Margaret ATWOOD Le dernier homme

Publié le par Henri LOURDOU

Margaret ATWOOD Le dernier homme

Margaret ATWOOD Le dernier homme

Roman paru en 2003 sous le titre "Oryx and Crake",

traduit de l'anglais (Canada) par Michèle ALBARET-MAATSCH.

(Robert Laffont, 2005, 398 p.)

 

A présent très connue, grâce à l'adaptation télévisée de son roman de 1985 "La servante écarlate" ("The handman's tale"), cette écrivaine féministe de 80 ans, née à Ottawa le 18 novembre 1939, a récemment défrayé la chronique en prenant position contre les excès des dénonciations extra-judiciaires suscitées par le mouvement "me-too". Cette controverse n'aura pas été inutile, puisqu'Adèle Haenel s'est résolue à déposer plainte contre l'agresseur qu'elle s'était jusque-là limitée à dénoncer publiquement par un témoignage très commenté.

Faut-il dire que ce rôle de trublione de la bonne conscience militante et de défenseure intransigeante de l'État de droit m'a rendu Margaret ATWOOD encore plus sympathique ?

Dotée d'un humour féroce et d'une lucidité qui ne l'est pas moins, Margaret ATWOOD nous donne, avec ce premier tome d'une trilogie dystopique, une chronique à la fois réjouissante et désespérante de "l'effondrement", écrite bien avant l'avènement de la collapsologie.

 

Dans une société où la technologie des manipulations génétiques occupe le premier plan, les inégalités sociales se sont creusées au point de créer un véritable apartheid entre des "compounds" hypersécurisés de techniciens et ingénieurs de l'industrie génétique, qui évoquent les quartiers réservés aux colons Blancs dans l'Empire britannique, et les "plèbezones" où règne l'insécurité : "Les habitants des Compounds n'allaient pas en ville à moins d'y être obligés et, en ce cas, jamais seuls. Pour eux, les villes étaient des plèbezones. Malgré les cartes d'identité avec empreinte digitale dont tout le monde était désormais équipé, la sécurité des plèbezones laissait à désirer : il y avait là des gens capables de falsifier n'importe quoi et susceptibles d'être n'importe qui, sans parler du menu fretin : drogués, petits voleurs, indigents, désaxés. Il valait donc mieux que tout le personnel de BioIncs vive sur le même site et bénéficie d'un système de sécurité à toute épreuve." (p 37)

 

Mais nous découvrons tout d'abord le héros de l'histoire, baptisé Snowman, dans un univers d'après la catastrophe, où il se retrouve seul humain dans un environnement ravagé, et tente d'aménager au mieux sa survie.

Le livre est construit sur des va-et-vient entre ce présent sans espoir et le passé du personnage, évoquant progressivement, à travers sa propre histoire, les conditions qui ont amené à cette situation.

Le plus passionnant est bien sûr ce "monde d'avant", qui ressemble par bien des traits au nôtre, mais avec une petite touche d'exagération qui donne lieu à une invention verbale étourdissante pour laquelle il faut saluer le travail de la traductrice.

Ainsi le héros, devenu lycéen dans un établissement d'élite lié à la société où travaille son père, le lycée de SentéGénic, devient ami avec un jeune surdoué qui vient d'arriver dans l'établissement. Ensemble, ils passent leurs loisirs à des jeux vidéo éminemment révélateurs par leurs titres et leurs thèmes : "L'anéantissement des barbares", "Du sang et des roses", axés sur l'Histoire ces deux jeux mettent en avant le rôle de la violence. Puis, lassés, ils passent à l'Extincthaton, jeu basé sur l'histoire de l'extinction des espèces...Et nous voici ramenés à notre présent ! Car le jeu "renvoyait à une bioforme disparue au cours des cinquante dernières années – pas de T-Rex, pas de roc, pas de dodo, et des points en moins quand on se trompait sur la période concernée." (p 91)

Snowman, qui s'appelait alors "Jimmy" et son ami qu'il a rebaptisé "Crake", "reçurent leur diplôme du lycée de SentéGénic par une journée chaude et humide du début de février. Avant, à l'époque où le temps était ensoleillé et modérément chaud, la cérémonie se déroulait en juin. Mais le mois de juin correspondait désormais à la saison des pluies sur toute la côte Est et, avec les orages, il aurait été impossible d'organiser un tel événement à l'extérieur. Même le mois de février était limite : ils avaient évité une tornade à un jour près." (p 187).

Ici encore, nous sommes renvoyés (avec une prémonition remarquable : le livre est publié en 2003 !) à notre présent de menace climatique qui se confirme.

A l'issue de leurs étude secondaires, nos héros sont donc recrutés par des universités dont le prestige et les moyens sont très hiérarchisés. Jimmy, lycéen très moyen dans les matières scientifiques, échoue dans un établissement pour littéraires et artistes un peu miteux...et encore grâce aux relations de son père, avec qui pourtant il ne s'entend guère, surtout depuis le départ de sa mère en désaccord total avec l'orientation de BioIncs où elle avait cessé de travailler en s'enfonçant dans une dépression chronique. Elle rejoint clandestinement dans les plèbezones les résistants à l'ordre existant, et pour cela, Jimmy fait l'objet d'une surveillance discrète du CorpSeCorps, le service de sécurité omniprésent.

Par contre, son copain Crake, très brillant scientifique, est recruté par le campus le plus prestigieux associé aux industries du génie génétique.

La visite de Jimmy lors de ses vacances scolaires est l'occasion pour lui, et pour nous, de découvrir les nouvelles trouvailles de ce labo de pointe : "Ce ne sont pas des chiens, ils en ont l'apparence mais c'est tout. Ce sont des louchiens – ils sont conçus pour faire illusion. Essaie de les caresser, ils t'arracheront la main.(...)

  • Pourquoi créer un chien comme ça ? s'écria Jimmy en reculant d'un pas. Qui en voudrait-un ?

  • C'est un truc du CorpSeCorps, expliqua Crake. Une commande. Un gros investissement. Ils veulent les mettre dans des douves où je ne sais quoi.

  • Des douves ?

  • Oui. Plus efficaces qu'un système d'alarme – pas moyen de désarmer ces machins. Et pas moyen de s'en faire des copains, pas comme les vrais chiens.

  • Et s'ils s'échappent ?"... (p 220)

Ainsi, par petites touches, nous voici préparés au monde d'après l'Apocalypse qui constitue l'environnement du narrateur...

 

Il ne reste plus qu'à joindre les deux bouts de l'histoire en nous amenant aux raisons précises de cette Apocalypse et à l'aventure finale du Survivant, laquelle reste bien évidemment sans conclusion...Du beau travail de romancière !

La suite ici.

Publié dans écologie, Histoire

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