Prison, minorités et triangulation

Publié le par Henri LOURDOU

Prison, minorités et triangulation
Prison, minorités et triangulation

Prisons, minorités et triangulation :

pourquoi Clinton a perdu contre Trump...

et Biden est mal barré.

 

Dans ce n°12 très riche de la revue éphémère America, née avec l'élection de Donald Trump fin 2016 et destinée à s'achever avec celle de son successeur fin 2020, c'est un article non mis en valeur à la "une" qui a le plus retenu mon intérêt.

Il s'agit de l'enquête de Philippe COSTE intitulée "Derrière les barreaux" (p 52-63).

 

Elle fait le tour de la question : "Pourquoi les États-Unis ont-ils en 2015 un taux d'incarcération par habitant cinq fois plus élevé en moyenne que "tout autre pays au monde, régimes totalitaires compris" (p 54) ?"

 

La réponse est au fond assez simple... et terrible. C'est le résultat des lois fédérales instituées par Bill Clinton dans les années 90, au nom d'une stratégie politique baptisée "triangulation" qui consiste à piller les idées de l'adversaire pour lui dérober une partie de son électorat.

Cet ensemble de lois, de 1994, regroupées sous le nom de Crime Law fait partie d'un "plan anticrime", et contient "une avalanche de longues peines de prison automatiques, qui impose par exemple la perpétuité après trois délits consécutifs quel que soit l'avis du juge." (p 58-9). Elle "aurait pu rester réservée au tribunaux fédéraux" (qui ne jugent que les crimes les plus graves). "Mais non. Elle prévoyait avant tout des milliards de subventions aux États qui bouleverseraient leurs législations locales pour se calquer sur le nouveau dogme. Dix-huit d'entre eux ont sauté le pas dans les mois qui suivirent la signature présidentielle." (p 59)

Tout cela au nom de la lutte contre une criminalité présentée comme galopante, sur fond de "guerre contre la drogue" et les gangs de jeunes associés au trafic présentés comme "ce genre de gamins qu'on appelle les superprédateurs, sans conscience ni empathie", selon un discours devenu célèbre de Hilary Clinton dans le New Hampshire en 1996 (ibid.).

Cela alors-même que "la criminalité avait déjà amorcé une chute spectaculaire depuis son pic de 1991" (ibid.).

Mais c'est aussi l'époque où "les télévisions en pleine restructuration misaient sur les profits générés par les nouveaux journaux télévisés régionaux de 18h, eux-mêmes dopés par les "sujets crimes". Et "dans la surenchère sanglante, les télés ont trouvé leur caution intellectuelle : un commentateur prolixe nommé John J. Dilulio, ancien de Harvard et professeur de sciences politiques à Princeton pendant treize ans, vite présenté comme la crème des criminologues parce qu'il avait inventé le terme "superprédateur" pour décrire une nouvelle génération de tueurs glacials, mineurs, mais, selon lui, "inaptes à la rédemption et au remords". Ce prétendu expert qui agitait le spectre d'un décuplement , avant 2010, des homicides commis par des enfants (...) est à l'origine du durcissement invraisemblable des sentences pour mineurs, bientôt jugés dans la moitié des États américains comme des adultes." (ibid)

 

Le résultat majeur de cette politique est un enfermement sans précédent touchant prioritairement les minorités, et particulièrement la minorité noire. Avec des effets de marginalisation sociale renforcée : les mesures de contrôle judiciaire après sortie de prison sont si strictes qu'elles empêchent toute réinsertion comme le montrent maints exemples recueillis par Philippe Coste à Milwaukee (Wisconsin) (p 55-7).

Dans toutes ces ex-villes industrielles de la "Rust belt", la concentration d'Afro-Américains issus de la classe ouvrière est maximale, comme le taux de chômage et donc tous les petits trafics illégaux qui en découlent.

La seule réponse trouvée à la question sociale par les démocrates depuis Clinton est sécuritaire (Obama n'a pas remis en cause la Crime Law).

 

Ceci explique le déficit de voix noires pour Hilary Clinton en 2016. Et le fait que Joe Biden, l'un des artisans du passage de la Crime Law au Sénat en 1994, puis vice-président d'Obama de 2008 à 2016, ait "eu maille à partir avec les mouvements noirs américains pendant sa campagne".

 

Ceci explique également la montée du racisme et des violences policières, dont le dernier cas, à Minneapolis, a provoqué une vague de colère sans précédent.

 

La victoire démocrate aux élections de novembre 2020 est donc suspendue à une claire réévaluation de cette catastrophique "triangulation" qui a abouti en réalité à renforcer le racisme et l'extrême-droite aux États-Unis comme elle le fait en Europe.

Ceux qui passent leur temps à "défendre notre police" en attaquant la chanteuse Camélia Jordana, qui ne fait que diffuser un constat d'insécurité des "minorités visibles" dans notre pays face à la toute-puissance policière dans certains quartiers, devraient s'interroger là-dessus.

 

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