Covid 19 : débattre sans complotisme et sans naïveté est-il possible ?
Covid 19 : débattre sans complotisme et sans naïveté
est-il possible ?
Une amie, médecin retraitée et écolo, nous (un nombre de destinataires inconus) a fait passer le message qu'on pourra lire ci-après Comme elle le dit en conclusion, "à chacun de se faire son opinion", mais reconnaissons que c'est de plus en plus difficile face à la multiplicité et à la complexité des messages qui circulent.
Il faut donc prendre le temps de réfléchir et de faire appel à son bon sens.
Un fait me semble indubitable : une des premières victimes de l'alerte à l'épidémie aura été justement le temps nécessaire au débat précédant les décisions qui caractérise la démocratie. Nous vivons à présent dans l'urgence permanente d'un état d'exception où les décisions du pouvoir politique sont commentées et critiquées après coup.
On l'a vu en France pour le port du masque, puis pour le confinement et ses conditions d'exercice.
Pour se faire un avis, nous sommes tributaires des sources d'information auxquelles nous choisissons de faire confiance. Pour ce qui me concerne, "Le Monde", le site "The Conversation", le "Canard enchaîné", "France culture", le journal et le 28' d'Arte, le "1" sont les principales. Je suppose que d'autres ont fait d'autres choix...
Pour savoir ce qui circule, je consulte de temps en temps le fil des publications de mes 297 "amis Facebook"...qui sont des gens très divers, même si les fameux algorithmes font remonter ceux qui me ressemblent le plus et y ajoutent de nombreuses suggestions non sollicitées sur la base de mon "profil". Et les courriels et newsletters que je reçois.
A partir de là, je m'en remets à mon "bon sens" pour éviter les rumeurs infondées, et, surtout, éviter de les propager inconsidérément.
Voici le message reçu, suivi de mon commentaire.
"Bonjour,
Voici une interview qui mérite d'être écoutée: celle de la généticienne Alexandra Henrion-Caude, chercheuse en génétique à l'INSERM.
https://www.youtube.com/watch?v=c3V6DxmOy8o&feature=youtu.be
Bon la chaîne TVL est une chaîne d'extrème-droite ... ça ne veut pas dire que tout ce qui y est dit est à rejeter!
Quelques extraits :
“C’est quoi être en bonne santé ? Nous avons quand nous sommes en bonne santé la capacité de faire face à à peu près tous virus, bactéries, pathogènes ; Nous avons le système de défense qui nous a été donné pour le combattre.”
“Le système immunitaire c’est finalement un capital santé qui nous est propre, et qu’il faut entretenir en faisant du sport, en évitant d’être confinés pendant 2 mois, en ayant une bonne aération, une bonne oxygénation, c’est-à-dire en évitant de mettre des masques, en ayant une bonne alimentation c’est à dire en ayant la liberté de sortir acheter tout ce dont on a besoin là où il le faut pour avoir la diversité alimentaire qu’il nous faut…” […]
“Sur cette gestion de crise, je ne comprends pas pourquoi on en fait autant […] on peut raisonnablement se mettre à douter du mot même de pandémie quand on voit que finalement au niveau mondial, à mois équivalent sur les autres années, nous n’avons pas assisté à la surmortalité qui est attendue pour une pandémie.”
« Si avant cet épisode de folie collective qui nous mène dans le mur […] je vous avais dit prenez un mouchoir […] crachez deux trois fois sur votre mouchoir et maintenant vous le gardez pendant deux trois heures sur votre nez ! […] Vous ne l’auriez pas fait, par votre bon sens.”
“c’est une aberration que de développer dans une urgence absolue un vaccin contre un virus en moins de 6 mois […] sans être certain de ne connaître aucun des effets secondaires […] (alors) On va tester sur des populations […] et donc l’horreur de l’horreur de l’horreur fait que l’on a choisi arbitrairement l’Afrique du Sud pour mettre en place une vaccination de force […]. Ils sont véritablement utilisés comme des cobayes.”
