Mouvement syndical : la fin d'un cycle

Publié le par Henri LOURDOU

Mouvement syndical : la fin d'un cycle

Mouvement syndical : la fin d'un cycle.

 

Je suis adhérent et militant à la CFDT depuis décembre 1981. Sympathisant depuis février 1972, j'ai franchi le pas de l'adhésion lorsque je suis devenu salarié et à l'occasion de la protestation contre le coup d'État du général Jaruzelski en Pologne qui mit hors-la -loi le syndicat indépendant " Solidarnosz".

A cette époque, la CFDT, sous l'impulsion de son secrétaire-général Edmond Maire, avait amorcé une démarche dite de "recentrage" pour retrouver le chemin de la démarche syndicale porteuse de résultats immédiats pour les salariés, au détriment de la stratégie dite "commune" avec les partis de Gauche en vue d'un changement politique par les élections.

Ce faisant, Edmond Maire faisait implicitement une autocritique de la ligne qui l'avait porté au pouvoir au sein de sa confédération face aux tenants de la "stratégie autonome" qui valorisait au contraire le rôle propre des organisations syndicales en le distinguant soigneusement de celui des partis.

Bien que venu de l'extrême-gauche, je me suis rallié à cette vision du rôle de l'organisation syndicale : elle doit avant tout apporter des résultats concrets et immédiats aux salariés.

Cette vision renouait avec la Charte d'Amiens de 1906 adoptée par le Congrès de la CGT, qui distinguait les deux rôles de l'organisation syndicale : un rôle d'émancipation à long terme, par l'abolition du patronat et du salariat, et un rôle d'amélioration à court terme de la condition des salariés.

Même si la formulation d'abolition du patronat et du salariat a été abandonnée depuis par l'ensemble du mouvement syndical, la perspective d'émancipation demeure et doit rester un horizon permanent de l'action syndicale. C'est un élément structurant de son existence en tant que mouvement social, et un puissant instrument de motivation de ses militant-e-s.

Quant à l'amélioration immédiate de la condition salariale, cela doit rester bien sûr le plus puissant motivateur de l'adhésion, mais en l'articulant avec le rôle émancipateur.

 

Ce second volet des améliorations immédiates explique la progression constante de la CFDT dans les élections de représentativité syndicale depuis 1981, jusqu'à ravir la première place à la CGT en 2017.

A l'évidence, la CFDT est le syndicat qui obtient le plus de résultats immédiats dans les entreprises. Le souci permanent de la négociation et de la formation des militants dans ce but n'y est bien évidemment pas étranger.

Mais les choses se compliquent dès qu'on a affaire à des enjeux centraux, tels que des accords interprofessionnels ou des lois.

 

Négociations interprofessionnelles, lois et rapport de force

 

Quelque chose s'est cassé avec la fameuse "loi travail" dite "El Khomri" de 2016. Élaborée solitairement par le gouvernement Valls sous la pression des lobbies patronaux, elle rompait avec la pratique "social-démocrate" revendiquée par François Hollande...et elle annonçait la pratique constante du gouvernement Philippe d'après 2017.

La CFDT s'était jusque-là habituée à se confronter à des partenaires de bonne foi, soucieux de parvenir à des compromis négociés avec les organisations syndicales de salariés.

Et donc, elle avait tout misé sur la préparation et le contenu de ces négociations. Tout se passait donc comme si le rapport de force résidait entièrement dans le nombre de ses adhérents, ou de ses voix aux élections, et la qualité de ses propositions.

Si l'on faisait parfois référence aux armes de la pétition, de la manifestation ou de la grève, c'était à dose de plus en plus homéopathique...

Las : il a bien fallu se rendre compte avec l'épineux dossier de la réforme des retraites, venant après le diktat gouvernemental sur celui de l'assurance chômage, et quelques autres, que la question du rapport de force ne se pose pas, ou plus, dans ces termes.

Comme en 1966, où la toute neuve CFDT s'est résolue à passer un pacte d'unité d'action avec la CGT, la question d'une mobilisation générale des salariés se trouve posée.

 

Un nouveau cycle de l'action syndicale

 

Dans la CFDT d'aujourd'hui, on entend souvent des responsables dire que "la manifestation ce n'est pas dans la culture de nos adhérents". Et en effet, lorsque notre confédération appelle à descendre dans la rue, comme le 17 décembre 2019 contre le projet gouvernemental d'introduire dès 2022 un "âge-pivot" dans le projet de réforme des retraites, les adhérents CFDT ne se sont pas précipités dans les cortèges. Beaucoup ont préféré se contenter de signer la pétition en ligne.

 

Or, il va bien falloir retrouver le chemin de la rue si l'on veut peser un tant soit peu à nouveau sur les choix gouvernementaux, car l'épisode des retraites en cours montre bien que dans la tentative d'instrumentalisation réciproque du gouvernement et des syndicats "réformistes", ce sont bien les seconds qui ont un train de retard en l'absence justement d'un vrai rapport de force.

