Quel avenir pour la Pac ?
Quel avenir pour la Pac (Politique agricole commune) ?
Un atelier des Journées d'été des écologistes à Toulouse , le 23 août dernier, s'est penché sur cette question, qui est loin de ne concerner que les agriculteurs.
Cet atelier réunissait Jules Hébert, de la Fondation Heinrich Böll, Cécile Claiverole, de FNE et représentant le collectif "Plateforme pour une autre Pac", Francesco Ajena, du réseau Ipes Food(International Panel of Experts on Sustainable Food Systems) , et Benoît Biteau , nouvel eurodéputé Vert.
Jules H rappelle quelques chiffres et renvoie à l'intéressant Atlas de la Pac que vient d'éditer sa Fondation http://fr.boell.org. Dans l' UE, 20% des exploitations agricoles continuent à toucher 80% des fonds de la Pac, 50% des terres sont exploitées par 3% des agriculteurs.
Cécile C commence par expliquer pourquoi la Pac ne concerne pas les seuls agriculteurs : elle structure en effet tout notre modèle agro-alimentaire.
La Pac représente encore 38% du budget de l'UE; or elle est construite sur deux piliers : le 1er consiste en aides directes aux agriculteurs calculées à l'hectare, ce qui explique son caractère inégalitaire et qu'elle pousse à la concentration des terres; son 2d pilier qui comporte des aides agro-environnementales ne corrige qu'à la marge le modèle productiviste induit par le 1er pilier.
Par ailleurs la Pac actuelle déstructure les sociétés du "Sud", pose des problèmes de santé publique et de gestion de l'eau, etc.
Militer pour une Pac plus juste concerne donc les agriculteurs, mais aussi l'environnement et la santé.
Sur le site https://pouruneautrepac.eu , onglet "notre vision", sont affichées 12 priorités pour une Paac (Politique agricole et alimentaire commune) post-2020.
Benoît B fait le point sur la nouvelle Pac qui doit entrer en vigueur en 2021. La Commission a présenté un projet mais celui-ci ne fait pas consensus, car il reproduit en grande partie la Pac en vigueur.
Il est encore temps d'ouvrir un vrai débat de société sur le modèle en place qui a conduit à diviser par deux le nombre de paysans en 20 ans.
Il y a trois hypothèses :
-La Commission maintient son projet : il y aura alors une forte bataille d'amendements au Parlement qui risque d'être longue.
- La décison est réservée au Conseil, c'est-à-dire aux gouvernements. C'est le passage en force.
-La Commission accepte une remise en chantier du projet avec une logique nouvelle : passer de l'aide à l'hectare à l'aide à l'emploi, sortir des deux piliers et conditionnaliser toutes les aides sur des critères agro-environnementaux. Sur cette logique une majorité peut se construire au Parlement entre les Verts, la GUE (extrême-gauche), les SD (sociaux-démocrates) et le groupe Renaissance (macronistes et leurs alliés).
Cécile C fait remarquer la situation paradoxale du gouvernement français : ses services restent dans l'anticipation d'une reconduite de la Pac actuelle, avec pour corollaire une re-nationalisation de la distribution des aides et une ouverture aux demandes des asso écolo pour en corriger les effets.
Francisco A dont le réseau a produit (voir le site en anglais http://www.ipes-food.org ) un rapport "vers une politique alimentaire commune pour l'UE" (résumé disponible en français sur le site), insiste sur le fait qu'au-delà d ela Pac d'autres politiques influent sur le système alimentaire : commerce, fiscalité, environnement. De plus toutes ces politiques ont différents niveaux de gouvernance (UE, Etats, régions, communes). A tous ces niveaux il convient de démocratiser les décisions par plus de participation citoyenne. Et il faut arriver à un niveau de cohérence suffisant pour définir une véritable politique alimentaire intégrée.
Le niveau européen doit être privilégié pour faire de la politique alimentaire le vecteur d'un nouveau récit pour plus d'Europe.
Benoît B conclut ces interventions liminaires en soulignant que la nouvelle Présidente de la Commission, Ursula Von Layen n'a été investie au Parlement que par 9 voix de majorité, après avoir évité toute allusion à la Pac dans son discours pour être investie...car le sujet est très clivant dans sa majorité. Cela donne une perspective...
Je n'ai pas assisté au bref débat avec la salle qui a suivi, mais j'en ai eu un écho peu après par Jacques Berthelot, ancien professeur à l'Ensat (Ecole publique d'agronomie de Toulouse) qui n'a pu intervenir nous dit-il sur le sujet qui lui tient à coeur : la question des relations internationales de l'UE en matière agro-alimentaire, spécialement avec l'Afrique de l'Ouest.
Du texte (très touffu et un peu technique) qu'il nous a distribué, je résumerai ci-après le propos.
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Contrairement à ce qui se dit, et au premier objectif fixé à la Pac depuis sa création en 1964, l'UE n'est pas autosuffisante en matière alimentaire.
Si l'on fait abstraction des boissons, elle a un déficit commercial structurel avec les pays du "Sud"
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Malgré cela (ou à cause de cela ?), l'UE a imposé à l'Afrique de l'Ouest ses exportations agro-alimentaires par une politique de dumping qui a fortement varié dans ses modalités mais aboutit toujours au même résultat : une asphyxie de l'agriculture de ces pays par une concurrence déloyale sur les prix.
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Cette politique, soigneusement masquée ou diluée dans de nombreuses décisions "techniques" aboutit à augmenter les difficultés de ces pays face aux nombreux défis qu'ils doivent relever :
-Défi de la pauvreté
-Défi démographique (population qui va doubler d'ici 2050 et dépasser celle de l'UE en 2030, alors que son activité principale reste l'agriculture...reposant sur des surfaces qui ne vont pas augmenter)
-Défi climatique : les latitudes tropicales vont être les plus impactées par le changement climatique (avec les latitudes polaires) ce qui fragilisera d'autant la production agricole
-Défi alimentaire : ces pays ont vu leur déficit alimentaire multiplié par 11 de 2005 à 2016.
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Pour inverser cette logique il faut commencer par la mise en place d'une nouvelle Pac refondée sur l'objectif d'autosuffisance alimentaire européenne et abandonnant la promotion de exportations/importations par les accords de libre-échange et la fuite en avant dans l'agro-business industriel.
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Faute de cela, ce sont les migrations massives de la misère entre l'Afrique de l'Ouest et l'UE qui seraient encouragées, alors que l'UE tente déjà, en vain et en toute inhumanité, de les empêcher.
Ces défis ne pourront être relevés que par une révision complète de la politique des échanges et un recours à l'agro-écologie pour économiser les ressources et maximiser la production vivrière et l'emploi local, là-bas comme ici.
Pour conclure, cela implique que nous, consommateurs, consacrions davantage d'argent à nous nourrir en nous recentrant sur un mode de vie plus sobre concernant les consommations non contraintes...