Du danger des discours de peur et de fin du monde
Du danger des discours de peur
et de fin du monde.
J'ai été plus qu'à moitié convaincu par les collapsologues prédisant l'effondrement inéluctable de notre monde thermo-industriel et consumériste.
Cependant, je m'aperçois de plus en plus, avec cet épisode sur-anxiogène du Covid-19, combien le discours de peur, allié ou non à un discours de fin du monde, a des effets négatifs.
On sait bien que "la peur n'écarte pas le danger", je vois à l'usage qu'elle peut au contraire le renforcer.
Aussi je tiens ici à plaider pour ce que l'excellent théoricien Jean-Pierre Dupuy a appelé un "catastrophisme éclairé", c'est-à-dire une prise en compte du danger réel au moyen d'une réflexion froide et d'une délibération nourrie d'informations vérifiées et d'arguments rationnels. Cela en vue d'une action efficace pour y faire face.
Quand la peur renforce le danger...et alimente la haine.
Un cas d'école vient de nous être fourni par l'épisode de la fermeture sur décision judiciaire de l'usine de Renault-Sandouville dans la Seine-Maritime.
Le 28 avril, à la suite d'une concertation entre la direction et 3 des 4 organisations représentatives du personnel (CFDT, CFE-CGC et FO), ce site avait ré-ouvert progressivement en mettant en place des mesures sanitaires plébiscitées par les salariés volontaires présents. Il n'en a pas fallu davantage pour que la 4e organisation syndicale, la CGT, qui avait refusé de participer aux réunions de concertation, fasse appel à la justice et fasse fermer le site le jeudi 7 mai après-midi pour non-conformité de la procédure de concertation.
Les intérimaires qui devaient revenir sur le site le 11 mai vont donc rester chez eux. Et l'inquiétude s'est installée chez les salariés qui revenaient au travail en nombre croissant depuis deux semaines...
Laurent Berger, secrétaire-général de la CFDT, qui s'en est indigné sur France-Inter le lendemain http://www.leparisien.fr/economie/fermeture-de-renault-sandouville-laurent-berger-juge-la-cgt-irresponsable-09-05-2020-8313705.php?fbclid=IwAR13A7HwyUtB4VlLwQCuDz3r2RzAZnsZj4lBfMRWKV65_klW6iupJBaBR5Q
a été aussitôt l'objet d'une campagne haineuse de dénonciation des éléments les plus sectaires de la CGT https://www.facebook.com/infocomcgt/?__tn__=KH-R&eid=ARCGtKcOrDYo9vNhmcLZbXNC5OZKhKtPaOLgSGQ4Kv1i0vtgjvp_fsK6mWeDO11utW0ofP0xMELuU2gi&fref=mentions
Après avoir publié un photo-montage clairement homophobe qui a suscité de multiples réactions, ils l'ont remplacé par un texte dénonçant la soi-disant campagne mensongère menée par "les forces de l'Axe (Medef-CFDT-gouvernement)" contre ce jugement en en citant des morceaux choisis qui ne répondent en rien à l'argument du boycott des instances par les élus CGT... Attendons de voir ce que va dire la Justice en appel à ce sujet.
On appréciera au passage l'usage de l'expression "les forces de l'Axe", qui fait implicitement référence à l'alliance Allemagne-Italie-Japon de la 2de guerre mondiale...Aucune outrance ne leur fait peur : c'est à ça que l'on reconnaît les fanatiques.
On peut donc s'attendre dans les jours qui viennent à de nouvelles agressions contre des locaux ou militants CFDT de la part de quelques illuminés (mais pas très éclairés...).
Ce climat de haine est particulièrement préjudiciable à une action syndicale de plus en plus nécessaire et de plus en plus nécessairement unitaire.
Ceux qui ne le comprennent pas risque d'en payer le prix : une désaffection des travailleurs qui les touche de plus en plus, si l'on en croît les dernières élections de représentativité...
PS Le texte sectaire dénoncé ci-dessus a été remplacé "in fine" par une forme d'autocritique du premier montage homophobe où il n'est plus question de la CFDT et de son secrétaire-général, mais de "certaines équipes CFDT". On apprend que c'est suite à une ferme intervention de Philippe Martinez, dont on savait par ailleurs qu'il est clairement conscient des méfaits du sectarisme et de la surenchère. C'est une bonne nouvelle qu'il ose enfin s'y attaquer de front !
Quand la fin du monde autorise les rêves les plus fous...et les déceptions à venir les plus dures
Les appels à "tout changer" à l'issue de la période de dé-confinement se multiplient. Cette forme d'espérance "millénariste" a notamment pris la forme du dernier manifeste de Nicolas Hulot, que j'ai précédemment analysé.
Le risque essentiel que je vois à ces multiples appels est leur non prise en compte des conditions de fonctionnement de nos institutions démocratiques et libérales.
Ils font comme si la manifestation d'une volonté ou d'un objectif, le plus souvent sous la forme d'un simple clic de souris, suffisait à en garantir la réalisation.
Cette forme d'individualisme de masse exacerbé, dans le cadre des silos d'opinion créés par le fonctionnement des réseaux sociaux, ne mène pourtant pas loin.
Rien ne peut remplacer la délibération collective, puis le vote effectif pour des représentants sélectionnés par des partis politiques ou des associations ou des syndicats pour mettre en oeuvre des choix collectifs.
Pour cela, il faudrait, je ne le répèterai jamais assez, retrouver le chemin des associations, des syndicats, des partis pour construire un véritable programme commun de gouvernement et une majorité électorale, hors desquels il n'y a pas d'avenir démocratique. Et je crois, pour ma part, à la démocratie.