Quelle action politique pour la transition écologique ?

Publié le par Henri LOURDOU

Quelle action politique pour la transition écologique ?
Quelle action politique pour la transition écologique ?

Quelles mesures politiques

pour la transition écologique ?

 

La cause semble enfin entendue : il y a urgence écologique. Mais quelles sont les mesures politiques les plus à même d'y répondre ?

Deux textes récents permettent de comparer ce qui semble acceptable par la majorité de nos concitoyens ...et ce qui semble nécessaire pour répondre à l'enjeu.

Tout le débat politique démocratique devrait être centré sur le rapprochement des deux.

 

 

Les 150 puis 146 mesures de la Convention Citoyenne sur le Climat : des mesures acceptables ?

 

Sans refaire l'historique de cette Convention, composée de 150 citoyens tirés au sort, il convient de rappeler qu'elle a amené une prise de conscience collective de l'importance et de l'urgence de faire face au changement climatique et à l'érosion accélérée de la biodiversité.

Parallèlement, ces citoyens, au départ peu ou pas politisés, se sont interrogés sur les mesures qui seraient à la fois utiles et acceptables par la majorité du peuple français. Ils ont adopté par consensus ou par vote majoritaire 150 mesures.

« C’est après neuf mois de travail, que la Convention citoyenne pour le climat remis son rapport (600 pages) à Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, le 21 juin 2020. Au total, ce sont 149 propositions – une seule a été rejetée, celle concernant la réduction du temps de travail de 35 heures à 28 h sans perte de salaire – qui ont été formulées. »

 

Le président Macron s'était engagé à les soumettre, "sans filtre", au débat public.

On sait que les moins consensuelles furent finalement non validées par lui :

« Seulement trois propositions n’ont pas été validées, elles concernent :

  • la taxe de 4 % sur les dividendes (pour ne pas risquer de freiner les investissements);

  • la réduction de la vitesse sur autoroute à 110 km/h (débat reporté);

  • la réécriture du préambule de la Constitution (la protection de l’environnement ne peut se placer au-dessus des libertés publiques). "

https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/convention-citoyenne-climat-146-propositions-retenues-emmanuel-macron

On voit déjà là où se situent les freins à la transition : la peur de faire fuir les capitaux, la peur de polariser le débat sur une seule mesure (écho du traumatisme des 80 km/h en lien avec le déclenchement du mouvement des Gilets Jaunes : alors que la liaison des deux mesures aurait pu enlever un des arguments forts des ennemis du 80 km/h, à savoir la distorsion de concurrence par le temps de trajet entre espaces périphériques et espaces métropolisés) et enfin l'argument de la supériorité des libertés à la protection de l'environnement.

Cette frilosité est de mauvais augure pour les 146 restantes. On se demande déjà lesquelles vont être rognées ou neutralisées et comment...

Et, de fait, les premières réunions des conventionnels avec les partenaires sociaux et décideurs politiques (maires et députés) montrent bien des points de blocage : https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/07/30/les-citoyens-de-la-convention-pour-le-climat-confrontes-a-la-mise-en-uvre-de-leurs-mesures_6047749_3244.html


 

C'est que, comme le remarque François Gemenne," la délibération collective, encadrée et façonnée par des experts, a fait naître un consensus qui, à l’évidence, n’existe pas dans la société française. En témoignent les réactions violentes suscitées par certaines propositions, celle concernant la limitation de vitesse sur les autoroutes notamment. "

Et il ajoute, fort justement : "C’est pour cela qu’il est dommage que les propositions n’aient été dévoilées que quelques jours avant le vote, et que les discussions – même si elles étaient retransmises sur Internet – se soient déroulées uniquement dans le cadre feutré de la convention. Un large débat public sur ces propositions aurait pu élargir la riche délibération des 150 citoyens à l’ensemble de la société, et notamment aux corps intermédiaires. Il n’est pas trop tard : plutôt que de renvoyer l’essentiel des propositions en commissions parlementaires ou vers d’autres niveaux de pouvoir, il serait maintenant possible d’ouvrir la délibération à l’ensemble des Français. Alors que les Français ont porté au pouvoir des candidats écologistes dans de nombreuses villes, mais que l’abstention a souvent dépassé 60 %, ne serait-il pas intéressant que chaque commune s’empare à présent des propositions de la convention ? Ne serait-ce pas le moyen de faire véritablement entrer le climat en démocratie, tout en revivifiant par la même occasion la démocratie locale ?"