“[Je suis] Abasourdie par le fait que notre élite intellectuelle mondiale ait osé si peu parler, mais je l’ai compris car des collègues d’une qualité exceptionnelle étaient muselés par le fait qu’ils avaient des conflits d’intérêt avec des laboratoires pharmaceutiques…”
Une certitude: le Covid est très loin d'être si dramatique: Peste noire au XIVème sièccle: 25 à 45 millions de victimes, soit 30 à 50% de la population européenne; Grippe espagnole entre 1918 et 1920: 20 à 50 millions de victimes, soit 1 à 3% de la population mondiale; SIDA 39 millions de victimes depuis 1981, soit environ 0,5% de laa population mondiale; Covid-19 100 000 morts officiellement le 10/04/2020. Si on arrive à un bilan 10 fois plus important, cela ferait 0,013% de la population mondiale (et comme le souligne AHC, la majeure partie des décédés avait plus de 80 ans, soit une durée de vie sensiblement normale).
Quelque chose qui m'a interpellée: à Bergame où la mortalité a été la plus élevée de toutes, les habitants âgés avaient subi deux campagnes de vaccinations dans les mois précédents.
Voilà ... à chacun de se faire son opinion."
Les questions qui sont ici posées, et dont j'admets la légitimité (sans préjuger a priori de la réponse) sont :
-les gouvernements ont-ils surréagi ou mal réagi à l'épidémie ?
-sont-ils sous l'emprise du lobby pharmaceutique ?
Sur la première question, je considère, au vu des chiffres des contaminations, des hospitalisations et des morts recensées, que le confinement a eu des effets réels et non contestables.
Il est très difficile ensuite de comparer avec des épidémies antérieures (Peste noire, Grippe espagnole), dans la mesure où les conditions de déroulement ne sont pas les mêmes.
Enfin, il faut prendre les chiffres avec précaution : on nous annonce 100 000 morts du Covid-19 officiellement au 10-4-20. Je lis le 23-8-20 un bilan "d'au moins 794 000 morts" dans Le Monde daté 23 et 24-8, p 8. Même si on n'est pas encore à un bilan "10 fois plus important" qui ne représenterait que "0,013% de la population mondiale", on est en droit de penser que l'épidémie est loin d'être terminée, ainsi que l'argumente dans cet article le professeur Antoine Flahault, directeur de l'Institute of Global Health, département de l'Université de Genève, qui se présente ainsi sur son site : L’Institut de Santé Globale (ISG), dirigé par le prof. Antoine Flahault, a succédé en janvier 2014 à l’Institut de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine de l’UNIGE. L’Université de Genève a en effet engagé cette mutation dans le but de poursuivre ses efforts de développement d’une santé globale académique. La position unique de Genève permettra à l’ISG de développer des liens forts avec les acteurs mondiaux de la santé globale, que ce soit avec les organisations internationales et non gouvernementales, le monde académique ou celui des bailleurs de fonds – dont le Fonds mondial, GAVI ou la Bill & Melinda Gates Foundation. La présence de certains de ces acteurs sur le Campus Biotech, GAVI et FIND par exemple, constitue aussi la promesse de synergies importantes.
L’ISG produit une réflexion, une recherche et des enseignements de pointe pour qu’étudiants, professionnels et décideurs puissent mieux faire face aux défis contemporains de la santé globale. Ses chercheurs se concentrent sur trois axes thématiques: « épidémiologie et prévention du cancer », «santé et droits humains» et « santé mentale publique et vieillissement », et sera très actif au sein du futur Laboratoire des Big Data (voir ci-contre). Outre ses activités de recherche, l’ISG participe à la formation académique, en offrant un programme de master et doctorat en santé globale, ainsi que des certificats de formation continue.
