Paul PRESTON Une guerre d'extermination Espagne 1936-1945

Publié le par Henri LOURDOU

Paul PRESTON Une guerre d'extermination Espagne 1936-1945
Guerre d'Espagne : vers la fin des légendes...
Paul PRESTON
Une guerre d'extermination
Espagne, 1936-1945.
Traduit de l'anglais par Laurent Bury et Patrick Hersant
(Tallandier, coll. Texto, septembre 2019, 992 p.)

 

Cette solide mise au point remet bien des pendules à l'heure.

La première est celle du mythe de l'égale propension au massacre des deux camps. Il apparaît très clairement que le camp nationaliste, dirigé par le général Franco, a été de loin le plus grand massacreur.

Et par massacreur, il faut bien sûr entendre exécuteur sans procès de gens en-dehors des combats. Ce qu'on appelle en droit des "crimes de guerre". A ces crimes s'ajoutent aussi les tortures, viols et autre brutalités que l'on a fini par qualifier de "crimes contre l'humanité".

Mais en établissant ce fait, Paul Preston m'oblige aussi au passage à revoir certaines appréciations issues de mes premières lectures sur le sujet.

Appréciations que j'avais nourries d'autres lectures ultérieures allant dans le même sens, et tendant à prouver que la seule contradiction au sein du camp républicain opposait les staliniens aux ordres de Moscou, alliés aux républicains modérés, aux vrais révolutionnaires de la CNT-FAI et du POUM.

Paul PRESTON Une guerre d'extermination Espagne 1936-1945
Paul PRESTON Une guerre d'extermination Espagne 1936-1945

Preston pointe quant à lui une autre contradiction, qui, à la réflexion, m'importe davantage : celle opposant les défenseurs du Droit aux partisans de la Force brutale...et donc des exécutions sommaires. Mais aussi, plus secondaire à mes yeux, bien qu'elle y soit liée, celle entre les partisans de la vigilance vis-à-vis de la fameuse "5e colonne" et ceux faisant aveuglément confiance à tous ceux qui avaient rejoint leur organisation (en l'occurrence la CNT, clairement infiltrée à Madrid par des espions patentés).

Ainsi, un Cipriano MERA, qui avait suscité mon admiration, en raison notamment de son rôle dans l'extraction de Mika ETCHÉBÉHÈRE des prisons staliniennes madrilènes en 1938, où elle était enfermée en tant qu'ancienne capitaine d'une milice du POUM, apparaît triplement fautif. Tout d'abord en ayant cautionné, comme la plupart de ses camarades madrilènes, des exécutions sommaires de prisonniers, et ensuite en ayant couvert de vrais espions franquistes occupant des postes élevés dans son état-major (p 600-601), puis offert à la répression franquiste des militants communistes qu'il avait emprisonnés (p 726).

Il apparaît aussi que certains libertaires, comme l'inspecteur spécial des prisons Melchor Rodríguez s'opposent à ces exécutions sommaires de novembre 36... en opposition avec le Ministre anarchiste de la Justice qui l'a nommé, Garcia Oliver, lequel doit finalement s'incliner, en raison des campagnes de presse internationales et de la pression diplomatique. (p 571-5) Cela étant, Melchor est finalement démis par Garcia Oliver le 1er mars 37 "à cause des soupçons croissants qu'inspirent ses relations chaleureuses avec les nombreux détenus de droite qu'il a aidés " (p 598)... mais si son remplaçant Julián Fernández, lui aussi de la CNT, "cherche lui aussi à empêcher les abus envers les prisonniers (...), contrairement à son prédécesseur, il n'établit pas avec eux de liens susceptibles de prêter à controverse." (ibid)

 

Donc un bilan qui rejoint finalement celui de Bartolomé Bennassar dans sa "Guerre d'Espagne" : la vraie justice, cette fois encore, était du côté des "modérés", c'est-à-dire du côté des défenseurs intransigeants de l'Etat de droit.

Post Scriptum 20 -8-23 : Je reprends la lecture de ce livre, après celle du roman de Dulce CHACÓN "Voix endormies", dont je rendrai compte prochainement.

 

Ce qui me frappe davantage, notamment après avoir lu le "Contre la haine" de Carolin EMCKE, est le véritable "racisme social" qui imprégnait une bonne partie de la classe possédante et des cadres de l'armée, de l'Eglise et de la police espagnole. Racisme nourri, chez les "africanistos" de l'armée, dont Franco faisait partie, de leur participation aux massacres coloniaux au Maroc dans les années 20. Ce racisme se nourrit également d'un imaginaire conspirationniste puissant associant juiverie-franc-maçonnerie et bolchévisme. Les exemples et citations de Preston font froid dans le dos. Tout cela converge dans une haine hystérique de la République et une apologie totalement décomplexée de la violence "légitime" des défenseurs de l'Espagne chrétienne, autoritaire et propriétaire contre toute atteinte aux "droits" des possédants.

 

Par ailleurs, je note également le véritable handicap de la gauche, toutes tendances confondues, face au camp de droite factieux, dont la victoire était déjà quasiment inscrite dans le rapports de force dès 1931. Si ce second camp n'est pas entièrement homogène, il est cependant notablement plus uni sur les méthodes violentes sans complexe à adopter face au peuple revendicateur – qui ne revendique alors le plus souvent, faut-il le souligner, que le droit de ne pas mourir de faim. Par contre, à gauche, à côté d'authentiques modérés, comme Azaña, se côtoient d'authentiques opportunistes, notamment au PSOE en la personne de Largo Caballero, leader de la prétendue aile gauche du Parti, qui allie la phrase révolutionnaire et l'inconséquence pratique de façon particulièrement suicidaire, et d'authentiques irresponsables comme les leaders de la FAI, qui n'assument pas davantage pratiquement leur phrase révolutionnaire que Caballero et pratiquent une forme de sectarisme qui n'a rien à envier à celui des staliniens. Cette forme de surenchère dans un verbe révolutionnaire nourri de l'intransigeance et de la violence de la droite menait droit à l'échec.

Seule une union sans faille autour du respect de l'Etat de droit aurait pu fournir à la gauche une perspective de victoire face aux putschistes. Faute d'avoir su en prendre la mesure, la gauche s'est de plus en plus divisée jusqu'à la défaite finale. Une leçon à méditer...

De plus, enfin, PRESTON examine dans sa conclusion les effets sur la mémoire collective de plus de trente ans de dictature et de réécriture de l'Histoire. Face au processus actuel de récupération de la mémoire des vaincus, il parle de ce que l'on peut appeler "le franquisme sociologique" qui perdure aujourd'hui "tout comme le communisme sociologique persiste dans les pays de l'ex-bloc soviétique" (p 788). On peut très certainement y trouver la base du succès du parti Vox dans les dernières années et de son alliance récente avec le Partido Popular : comme une résurgence d'un passé révolu, autour de nouveaux enjeux qui tournent aujourd'hui autour de l'accueil des migrants maghrébins et subsahariens.

 

 

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