 

Or, et c'est peut-être ici que le bât blesse : "Les propositions des citoyens sont souvent plus ambitieuses que prévu, parfois véritablement novatrices, mais beaucoup portent sur les obligations des citoyens, davantage que sur les obligations de l’Etat. Au moment de se demander comment réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030, les citoyens se sont surtout demandé ce qu’ils pouvaient faire, plutôt que ce que l’Etat pouvait faire. Ainsi, les conclusions sont muettes ou très évasives sur le mix énergétique, le commerce international, la finance et les investissements, ou encore la taxe carbone."

Et c'est ainsi que : "Pour l’instant, à l’exception d’un moratoire sur les nouvelles zones commerciales, les obligations qui incombent à l’Etat sont maigres, et souvent noyées sous des tombereaux de bonnes intentions. "

Cependant : "Il est pourtant possible de transformer l’essai, et d’aller jusqu’au bout de cette entreprise de démocratie participative. En organisant dans chaque mairie un débat simplifié sur les propositions, on pourra véritablement tester l’adhésion de la population à celles-ci. Elargir la délibération à l’ensemble des Français permettrait d’asseoir la légitimité démocratique des propositions, qui pourraient ensuite être soumises comme telles au vote des députés. Des « Etats généraux du climat » pour réconcilier les Français avec la démocratie locale : existe-t-il un projet plus enthousiasmant pour les 35 000 maires de France fraîchement élus ?"

"François Gemenne, spécialiste de la gouvernance pour le climat, est directeur de l’Observatoire Hugo (Observatoire mondial des migrations environnementales à l’université de Liège), auteur principal pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il a notamment écrit Atlas de l’anthropocène (Presses de Sciences Po, 2019)."

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/03/les-propositions-de-la-convention-citoyenne-pour-le-climat-portent-davantage-sur-les-obligations-des-citoyens-que-sur-celles-de-l-etat_6045028_3232.html


 

Retour sur terre : Mettre la politique au poste de commandement


 

Cela suppose donc à la fois d'élargir le débat à l'ensemble des citoyens, comme on vient de le voir, mais également de renvoyer l'État à ses responsabilités propres.

Le manifeste "Retour sur terre – 35 propositions", paru en librairie au sortir du confinement (PUF, 94 p , mai 2020), co-signé par Dominique Bourg, Gauthier Chapelle, Johann Chapoutot, Philippe Desbrosses, Xavier Ricard Lanata, Pablo Servigne et Sophie Swaton, est l'oeuvre d'universitaires écologistes. Il est centré, à l'inverse des 146 mesures, sur ce qui relève des responsabilités des États.

Aussi est-il à la fois plus radical et plus "abstrait". Centré sur un véritable "changement de civilisation", il détaille cependant les mesures politiques qui le rendraient possible.

Parmi celles-ci, beaucoup relèvent du niveau international. Mais elles ont des incidences très concrètes bouleversant les pouvoirs établis.

Une de ces mesures en particulier rencontre les propositions de la convention citoyenne : c'est celle, de réécriture du 1er article de la Constitution française.

Là où la convention propose : "ajouter un troisième alinéa nouveau à l’article 1er :

La République garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et lutte

contre le dérèglement climatique.

(RÉDACTION ACTUELLE :

La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure

l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion.

Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et

fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales.)"

(p 416)

Le manifeste propose : "L'État est garant du respect de l'empreinte écologique et des limites planétaires (...) Serait également intégré au même article le principe de non-régression en matière de droit de l'environnement." (p 56)


 

On constate ici paradoxalement que le Manifeste est plus concret et moins vague que la Convention... Et ce n'est pas inutile lorsqu'on sait la référence que représente ce texte de la Constitution à tous les recours contre l'inconstitutionnalité des nouvelles lois.


 

Quoi qu'il en soit, nous sommes toujours ramenés au même point : la nécessité de construire une majorité électorale favorable aux changements nécessaires.

Face à tous les sceptiques de l'action électorale, nous devons sans cesse marteler ce message : quelles que soient les réserves que vous inspirent les partis et les candidats aux élections, vous ne pouvez éviter de passer par eux pour obtenir les changements que vous souhaitez. L'action politique partisane et électorale peut être ingrate et difficile, elle n'en demeure pas moins un point de passage obligé dont aucune action directe ne nous dispensera.


 

Faire vivre la démocratie pour répondre à l'urgence écologique.

 

Dans "Le Monde" daté 24-7-20, sont présentés, sur la même page 31, le livre collectif "Retour sur terre" et un texte, lui aussi collectif, s'engageant à mettre en oeuvre les propositions (moins radicales) de la convention citoyenne sur le climat.

Le premier est signé d'intellectuels, emmenés par Dominique Bourg, le second de maires et élus municipaux, principalement EELV et PS, parmi lesquels Eric Piolle, maire EELV de Grenoble, et Anne Hidalgo, maire PS de Paris.