https://www.campusbiotech.ch/fr/node/267
Même si l'on peut soupçonner Antoine Flahault de conflits d'intérêt en raison des partenariats de son Institut, on doit écouter les informations qu'il apporte :
Si les foyers les plus actifs de l'épidémie sont aujourd'hui l'Inde, l'Amérique latine et les Etats-Unis, les cas de 2de vague s'observent en Iran, à Djibouti, en Israël et en Australie : ils montrent clairement que la situation peut déraper rapidement à partir de cas isolés si l'on n'observe pas aussitôt des mesures de confinement strictes. La météo joue aussi son rôle : c'est l'hiver austral qui a favorisé la contagion en Australie. En Europe on constate le paradoxe de cas plus nombreux mais moins sévères qu'il est encore trop tôt pour expliquer : moindre exposition des personnes les plus à risques de plus de 40 ans ? Meilleur dépistage des personnes de moins de 40 ans ? En tout cas l'hypothèse d'une moindre virulence du virus n'est pas validée et semble peu probable.
Cela étant, les gouvernements, et le nôtre en particulier, prennent-ils leurs décisions sous l'emprise du lobby pharmaceutique ?
On sait que celles-ci sont prises après la réunion d'un Conseil de Défense. Comment celui-ci est-il composé ?
«La composition et les modalités de convocation du conseil de défense et de sécurité nationale sont fixées par décret en conseil des ministres».
C'est défini, par le «décret n° 2009-1657 du 24 décembre 2009 relatif au conseil de défense et de sécurité nationale et au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale», dans les articles réglementaires qui suivent l'article R1122-1:
«Art. R1122-2. - Dans sa formation plénière, le conseil de défense et de sécurité nationale comprend, outre le Président de la République, qui le préside:
1° Le Premier ministre;
2° Le ministre de la défense;
3° Le ministre de l'intérieur;
4° Le ministre chargé de l'économie;
5° Le ministre chargé du budget;
6° Le ministre des affaires étrangères,
et, s'il y a lieu, sur convocation du président, d'autres ministres pour les questions relevant de leur responsabilité.
Art.R1122-3. - Le conseil de défense et de sécurité nationale peut être réuni en conseil restreint, dans une composition fixée par son président en fonction des points figurant à son ordre du jour. Il peut également être réuni en formation spécialisées».
De fait, c'est un Conseil des Ministres restreint.
Dire qu'il travaille sous la dictée du lobby pharmaceutique, c'est affirmer que d'autres considérations, multiples, ne seraient pas prise en compte : état de l'opinion, informations diverses (les Ministres lisent peut-être les journaux, ou en tout cas leurs collaborateurs ?), situation globale de l'économie et de l'emploi, calculs politiques, etc.
Je préfère quant à moi m'en tenir à l'idée que nos gouvernants sont aussi hésitants que nous sur la conduite à tenir en l'absence de données exhaustives et sûres. Comment alors leur reprocher de pratiquer le "principe de précaution" ?
Ensuite ils doivent faire face au dilemme suivant : énoncer des mesures uniformes mais claires, au risque d'en faire trop, ou bien s'en remettre à des mesures différenciées et prises localement, au risque de manquer de "lisibilité" et de se faire reprocher d'être "flous". En cédant successivement à ces deux tentations, ils ont malheureusement créé le doute, alors qu'ils ne faisaient que tirer les leçons de leurs erreurs.
En conclusion, je m'en tiendrai à une attitude attentive mais non soupçonneuse a priori, en tâchant de recueillir des données fiables.
PS : Je retrouve une interview du 6 juin 2020 qui me semble très éclairante :
Dominique Costagliola : « Durant la crise du Covid-19, certains chercheurs choisissent de malmener la science »
L’épidémiologiste critique la gestion des essais cliniques et le mode de diffusion de certains résultats scientifiques depuis l’apparition de la pandémie due au SARS-CoV-2.
Propos recueillis par Sandrine Cabut Publié le 06 juin 2020 à 18h00, mis à jour hier à 06h00
Epidémiologiste et biostatisticienne, Dominique Costagliola est directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université, Inserm). Spécialiste du VIH, elle est impliquée depuis janvier dans le suivi de la pandémie de Covid-19, notamment en tant que membre du comité scientifique de REACTing, le consortium de l’Inserm qui coordonne la recherche française pendant les épidémies.