Et l'attentisme d'une grande majorité de salariés se nourrit de la division syndicale attisée par le gouvernement. Et c'est bien cette division qui a également nourri la tiédeur de la mobilisation des adhérents et sympathisants CFDT le 17 décembre, plus qu'une supposée "culture"...

Il y a donc un pré-requis : celui d'une re-liaison au sommet entre les grandes confédérations pour trouver un cadre unitaire d'action.

Faute d'un tel sursaut, toutes seront perdantes à l'issue de la séquence actuelle, ainsi que l'a bien analysé le journaliste du "Monde" Michel Noblecourt, qui suit l'actualité sociale depuis des décennies ("La réforme des retraites ne fera que des perdants", "Le Monde" daté 4-3-20, p 30).

 

Des formes d'action à réinventer dans un cadre nouveau

 

Le raidissement gouvernemental, qui dépasse les dossiers sociaux, s'inscrit dans un contexte plus général de replis identitaires et de radicalisations diverses.

Il suscite des réactions de plus en plus violentes de la part de minorités actives que l'on pourrait à première vue assimiler aux "gauchistes" de 68 et après.

Le parallèle est tentant, mais il est trompeur car beaucoup de paramètres ont changé depuis lors.

 

Un cadre nouveau

 

Le premier, le plus évident, est la disparition du mouvement ouvrier en tant que référence centrale et historique, avec pour point de mire la Révolution russe, le modèle bolchévik et ses avatars tel le maoïsme florissant du début des années 70.

On assiste bien aujourd'hui à une résurgence anarchiste qui tente d'occuper cet espace vacant du champ révolutionnaire, mais elle reste bien en deçà de l'influence passée du bolchévisme. Quant à la social-démocratie, elle n'a à l'évidence pas pleinement profité de l'effondrement du modèle bolchévik.

L'essor de l'écologie se situe en grande partie hors du champ historique du syndicalisme, bien qu'il impacte celui-ci en tant que nouveau "grand récit" sur l'avenir.

Il y a une dépression historique du camp "progressiste" dans lequel s'inscrivait l'ensemble du mouvement syndical, avec d'ailleurs une préemption du terme "progressiste" par une nouvelle Droite issue de cette dépression, de Tony Blair et Bill Clinton à Barack Obama et Manuel Valls puis Emmanuel Macron.

 

Mais il y a également un cadre économique et social qui n'a plus rien à voir avec les années 70.

Outre la mondialisation de la plupart des enjeux (échanges, migrations, climat...), notre société a profondément changé depuis lors : élévation du niveau de vie (généralisation de la "société de consommation") et de formation, vieillissement considérable, urbanisation renforcée, entrée massive dans le numérique...

Il s'ensuit une grande modification des conditions de mobilisation, qui passe également par les modifications dans l'entreprise et le travail.

La montée du "précariat" (qui reste minoritaire dans le salariat mais constitue une hantise qui s'est peu à peu généralisée), l'étirement des "chaînes de valeur" qui fractionne les processus productifs sur des sites mondialisés, ont dégradé fortement le rapport de force dans l'entreprise et réduit le pouvoir de négociation des syndicats.

De ces différents éléments découle la nécessité de réinterroger les formes traditionnelles d'action et d'en trouver de nouvelles.

 

De nouvelles formes d'action

 

Ce travail de réinvention des formes d'action syndicale est largement devant nous. Il doit s'appuyer sur un nouveau militantisme qui se cherche et connaîtra sans doute bien des essais et erreurs avant de trouver sa voie.

Éviter le double piège de la frilosité et de la complaisance sera également difficile pour les responsables syndicaux.

Entre l'histrionisme médiatique sans effet des "coups de buzz" et la fuite en avant dans une violence contre-productive, chercher à mobiliser le plus grand nombre passe d'abord par une claire définition des enjeux et des objectifs. Cela implique donc un gros travail de formation et de communication que les syndicats ne fournissent pas toujours avec la rigueur requise.

Or seule une telle clarté partagée sur les enjeux et les objectifs peut permettre de trouver les modalités d'action adéquates.

 

En conclusion : Les deux enjeux de la nouvelle période

 

Ce sont pour moi tout d'abord de trouver une définition commune des enjeux et des objectifs de l'action syndicale d'aujourd'hui, et cela passe, à l'évidence par des échanges au sommet comme à la base entre responsables et militants des différentes organisations, au lieu des monologues juxtaposés actuels.

En même temps se pose la question urgente de ripostes communes aux agressions dont les travailleurs sont aujourd'hui l'objet de la part du gouvernement : celles-ci ne peuvent attendre que les démarches précédentes portent leurs fruits, je dirais même qu'au contraire elles doivent les précéder pour en créer les conditions.

De ce point de vue le "pacte d'unité d'action" de 1966 constitue un précédent exemplaire. En un mot Laurent Berger et Philippe Martinez doivent se parler sans tarder à l'issue de l'échec prévisible des pourparlers en cours sur la réforme des retraites.

 

 

Publié dans syndicalisme

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