Trois avancées possibles de la démocratie en France

Publié le par Henri LOURDOU

Trois avancées possibles de la démocratie
en France

 

Il y a parfois des coïncidences qui font sens. Ainsi de la publication simultanée dans le n° du "Monde" daté 14 et 15-7-20, numéro double qui pour moi pourrait être triple, de trois sujets emblématiques de possibles avancées de la démocratie dans notre pays.

Je les présenterais ainsi :

-Mise en place d'une forme participative de la démocratie

-Sortie du présidentialisme

-Sortie du colonialisme.

 

Mise en place d'une démocratie participative

C'est l'objet de la "une" , titrée "Les propositions pour le climat passées au crible". Elle a pour objet la mise en débat des 146 propositions, en réalité, seules 57 d'entre elles sont traitées dans un "supplément" de 4 pages, et leur sens contextualisé par une interview du coprésident du comité de gouvernance de la convention citoyenne pour le climat, Thierry Pech (p 28). A noter qu'une interview de sa coprésidente, Laurence Tubiana, dans "Le Monde" de la veille, daté 12 et 13-7, abordait également le sujet du présidentialisme (j'y reviendrai).

J'ai déjà évoqué la portée, considérable, et les limites, à ne pas sous-estimer, de cette convention. Il s'agit potentiellement d'un pas en avant de la démocratie dans notre pays. Mais cela implique certaines conditions.

La plus déterminante aujourd'hui est le respect par le Président de la république de sa promesse d'appliquer "sans filtre" ces propositions. S'il s'avérait qu'il les édulcore totalement, une perte de confiance démocratique risquerait de s'ensuivre, qui pourrait se traduire soit par une abstention accrue, soit par une fuite en avant dans l'extrémisme sans perspective.

La seule alternative crédible à cela serait de sortir du présidentialisme en mettant en place une forme d'alternative écologiste à la majorité actuelle. Ce qui nous amène à la deuxième avancée potentielle.

 

Sortie du présidentialisme

Sa nécessité est introduite fort justement à mon avis par Laurence Tubiana : "On ne peut pas rester à attendre la présidentielle dans un système marqué par une verticalité qui a fait son temps : (...)La Constitution de 1958, le pouvoir présidentiel, encore renforcé avec l'inversion du calendrier électoral !(...) Je ne crois pas à l'homme ou à la femme providentielle (...) Le temps est venu de changer la Constitution. Faut-il plus de proportionnelle, revoir le calendrier électoral ? Je ne sais pas. Mais ce système est épuisé et c'est dangereux." (Le Monde, 12 et 13-7, p 8).

Ce qui ajoute à cette introduction, dans le n° du lendemain, est l'article consacré, p 10, au renforcement de la position du 1er secrétaire du PS, Olivier Faure, au lendemain des municipales grâce à "sa stratégie unitaire." Cela passe, ainsi qu'il n"hésite plus à le dire, par un candidat unique à la présidentielle pour le "bloc social-écologique", "sur une plateforme commune, discutée et travaillée ensemble".

Cela implique, de la part d'EELV, ainsi que le signale l'article de la même page consacré à ce parti, une stratégie d'union qui aille jusqu'au bout, en inversant le calendrier électoral dans les têtes : en faisant passer un accord sur les législatives avant le choix d'un candidat pour les présidentielles.

Est-il encore temps de procéder à cette véritable révolution mentale ? C'est ce que commenceront à nous dire les prochaines journées d'été des écologistes à Pantin du 20 au 22 août.

 

Sortie du colonialisme

On sait les crispations provoquées par le succès inattendu des mobilisations du comité Adama les 2 et 13 juin derniers. Ces crispations se sont manifestées des deux côtés, comme en témoigne la tribune contestée de 14 têtes pensantes de la gauche qui se veut anticoloniale ("le Monde" daté 23-6) à laquelle prétend répondre celle de 7 autres universitaires ("Le Monde" daté 7-7).

Ces derniers écrivent, pour dénoncer la position des premiers : "Le coupable, par-delà tous les noms qu’on pourrait avancer, est désigné, il s’appelle Emmanuel Macron.

Il faut mesurer la signification de chacune des accusations portées contre lui dans ladite tribune. Elles affirment en toutes lettres que la société française est dans sa pratique « ordinaire » une société principalement structurée par la « ségrégation » et les « discriminations » ; que la violence policière est la principale cause de la violence sociale ; que le président lui-même, complaisant envers le pétainisme et ses alliés, envers les crimes de la colonisation, et engageant une lutte contre l’antiracisme, est en conséquence un défenseur patenté du racisme."

Or, la tribune incriminée écrit : "Il (le président ) est prêt à reconnaître des discriminations dans la société (les diplômes et les emplois), mais il n’est pas question pour lui de reconnaître la responsabilité des pouvoirs publics. Rien n’a été fait après la condamnation de l’Etat par la justice française pour « faute lourde » en matière de contrôles au faciès (vingt fois plus nombreux pour les jeunes hommes arabes ou noirs), et le gouvernement ignore les avis réitérés du Défenseur des droits sur les violences policières, en particulier contre les lanceurs de balles de défense.