Beaucoup d’essais cliniques ont été lancés pour tester des médicaments anti-Covid-19, souvent avec de faibles effectifs, parfois redondants, comme pour l’hydroxychloroquine, dans une vingtaine d’études rien qu’en France… Pourquoi cette dispersion ?
Cela a été le cas en Chine, et en France aussi, faute d’une autorité unique capable d’amener à des coopérations. Dans notre pays, n’importe quel hôpital peut être promoteur d’études, c’est totalement décentralisé. De plus, dans cette période d’urgence, il y a eu pléthore de financements.
L’Agence nationale de la recherche (ANR), qui, habituellement, ne finance pas d’études cliniques, a lancé un appel d’offres spécifique Covid pour lequel des études cliniques étaient éligibles, avec des montants qui ne couvrent pas totalement les frais d’un essai, mais sont suffisants pour l’amorcer. Des appels à projets « Flash Covid » ont aussi été créés pour des programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC), au niveau national et régional. En tant que membre du jury de certains de ces PHRC, j’ai par exemple constaté que deux projets concurrents, dans la même région, avaient été retenus dans le cadre du PHRC régional. Il aurait été plus raisonnable que les deux équipes travaillent ensemble.
L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) est, elle, chargée d’autoriser les essais cliniques, en vérifiant les prérequis scientifiques et les conditions de surveillance de ceux-ci, mais elle n’a pas le pouvoir de refuser des études parce qu’elles sont redondantes, ou celui de demander aux investigateurs de collaborer. Le problème se pose aussi pour les comités de protection des personnes (CPP), qui donnent leur avis sur les conditions, notamment éthiques, des projets cliniques. Choisis par tirage au sort, les CPP ont connaissance des projets qui leur sont soumis, mais n’ont pas forcément une vision globale à un moment donné. Pour cela, ils peuvent consulter la base européenne où sont enregistrés tous les essais cliniques, mais ils seraient à la limite de leur compétence s’ils refusaient d’autoriser un projet sous prétexte que c’est le douzième testant la même molécule…
Au sein de REACTing, nous avons essayé de jouer un rôle de coordination auprès d’équipes venant nous présenter leurs projets. Au total, nous en avons examiné plus de 80, mais nous n’avons pas de pouvoir décisionnaire car ce n’est pas nous qui accordons les financements. Et tous les projets ne nous sont pas soumis.
La coopération européenne, et notamment l’essai Discovery, à l’initiative de la France et qui devait recruter 3 100 personnes dans plusieurs pays, n’a pas non plus bien fonctionné. Quelles sont les pistes pour faire mieux à l’avenir ?
Cette étude, qui vise à comparer quatre médicaments aux soins courants [remdesivir, lopinavir/ritonavir associé ou non à interféron bêta, hydroxychloroquine], a démarré très rapidement en France, mais il a été compliqué de faire participer les autres pays prévus, pour différentes raisons. Par exemple, l’Italie et l’Espagne ont finalement choisi de contribuer seulement à Solidarity, un essai clinique proche de Discovery, porté par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En Belgique, les centres ont décidé de rejoindre Solidarity, mais les autorités sanitaires équivalentes à l’ANSM ont estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de surveillance de la tolérance des traitements, et ils ont refusé le protocole.
Au Royaume-Uni, le National Health Service (NHS) a, lui, interdit aux investigateurs de prendre part à Discovery car le pays a décidé de se concentrer sur un seul gros essai, appelé Recovery. Cette étude, qui évalue plusieurs traitements, est très modulaire et elle a déjà évolué plusieurs fois. Plus de 10 000 patients ont déjà été recrutés. Contrairement à nous, les Britanniques se sont extrêmement bien organisés et ont mis en place un programme de recherche clinique unique qui explore plusieurs directions, mais en nombre limité.