 

Le premier article présentant le livre insiste sur le caractère "clivant" des 35 mesures qui "ne manqueront pas (...) de susciter un rejet massif par une partie de la population."

C'est le cas en particulier de l'idée de "quotas individuels de consommation", même s'ils seraient "décidés par référendum". Cette idée d'un contrôle collectif sur ce qui est ordinairement vécu comme le domaine par excellence de la liberté individuelle est en effet loin d'être évidente à mettre en oeuvre.

Le recours au référendum, on l'a déjà évoqué à propos des mesures, pourtant beaucoup moins contraignantes, proposées par la convention citoyenne sur le climat, suppose en amont un débat prolongé et éclairé dont les conditions sont difficiles à réunir.

On l'avait bien vu lors du référendum de 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen. Malgré une campagne relativement longue, la somme de contresens et de procès d'intention accumulés sur le "oui" comme sur le "non" en ont fait un cas d'école de démocratie inaboutie, et, pour tout dire, faussée.

Ce qu'a largement confirmé le Traité de Lisbonne qui en est résulté : vécu par les uns comme un désaveu du vote français, et par les autres comme un pis-aller honteux, actant les réelles avancées contenues dans le défunt TCE (augmentation des pouvoirs du Parlement européen, mise en place de l'Initiative Citoyenne Européenne...) enrobées de concessions symboliques au souverainisme stato-national.

Le résultat pratique le plus évident étant la prépondérance de fait du Conseil dans le triptyque des institutions de l'UE; ce qui a cantonné pour longtemps son fonctionnement dans la confrontation des égoïsmes gouvernementaux au détriment de la Commission et du Parlement , porteurs potentiels d'un intérêt général européen passé au second plan.

 

Faire vivre la démocratie est donc un enjeu décisif pour répondre à l'enjeu écologique. Cela suppose toujours plus d'attention à la mise à disposition des citoyens d'expertises sérieuses et éclairantes,et aux conditions matérielles d'un réel débat collectif qui demande beaucoup de temps et d'énergie....et une méthodologie rigoureuse.

De tout cela,nous verrons à l'usage si nos nouveaux élus locaux social-écolos sont bien conscients.

En tout cas, prenons acte de leur bonne volonté affichée.

De façon plus large notons aussi avec intérêt que Dominique Bourg, dans l'avant-propos au "Retour sur terre", évoque la nécessité d'un "Front populaire écologique" (p 16).

Cette référence au "Front populaire" n'est pas lancée par hasard. Soit dit en passant, elle est également le fait, hautement frauduleux à mon sens, du social-nationaliste islamophobe Michel Onfray, qui en a fait le titre de sa nouvelle revue.

Elle répond en premier lieu à la nécessité politique, comme en 1934, d'un large rassemblement à vocation électoralement majoritaire. Il faut donc y voir la reconnaissance du mode électoral comme procédure du changement. Et ceci alors que la montée de l'abstentionnisme et le retour des idéologies du changement par l'insurrection mettent en crise la "vieille politique électorale" déjà enterrée par certains.

Or, cette idée du changement par les élections n'exclut pas bien au contraire d'autres modalités d'action. D.Bourg d'ailleurs, dès la phrase suivante, évoque la nécessité immédiate de "promouvoir universellement la criminalisation des destructions climatiques et écologiques, (...) développer la désobéissance civile, et(...) dénoncer sans relâche le grotesque des adversaires de la vie sur Terre." (ibidem)

C'est bien par les actions syndicales et associatives que se prépare et se construit le rassemblement politique nécessaire.

Cela ne dispense pas pour autant d'en discuter les formes et les modalités.

 

Le Front populaire fut un amalgame assez confus et souvent plus grandiloquent qu'approfondi, dont la réussite électorale fut, on le sait, éphémère,et la dynamique largement portée par la grève générale spontanée qui suivit sa victoire.

Ce précédent historique devrait nous porter conseil.

Y faire référence ne suffit donc pas, loin de là.

 

Encore faut-il éviter les pièges qui l'ont finalement fait échouer. Le plus évident étant l'hétérogénéité politique des forces qui le constituaient. De ce point de vue,on pourrait tracer un parallèle entre le parti radical-socialiste d'alors et les vieux partis au passé productiviste que sont aujourd'hui le PS et le PCF. Vérifier la réalité de la conversion à l'écologie de ces deux partis est donc sans doute un gage de solidité du bloc social-écologiste et citoyen à construire.

Cet obstacle n'est bien sûr pas le seul à franchir...

 

Pour celui-ci, comme pour les autres, c'est la pratique permanente du débat qui permettra d'avancer, non les manoeuvres de sommet.

Faire vivre la démocratie est bien l'enjeu majeur.

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