande de synthèse" dans le but de détruire la paysannerie.
Sortir de ce fantasme est impératif si l'on veut avancer dans la lutte contre l'accélération du changement climatique.