Actuellement, on prépare un projet européen, pour constituer une plate-forme avec un réseau d’investigateurs et d’hôpitaux identifiés. L’idée est de se mettre en ordre de marche pour qu’en cas de deuxième vague ou de nouvelle émergence on puisse commencer des études sans délai. Par ailleurs, les ministères de la santé et de la recherche ont commandé un rapport qui devra soumettre des propositions pour éviter cette cacophonie qui a fait perdre beaucoup d’énergie.
Cette cacophonie dans les essais peut-elle expliquer qu’aucun médicament n’ait vraiment démontré son efficacité sur le nouveau coronavirus ?
Jusqu’ici, il s’agit de repositionnement de molécules, qui n’ont pas été initialement conçues pour traiter le Covid-19, et dans de tels contextes on ne peut pas s’attendre à des résultats spectaculaires.
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Les données d’une étude américaine suggèrent une efficacité du remdesivir, un antiviral, mais qui n’est pas majeure et qu’il faut confirmer. Comme l’épidémie reflue en France, il n’y a plus beaucoup de recrutements de malades dans Discovery. Mais il y aura peut-être suffisamment d’inclusions dans l’essai Solidarity pour conclure, puisque l’épidémie est toujours active dans certains pays, en Amérique du Sud ou en Iran, où arrive une deuxième vague.
S’il y avait un médicament très efficace, nous l’aurions déjà vu. A défaut, l’objectif actuel est de sélectionner quelques traitements qui fonctionnent un peu. En cas de deuxième vague, nous pourrons alors évaluer à quel moment ils sont le plus utiles, tester des combinaisons…
Qu’en est-il de l’hydroxychloroquine ? Dès la première étude de l’équipe du professeur Raoult, vous avez été très critique sur sa méthodologie et ses résultats.
Dans une maladie comme le Covid-19, où le taux de létalité n’est pas très élevé [moins de 1 %], seuls des essais randomisés peuvent démontrer l’efficacité d’un traitement, et affirmer le contraire est malhonnête. Jusqu’ici, l’équipe de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection n’a pas produit de données solides, et il y a de nombreuses zones d’ombre dans ses données. En outre, si Didier Raoult est passé outre l’avis négatif d’un CPP, comme l’a révélé le journal Libération, il a enfreint la loi sur les essais cliniques, ce qui devrait relever de la justice.
Les études publiées par d’autres équipes n’ont jusqu’ici pas retrouvé d’efficacité de l’hydroxychloroquine dans le Covid-19. Ainsi, un essai randomisé mis en ligne le 3 juin sur le site du New England Journal of Medicine ne met pas en évidence d’effet de cette molécule dans la prévention de l’infection chez les sujets contacts d’un cas. Ce résultat ne plaide pas en faveur d’une efficacité à une phase précoce de l’infection. Les investigateurs de cet essai ont aussi évalué l’intérêt de l’hydroxychloroquine chez les contacts symptomatiques d’un cas et leurs résultats devraient être disponibles bientôt.
Mais la récente publication de « The Lancet », qui a conclu à la toxicité de cette molécule et conduit la France à interdire l’utilisation compassionnelle et suspendre les essais, est elle aussi sous le feu des critiques.
J’ai été alertée en apprenant que cette étude provenait de l’équipe qui, avec la même base de données, avait été à l’origine d’une prépublication suggérant un effet faramineux dans le Covid de l’ivermectine, un antiparasitaire. Cet article était nul.
