Charlotte Brontë Shirley
Charlotte BRONTË
Shirley
roman traduit de l'anglais par Joseph Vilar,
préface d'Isabelle Viéville Degeorges
Archipel poche, édition collector, 2013, 724 p.
Voici donc le deuxième roman paru de Charlotte Brontë, en septembre 1849. Il fut achevé durant la maladie mortelle qui toucha ses deux soeurs, Emily et Anne, alors que leur frère Branwell, meurt lui aussi, après bien des affres familiales, en septembre 1848, Emily le suivant dans la tombe en décembre, après avoir refusé d'être soignée, et Anne en mai 1849, après une longue période d'affaiblissement qu'elle termine, sur sa demande, au bord de la mer à Scarborough, la station balnéaire la plus proche à l'Est du presbytère familial.
Tous ces malheurs accumulés font de Shirley un roman du bonheur familial final un peu à l'eau de rose. Seuls ceux qui n'ont pas connu le malheur du deuil s'arrêteront là. Comme le dit très justement Isabelle Viéville Degeorges dans sa préface, Shirley est un roman de réparation. Il offre à ses deux soeurs le bonheur matrimonial qu'elles n'ont pas eu le temps de connaître.
Mais c'est d'abord un roman social, qui rend hommage à l'esprit des gens du Yorkshire : un esprit de rude indépendance et d'égalitarisme auquel la torie et anglicane revendiquée qu'est Charlotte Brontë participe à sa façon.
En rendant compte de cette époque troublée de 1811-12 qu'elle n'a elle-même, étant née en 1816, pas connue, elle nous fait toucher du doigt le mouvement méconnu et trop souvent méprisé des luddites, ces ouvriers au chômage destructeurs de machines, souvent associés aux églises dissidentes et à leurs prédicateurs à tonalité prophétique.
C'est le blocus continental napoléonien, auquel le gouvernement britannique répond par un contre-blocus océanique, qui, bloquant le commerce, pousse les industriels à mécaniser leur production pour économiser la main d'oeuvre. A travers le personnage de Robert Moore, industriel anglo-flamand, Charlotte Brontë nous introduit dans les cercles d'industriels du drap qui ont fait du Yorkshire une région ouvrière.
La riche galerie de personnages allie ce monde industriel au monde ecclésiastique, bien connu de Charlotte.
Le roman, nous dit la préfacière, "réjouit les lecteurs du Nord de l'Angleterre et déconcerta le reste du monde" (p 12)
Mais cette fresque se resserre au fil du roman sur les deux personnages de Shirley, riche héritière fantasque et indépendante, et de Caroline, discrète orpheline et nièce de pasteur, dont les portraits moraux sont les reflets romanesques de ses deux soeurs, Emily et Anne.
Après Jane Eyre, on retrouve ici la lucidité critique et féministe non revendiquée, ainsi que le romantisme assumé de Charlotte Brontë.
Sa religiosité n'est jamais pesante, et son romantisme s'accompagne d'une finesse psychologique qui fait penser, bien sûr à Jane Austen, et d'une ironie qui, bien que plus discrète, nous rappelle Elizabeth Von Arnim.
Quoi qu'il en soit, on a hâte, après avoir fini sa lecture de découvrir l'oeuvre des deux modèles, Emily et Anne Brontë.