Pour la recherche en sciences humaines et sociales

Publié le par Henri LOURDOU

Pour la recherche en sciences humaines et sociales

Pour la recherche scientifique

 

J'ai été scotché par cette chronique de la sociologue Anne Bory, dans le supplément hebdo "Science & médecine" du "Monde" daté 9-12-20 (supplément soit dit en passant en voie de réduction, puisqu'il ne fait plus l'objet d'un cahier séparé, mais d'un encart, réduit de huit à quatre pages).

Sur le sujet des origines de "l'engagement djihadiste des jeunes", encore âprement controversé, elle remettait quelques pendules à l'heure (dont la mienne, encore trop marquée par l'économisme de gauche).

Pour cela elle s'appuyait sur les travaux de ses collègues Laurent Bonelli et Fabien Carrié, résumés dans leur ouvrage "La Fabrique de la radicalité" (Seuil, 2018), et développés dans divers articles de revues savantes.

Fondés sur l'analyse de 120 dossiers de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse), et des entretiens avec 57 professionnels qui les ont rédigés ou utilisés, ils ont donné lieu à une interprétation sociologique à travers deux critères d'analyse : l'intégration des jeunes dans d'autres collectifs que la famille et la régulation de leur comportement au sein de celle-ci.

Ceux-ci sont confrontés aux différents registres de "radicalité" identifiés par les professionnels de la PJJ ayant justifié leur signalement. Ils sont classés en 4 catégories par les sociologues, allant de la simple conversion à la planification d'attentats, "en passant par la justification du terrorisme ou des départs en Syrie."

Or, "c'est le registre "utopique", associé au passage à l'acte violent, qui se révèle le plus surprenant, au regard des portraits habituellement dressés, notamment depuis les plateaux télévisés. Les mineurs qui s'approprient ce registre sont issus de familles populaires immigrées ayant des situations socio-économiques stables, qui ont joué pleinement la carte de l'intégration en prenant leurs distances avec leurs communautés d'origine et investissant fortement la scolarité de leurs enfants.

En retour, leurs enfants ont joué le jeu scolaire et cru aux possibilités d'une ascension sociale. Mais l'arrivée dans des lycées de centre-ville expose ces adolescents à l'altérité sociale et à une compétition scolaire qui joue en leur défaveur. En échec, mais sans support de groupes amicaux, ils prennent le contre-pied de leur famille et de l'école et se lient à distance avec des recruteurs sur les réseaux sociaux.

Là où d'autres adolescents font, dans des situations similaires, plutôt l'expérience individuelle de troubles alimentaires ou de formes de repli, ces jeunes entrent dans un processus d'interprétation collective de leur situation auprès de semblables : l'idéologie djihadiste donne un sens à leur expérience d'isolement social et à un goût pour l'intellectualisation qui ne trouve plus de débouché dans le monde scolaire."

 

Cette analyse sociologique souligne, conclut Anne Bory, "l'ampleur du gouffre qui sépare, d'un côté, analyses au doigt mouillé et prises de décision politique et, de l'autre, les travaux de sciences sociales qui pourraient les éclairer."

 

Or, ce sont les sciences humaines et sociales qui sont les grandes perdantes de la dernière loi, très récemment votée le 20 novembre, sans grand débat public, de programmation pluriannuelle de la recherche.

 

On note par ailleurs le recul constant de ces sciences dans la formation des travailleurs sociaux, des enseignants ou des professions médicales ou  para-médicales au profit de savoirs purement techniques ou instrumentaux, de plus en plus spécialisés.

Redonner toute leur place à ce qu'on appelait autrefois les "humanités", c'est aussi reconquérir la place du sens et des finalités dans le débat démocratique, et donc, in fine, revitaliser une démocratie de plus en plus en crise.

Comme l'écrit Elina Lemaire dans "Le Monde" daté 10-12-20 (p 35) : "La recherche est mue par le seul désir de connaître et de faire connaître, cela ne signifie pas qu'elle soit inutile."

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