Au contraire, le chef de l’Etat garantit aux policiers et aux gendarmes, de manière inconditionnelle, « le soutien de la puissance publique et la reconnaissance de la nation ». Mais pourquoi opposer « l’ordre républicain », identifié à la police, au « désordre », associé aux mobilisations antiracistes pour la défense de l’égalité des droits ? La plus grande cause de désordre républicain, aujourd’hui, ne sont-ce pas, avec la ségrégation et les discriminations ordinaires, les abus policiers qui rendent illégitime, aux yeux d’une part croissante de la population, le monopole de la violence exercée par l’Etat ?"

N'y a-t-il pas là manifestement un biais d'interprétation qui est davantage révélateur des fantasmes des accusateurs que des positions réellement défendues par les accusés ?

A aucun endroit de leur tribune on ne trouve l'affirmation, même allusive ou suggérée, que "la violence policière est est la principale cause de la violence sociale" ou que la société est "principalement structurée par la "ségrégation" et les "discriminations", mais seulement l'affirmation que ces trois phénomènes (violences policières, ségrégation et discriminations) sont aujourd'hui "La plus grande cause de désordre républicain" par opposition aux mobilisations antiracistes qui sont accusées par E Macron de susciter le "désordre". Il s'agit donc juste d'une mise en opposition rhétorique et non d'une analyse de la société "en toutes lettres" comme ils ont le culot de l'affirmer.

Face à ce déni crispé, je trouve à la fois très rassurante et très éclairante la prise de position de l'actrice et chanteuse Camélia Jordana ("Le Monde" daté 14 et 15-7, p 24) : "le problème, c'est que, en France, il n'y a plus d'espace public, il y a des mégaphones partout. Tout le monde a la parole, mais chaque parole prend des proportions dingues parce que tout devient violent. En revanche, il n'y a pas de lieu dans lequel on peut s'asseoir, échanger, où quelqu'un pourrait revenir sur ce qu'il a dit et exprimer quelque chose de plus nuancé."

Et, quant au fond du débat, elle ajoute : "Certains, pour contester le mouvement de soutien à George Floyd et Adama Traoré, ressortent toujours le même argument : "Les États-Unis ce n'est pas la France."

Mais ce n'est pas la question. En réalité, il y a un peuple blanc qui a colonisé et/ou esclavagisé et/ou réduit à néant les autres peuples qui ne sont pas blancs. Tant que les plaies n'auront pas été traitées, pour les peuples de descendants de décolonisés et pour le système qui a colonisé, les choses ne pourront pas avancer, le dialogue ne pourra pas avoir lieu. Je le crois sincèrement. La décolonisation, ça a été la fin de quelque chose. Mais on ne peut pas se contenter d'avoir ruiné, torturé, massacré des peuples, puis de dire un jour, bon, c'est fini on arrête."

Je trouve qu'au delà de ses formulations, que certains trouveront peut-être insuffisamment rigoureuses, Camélia Jordana a bien résumé la problématique. Et cela me rappelle l'interpellation précédente, à l'été 2018, de l'écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie en direction d'Emmanuel Macron : à celui-ci, s'adressant à des étudiants africains en disant qu'étant né après la décolonisation il ne se sentait pas comptable de la période coloniale et qu'il ne fallait donc plus en parler, elle répliquait que les Français parlaient encore, plus de deux cents ans après, de la Révolution , période peut-être moins traumatisante collectivement pour les Français que le colonialisme pour les Africains. A quoi il faut ajouter que la Révolution française a été longuement racontée par tous les bords dans les détails, ce qui est loin d'être le cas de la colonisation, comme le rappelle utilement l'évocation suivante :

« Les balles du 14 juillet 1953 » : un film sur un carnage méconnu

vendredi 30 mai 2014, par 4acg , Michel Berthelemy

Il y a près de 61 ans, le 14 juillet 1953, un drame s’est déroulé en plein Paris. A la fin d’une manifestation célébrant la Révolution française, la police parisienne a chargé. Six Algériens et un Français ont été tués, une cinquantaine de manifestants ont été blessés.
Daniel Kupferstein avait déjà réalisé en 2011 le documentaire
« 17 octobre 1961, dissimulation d’un massacre » et en 2010 « Mourir à Charonne, pourquoi ? ». Il explique ici ce qui l’a poussé à sortir cette histoire de l’oubli.

« Ce qui est troublant avec ce fait dramatique, c’est que cette histoire est quasiment inconnue. Pratiquement personne n’est au courant de son existence. C’est comme si une page d’histoire avait été déchirée et mise à la poubelle. En France comme en Algérie.

En fait, ce film, est l’histoire d’une longue enquête contre l’amnésie. Enquête au jour le jour, pour retrouver des témoins, les familles des victimes, pour faire parler les historiens, pour reprendre les informations dans les journaux de l’époque, dans les archives et autres centres de documentation afin de reconstituer au mieux le déroulement de ce drame mais aussi pour comprendre comment ce mensonge d’Etat a si bien fonctionné.

Avant que les derniers témoins ne disparaissent, il est temps que l’histoire de ce massacre sorte de l’oubli ! »

http://www.4acg.org/Les-balles-du-14-juillet-1953-un-film-sur-un-carnage-meconnu


 

Parler du colonialisme est donc non seulement utile mais indispensable. En commençant d'abord par sortir de l'oubli, ou plutôt du déni, tous ces épisodes honteux qui expliquent la persistance du traumatisme collectif subi par les colonisés, et celle des préjugés racistes, le plus souvent inconscients, chez les colonisateurs et leurs descendants. C'est ce que les mouvements en cours de révolte contre les violences abusives peuvent enfin nous permettre de mettre à l'ordre du jour.

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