Résistance démocratique : le bon combat d'aujourd'hui

Publié le par Henri LOURDOU

Résistance démocratique : le bon combat d'aujourd'hui

Résistance démocratique : le bon combat d'aujourd'hui

 

Ilvo DIAMANTI et Marc LAZAR "Peuplecratie -Les métamorphoses de la démocratie",

Gallimard, mars 2019, 192 p, (traduit de l'italien par Christophe MILESCHI).

 

Description attentive et minutieuse des mutations en cours en Europe, et tout spécialement en Italie et en France, cet ouvrage de politistes avertis se conclut par une tentative de synthèse sur cette métamorphose de nos démocraties.

Il retient trois traits principaux.

Tout d'abord la personnalisation-présidentialisation du débat politique qui désinvestit les collectifs et corps intermédiaires (partis, syndicats) de leur légitimité.

Ensuite le recours privilégié aux canaux numériques d'une "démocratie-en-direct" supprimant tout temps ou délai de réflexion et mettant en avant les acteurs recourant à ces canaux (réseaux dits sociaux en particulier, avec la substitution croissante des vidéos aux textes).

En troisième lieu l'adaptation de tous les acteurs politiques aux thèmes imposés par les populistes, à leur langage et à leurs revendications (p 150).

Et quels sont ces thèmes et ces revendications ?

La dénonciation des "élites" de toute nature, en particulier "la magistrature, l'Université, les médias en tant que structure (presse, radio, télévision) et les professionnels médiatiques (journalistes, opinion makers) sont discrédités par des attaques publiques et personnelles, recourant aux réseaux sociaux et aux moyens de communication plus traditionnels" (p 153).

"L'appel à l'ethnicité du peuple (...) par opposition à tous les "autres", étrangers et migrants".

L'opposition à la mondialisation, dénoncée comme une menace en tant que telle, par le recours au protectionnisme économique.

Enfin la survalorisation des frontières et de leur contrôle et la critique de l'UE pour son inefficacité en ce domaine (p 154).

Tous ces thèmes sont à présent, non pas placés au centre du débat public, mais intégrés comme pré-requis du débat, comme s'ils faisaient consensus, du fait du renoncement de la plupart des acteurs politiques à les remettre en cause. A noter que les auteurs distinguent soigneusement populisme de gauche et populisme de droite, mais c'est pour constater que le premier garde toujours un temps de retard sur le second, et finit toujours par lui céder la place.

 

Devant un tel constat, les auteurs terminent leur propos par en posant la question de comment sortir de cette "clôture du débat par l'instauration de ce nouveau cadre qu'ils baptisent "peuplecratie" (p 154).

Et c'est ici que commencent mes interrogations.

 

Répondre au populisme en admettant ses questions ?

 

Nos auteurs demandent en effet aux partisans de la démocratie représentative et libérale de faire la preuve de leur "capacité à répondre aux demandes et aux aspirations des populations – désorientées, inquiètes, parfois même désespérées" en sachant "offrir aux citoyens les garanties et les protections qu'ils attendent, en refondant le pacte social. Et aujourd'hui en particulier, en pensant à nouveaux frais les modèles d'intégration des immigrés (NB c'est moi qui souligne)." (p 158-9)

Je m'arrête sur ce dernier point, dont la formulation ambigüe me laisse perplexe, voire dubitatif.

Si penser "à nouveaux frais les modèles d'intégration des immigrés" (à supposer que de tels "modèles" existent : on y reviendra) signifie leur donner enfin de nouveaux droits de citoyens, tel que le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales, promis par la Gauche...depuis la fin des années 70, alors oui, je suis parfaitement d'accord.

Car l'essor de l'extrême-Droite s'est appuyé largement sur le déficit de droits des populations immigrées, qui a favorisé leur stigmatisation, leur marginalisation et leur utilisation comme bouc-émissaires.

 

Si, par contre, il s'agit d'imposer des obligations particulières à ces populations en leur enjoignant de devenir immédiatement des Français selon un modèle standard qui n'existe pas, de les surveiller davantage que les autres et de combattre le "communautarisme " à tout bout de champ, alors pas d'accord du tout.

Car , comme le rappellent régulièrement les historiens de l'immigration, comme Patrick WEIL et Gérard NOIRIEL, la dénonciation du "communautarisme" a toujours recouvert des entreprises de négation de l'égalité des droits recouvrant elles-mêmes des discriminations. C'est, au contraire, par l'égalité des droits que se défait spontanément le "communautarisme" qui n'est qu'un moment , par ailleurs toujours présent et nécessaire, du processus d'intégration.

 

Pour une vraie réponse démocratique au populisme

 

Il s'agit bien d'entrer en résistance contre un modèle devenu dominant. Cela suppose une lutte lucide sur différents fronts dont aucun n'est à négliger.

 

-Refuser la personnalisation du débat politique et en particulier, pour la France, le présidentialisme électoral, en mettant en avant les collectifs et notamment les partis et syndicats, dont la vie démocratique doit être revitalisée autour des idées et des propositions et non des personnes et des postures.

-Refuser l'usage politique privilégié des "réseaux sociaux" et la pseudo-démocratie du "clic" en revalorisant les procédures de débat institutionnelles et les médias professionnels, et en prenant le temps et les moyens nécessaires à de vrais débats.

-Refuser les thématiques imposées par les populistes et en dénoncer la fausseté sur tous les sujets, au profit des vrais enjeux et de la façon pertinente de les poser. Ce qui suppose de refuser certaines sollicitations médiatiques ou de les recadrer chaque fois que nécessaire.

Ainsi, critiquer les élites ne saurait être un automatisme et doit se faire avec des arguments probants et non des procès d'intention a priori.

Les identités collectives existent mais elles sont multiples pour un même individu : n'en retenir qu'une pour la survaloriser au détriment des autres, c'est générer la guerre des identités en créant et en entretenant l'insécurité culturelle que l'on prétend ensuite dénoncer.

La mondialisation ne peut également être posée univoquement que comme une menace, car à côté de la mondialisation économique libre-échangiste, orientée d'ailleurs par les firmes transnationales mais aussi par notre adhésion au consumérisme, et qui détruit emplois et conditions de vie et de travail, il y a la mondialisation de la conscience citoyenne et militante, qui permet également des luttes elles aussi transnationales, et surtout une mondialisation des enjeux écologiques et humains (migrations) qui ne permet plus de n'apporter de solutions que dans le cadre national.

Quant à la survalorisation des frontières nationales, elle crée l'illusion que les phénomènes migratoires pourraient être supprimés de façon autoritaire. Elle ferme les yeux non seulement sur les drames que la tentative de fermeture provoque déjà (cf parmi d'autres le livre récent "Naufragés sans visage" de Cristina CATTANEO, Albin Michel, septembre 2019), mais aussi sur les causes des migrations et la façon de les traiter (arrêt des ventes d'armement aux régimes dictatoriaux par exemple...)

 

Bref, la peuplecratie est bien en marche, mais elle n'est pas une fatalité. Elle est le produit des renoncements de tous les démocrates qui se laissent entraîner par "l'air du temps".

 

L'heure est au contraire à la résistance démocratique. Et quelques signes montrent que celle-ci est elle aussi en marche.

Conforter ces signaux encore faibles de résistance, c'est exercer notre vigilance et notre action sur tous les fronts énoncés plus hauts, encore une fois sans en négliger un seul.

 

Cela demande rigueur et persévérance. Mais l'avenir de la démocratie est à ce prix.

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