Une incertaine idée de la France ?

Publié le par Henri LOURDOU

Une incertaine idée de la France ?

Une incertaine idée de la France ?

Impasse social-nationaliste, raccourci, et issue de secours.

 

Une brève conversation entre voisins confinés m'a remis en tête cette idée, pas très nouvelle, mais féconde m'a-t-il semblé : alors que mon interlocuteur faisait état de l'arrogance bien française face à l'épidémie de Covid-19 ("Nous on sait tout faire mieux que les autres..."), je lui faisais remarquer que cette arrogance s'accompagne généralement d'une auto-dévalorisation qui marque notre profond manque de confiance en nous.

De fait, je pense que l'on peut dire que c'est ce manque de confiance en nous qui conduit à et explique l'arrogance. Une arrogance qui n'est qu'apparence et posture , et que l'on retrouve au fond dans tous les nationalismes. Lesquels ne sont que la traduction d'un profond manque de confiance en soi collectif.

Ce lieu commun, dira-t-on, traîne un peu partout. Mais en a-t-on tiré tous les enseignements ?

 

Une "France de gauche qui vote FN ?"

 

Il faut d'abord revenir sur le diagnostic résumé par ce titre du livre du politiste (on ne dit plus politologue semble-t-il) Pascal PERRINEAU (Seuil, juin 2017, 144 p ). Un autre essai, légèrement antérieur (mars 2016) du sociologue Hervé LE BRAS, diagnostiquait, lui, un "Nouvel ordre électoral" (Seuil-La République des idées, 136 p.) .

Croisons donc leurs analyses et voyons ce qu'il en est.

LE BRAS se base sur le résultat des élections départementales et régionales de mars et décembre 2015.

Il s'appuie sur des cartes particulièrement saisissantes regroupant les votes en 3 blocs de puissance électorale similaire, représentatifs de ce "nouvel ordre" : gauche, droite et FN.

Ainsi, les cartes des élections régionales de décembre 2015 (p 14-15) nous donnent à voir une France géographiquement coupée en trois.

La "France de gauche" correspond au grand Sud-Ouest (incluant le Limousin) plus la Bretagne, avec quelques trous (moyenne vallée de la Garonne, Gironde et Sud-Est du Tarn) et quelques excroissances (partie continentale de l'ex-Languedoc-Roussillon; sud de Rhône-Alpes; Seine-maritime et nord du Calvados et de la Manche, Paris et petite couronne, vallée de la Moselle).

La "France de droite" correspond à l'Alsace, la vallée de la Saône et du haut Rhône, la Savoie et le continuum Pays de Loire-Normandie, plus la région parisienne depuis son sud-ouest jusqu'à la Champagne, avec quelques excroissances autour du bassin d'Arcachon, au pays basque et dans les Alpes-maritimes.

La "France du FN" enfin correspond aux Hauts de France et au Grand Est (avec de petites dépressions correspondant aux excroissances de gauche et de droite), à la périphérie du bassin parisien, à la région Paca et à la partie littorale de l'ex-Languedoc-Roussillon, plus deux excroissances dans la moyenne Garonne e tle sud de la Gironde -Médoc).

A cette tripartition géographique s'ajoute une tripartition sociale et démographique, moins visuelle mais plus parlante en termes explicatifs. Elle nous est donnée par un sondage Ifop sortie des urnes du 7 décembre 2015 à l'occasion du 1er tour des élections régionales, résumé dans deux tableaux (p 12-13).

Ceux-ci font apparaître des contrastes qui surprendraient, dit l'auteur, "un politologue des années 1960 : la gauche l'emporte nettement dans les classes moyennes et supérieures, le FN dans les classes populaires (employés et surtout ouvriers), alors que c'eût été plutôt l'inverse à l'époque. Quant à la droite, elle conserve son électorat traditionnel de cadres, d'indépendants (artisans et petits commerçants) et de retraités." (p 12)

Les chiffres sont de 43% pour la gauche chez les cadres et professions libérales, contre 37% pour la droite et 16% pour le FN; à l'opposé, ils sont de 32% pour la gauche chez les ouvriers contre 16% pour la droite ...et 51% pour le FN.

A noter que chez les retraités les % sont de 35% pour la gauche, 42% pour la droite et 21% pour le FN.

Ce dernier point explique la forte présence du FN chez les jeunes actifs : 35% chez le s25-34 ans comme les 35-49 ans contre respectivement 36% et 38% pour la gauche et 25% et 24% pour la droite. Alors que le FN n'obtient la préférence que de 28% des 15-24 ans et 19% des 65-74 ans contre 41% et 36% pour la gauche et 29% et 44% pour la droite.

 

Ces constats introduisent bien la thèse de PERRINEAU sur la "France de gauche qui vote FN" : une France jeune issue des classes populaires.