L’étude observationnelle du Lancet trouve un risque accru d’arythmie cardiaque et de décès chez les patients traités par hydroxychloroquine, mais j’ai constaté que l’analyse n’est pas stratifiée par pays. Or, le risque de mourir du Covid-19 n’est pas le même d’un pays à l’autre, il dépend de la structure de la population, du niveau des soins… L’effet observé par les auteurs pourrait en partie être dû à cela, et pas forcément à l’hydroxychloroquine. Ne pas tenir tenir compte de ce paramètre est une faute de base dans ce type d’étude, et je ne comprends pas que les reviewers [relecteurs de l’article] n’aient pas demandé aux auteurs une analyse stratifiée, qui se fait très facilement. Par ailleurs, de nombreuses incohérences sur la base de données elle-même ou sur certains autres résultats ont amené The Lancet à publier une « expression of concern » [une mise en garde] sur cet article qu’il avait accepté. L’article a depuis été retiré sur demande de trois des quatre coauteurs.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Hydroxychloroquine : « The Lancet » met en garde contre une étude publiée dans ses colonnes
On sait que l’hydroxychloroquine, surtout associée à l’azithromycine, peut induire de nombreux effets indésirables cardiaques. Il est probable que son profil de toxicité ne soit pas le même pour le Covid-19 que dans ses indications habituelles (lupus et polyarthrite), car les doses utilisées sont plus élevées et l’infection a elle-même des conséquences sur le cœur. Mais si sa toxicité était si importante, l’étude britannique Recovery, qui porte sur un grand effectif, l’aurait observé aussi, ce qui n’est pas le cas. En revanche, ses investigateurs ont annoncé le 5 juin suspendre le bras hydroxychloroquine, faute d’effet favorable sur la mortalité.
Pour régler la question de l’efficacité, le seul moyen est de continuer les essais randomisés, donc c’est une bonne chose que les études suspendues reprennent. En revanche, dès le départ, il n’était pas légitime d’utiliser l’hydroxychloroquine en dehors des essais cliniques, en compassionnel, faute de données solides sur l’efficacité.
Après l’annonce hâtive par l’Assistance publique (AP-HP) de résultats prometteurs avec le tocilizumab, une immunothérapie, pour le traitement des formes graves, sans attendre leur publication, vous avez démissionné du comité de recherche sur le Covid-19 de l’AP-HP. Que s’est-il passé ?
Des résultats préliminaires de cette étude Corimuno-19 ont été présentés publiquement par les investigateurs au Haut Comité de santé publique, alors même que le comité indépendant chargé de la surveillance de l’essai avait estimé qu’il y avait de petites incohérences dans les données et qu’il fallait continuer. Les effets du médicament devaient être jugés au 14e jour de traitement, et ce recul n’était pas atteint chez tous les malades.
Par crainte que les résultats ne se répandent, l’AP-HP, promoteur de l’étude, a décidé de les rendre publics, sans en avertir le comité indépendant, qui s’est senti désavoué et a démissionné. J’ai ensuite démissionné car j’étais révoltée de constater que l’AP-HP continuait à dire que tout avait été bien fait. Or, elle avait mis en place une gouvernance de l’essai peu solide, avec un comité indépendant au rôle pas très clair. Les investigateurs principaux avaient accès aux données détaillées par groupe de traitement, ce qui n’est habituellement pas le cas. En tant qu’investigateur, vous êtes enthousiaste de votre idée, c’est humain, mais communiquer sur des résultats peu solides n’aide pas dans une crise, et ce système l’a permis. Aujourd’hui, toutes les données sont revues de façon très fine, et l’ANSM doit même effectuer un contrôle sur site. Au passage, que l’ANSM inspecte l’étude Corimuno et pas celles de Didier Raoult n’est pas normal, c’est vraiment deux poids deux mesures.
Cette crise malmène-t-elle la science ?
Oui, il y a des chercheurs qui choisissent de la malmener en ne se comportant pas comme des scientifiques. Quelqu’un qui vend des idées sans être capable de produire des données solides peut-il encore être qualifié de chercheur ? Cette crise fait disjoncter certains, comme l’épidémiologiste américain John Ioannidis, qui a passé toute sa carrière à critiquer la mauvaise science et qui aujourd’hui produit des analyses d’une qualité épouvantable. Les revues scientifiques publient rapidement et pas toujours à bon escient, comme le montre encore l’exemple du Lancet.
Il y a aussi une inflation des articles en prépublication, cela peut être intéressant pour discuter entre chercheurs, mais c’est un problème quand les résultats sont présentés comme ceux d’une publication. Les médias ne devraient pas en faire état tant qu’ils ne sont pas revus par les pairs.