Celui-ci s'appuie en outre sur le résultat des élections présidentielles de 2017. Une élection où, malgré sa défaite finale, le FN a obtenu un nombre de voix sans précédent, avec une nette progression entre les deux tours : 7,7 M de voix, puis 10,6 M, contre 6 M aux régionales 2015...et 5,5 M au 2d tour des présidentielles 2002).

Il analyse les raisons de cette progression à partir de longs entretiens réalisés avec un panel d'électeurs du FN au printemps 2016, tous anciens électeurs de gauche.

La conclusion est celle de la constitution encore inachevée d'un bloc social-nationaliste qui pourrait devenir majoritaire, comme il l'a déjà été, fugitivement, lors du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen de mai 2005.

Ce bloc est structuré autour du refus de la globalisation, autour de l'euroscepticisme et de l'attachement à "une identité nationale associée à une République forte et autoritaire" (p 130)

 

Un raccourci pour sortir de l'impasse social-nationaliste ?

 

Certains, à gauche, ont développé le concept d'"insécurité culturelle" pour expliquer le passage de ces pans entiers de l'électorat populaire du vote de gauche au vote d'extrême-droite.

Faut-il donc endosser ce concept et concevoir, comme ils nous y invitent, une stratégie de reconstruction d'une majorité de gauche autour de la "sécurisation culturelle" des classes populaires ? Autrement dit en restaurant un "nationalisme de gauche" basé sur un "roman national" avec ses mythes et ses héros ?

C'est la voie que suggéra en son temps JP Chevènement, notamment lors de sa campagne présidentielle de 2002, ainsi que nous le rappelle un récent documentaire de La Chaîne Parlementaire diffusé le lundi 23-3-20 consacré à sa carrière politique.

Il est révélateur que parmi les "grands témoins" de ce documentaire ait figuré Ségolène Royal qui a tenté d'introduire ce genre d'ingrédients dans sa campagne de 2007, et croit encore, semble-t-il à son come back politique...

Ce raccourci me semble illusoire et dangereux.

 

Sentiment d'abandon et confiance en soi

 

Il y a bien des éléments objectifs au sentiment d'abandon d'une bonne partie des classes populaires.

Les restructurations et plans sociaux à répétition dans l'industrie en font partie. Ainsi que le délitement des services , notamment publics, de proximité.

Mais ils ne jouent que par l'intermédiaire d'éléments subjectifs, qui relèvent fondamentalement du manque de confiance en soi.

Celui-ci est inculqué par un système d'éducation aux niveaux familial et institutionnel qui reste marqué par une tradition autoritaire, même si celle-ci est aujourd'hui en crise.

Trouver la confiance en soi passe par ce que certains psychosociologues et travailleurs sociaux ont baptisé "empowerment", que l'on traduit parfois en français par "autonomisation". Cette notion correspond à une pratique née en Amérique du Nord. Selon wikipédia se référant à Bernard Vallerie, on repère la première utilisation du terme empowerment aux États-Unis, au début du XXe siècle. Il est alors utilisé par les femmes luttant pour la reconnaissance de leurs droits. On trouve également cette notion dans les méthodes du community organizing de Saul Alinsky dès les années 1930, puis dans le mouvement des droits civiques dans les années 1960. En 1965, un groupe de psychologues l'utilise dans le cadre de pratiques de psychologie communautaire. La notion d'empowerment va alors se diffuser dans de nombreux champs, puis être utilisée dans les politiques publiques de lutte contre la pauvreté."

Or, bien que confiné aux actions de lutte contre la pauvreté, "L’empowerment a du mal à s’imposer en France. La frilosité des pouvoirs publics s’explique par les conditions d’accès à l’État qui favorisent le citoyen (individuel au détriment des groupes), par la dévalorisation des modèles de régulation alternatifs et par une conception figée de l’intérêt général " explique en résumé le sociologue Bernard Jouve en décembre 2006 ( dans la revue Economie & Humanisme, numéro 379, p 99).

Cette frilosité symptomatique montre a contrario, me semble-t-il, que la notion aurait en réalité vocation à être utilisée très largement, bien au-delà de la seule lutte contre la pauvreté. Plus exactement, il conviendrait selon moi d'étendre la notion de pauvreté au domaine politique : car c'est bien de cela au fond qu'il s'agit. De la pauvreté politique imposée aux Français par leur éducation autoritaire et des institutions que cette pauvreté a produites.

 

Donc la véritable issue de secours pour sortir de l'impasse social-nationaliste réside bien dans des pratiques d'empowerment citoyen sur des bases collectives : ce que l'on appelle à présent, mais que l'on pratique si peu et si mal, la "démocratie participative".

Là est le chemin de reconstruction d'une gauche qui ne peut consubstantiellement être que sociale mais en étant aussi internationaliste et antI-autoritaire.

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