Jean-Baptiste DEL AMO Règne animal

Publié le par Henri LOURDOU

Jean-Baptiste DEL AMO

Règne animal

(Folio n° 6465, mars 2018, 494 p.)

 

Ce livre m'a été recommandé et prêté par des amis. J'ai interrompu une première fois sa lecture au bout de 40 pages, atteint par un irrésistible sentiment de répugnance.

Encouragé à poursuivre, je me suis demandé d'où provenait ce sentiment. Et je me suis aperçu qu'il venait de l'absence totale d'empathie créée par l'auteur envers ses ses personnages. Poussant plus loin la réflexion, je me suis également rendu compte que cette distance était créée d'abord par le procédé narratif. Ecrit en "focalisation externe", le récit nous met d'emblée à distance de personnages décrits de l'extérieur.

Mais, outre cela; le vocabulaire utilisé crée délibérément la répugnance par l'usage surabondant de mots négatifs relevant des champs lexicaux de la répétition, de l'usure, de la ruine, de l'ombre, et de la crasse. Dès les deux premières pages, je relève "vermoulu", "ombres", "rompus par les ans", "sombre", "affaissés", "senteurs rébarbatives", "crasseux", "brisé", "kyste", "morte", "digérée par la terre", "puanteur", "poisseuse", "maladie".

Les premiers personnages (un couple de paysans gersois de la fin du XIXe) sont avares de leurs mots, mus par des habitudes, et habités de sentiments négatifs envers la vie et les autres. Nulle pulsion positive ne semble les habiter. Ceux qui se greffent à eux, leur fille unique née comme malgré eux, leur lointain neveu pauvre venu les aider une fois le père malade devenu incapable de travailler, sont eux-mêmes pris dans cet univers quasi-silencieux voué au travail perpétuel.

Poursuivi par l'histoire de la génération non pas suivante mais quasi contemporaine (la seconde partie du récit passe directement de l'après-guerre de 14 à 1981), le récit garde ce ton négatif et ce regard détaché, faussement objectif. Les descriptions minutieuses d'un quotidien répétitif et axé sur le travail de la ferme sont toujours aussi dévalorisantes (voir p 268-9 le début d'une matinée vouée au travail dans une ambiance familiale pesante et morne).

On est passé de la petite exploitation traditionnelle de polyculture-élevage à l'élevage industriel de porcs. Et l'on s'aperçoit aussitôt que l'on n'a rien gagné au change... (p 343 : reproduite ci-après).

Si ce n'était cette description, qui décourage définitivement de manger du jambon industriel, on se lasse assez vite des interminables descriptions du quotidien cafardeux d'une famille où tous les sentiments, même non exprimés, ne sont que négatifs. Où l'existence ne semble que mécanique et sans horizon. Fermée sur elle-même en un microcosme morbide.

Les pathologies individuelles qui en découlent (bipolarité d'une bru, mutisme d'un petit-fils, alcoolisme d'un fils) ne nous surprennent pas. Pas plus que le cancer caché du père, dû semble-t-il à l'usage des produits sanitaires pour l'élevage, ou l'homosexualité clandestine du second fils. Cette accumulation finit cependant par créer un effet de "trop-plein" : on sombre dans le cliché.

Et même si l'introduction d'un élément perturbateur (l'évasion du verrat le plus productif) vient introduire un semblant d'histoire, on finit par s'interroger sur l'intérêt de tout cela, et on commence à tourner les pages plus vite...

Jusqu'au dénouement : l'ensemble du troupeau est inexplicablement atteint d'une épidémie, le père hospitalisé pour son cancer en phase terminale, la bru bipolaire finit par s'arracher à la ferme et s'enfuit...Et le dernier fils encore valide procède à la crémation du troupeau en une espèce d'apocalypse finale.

Mais cette "révélation" (le sens littéral du mot "apocalypse"), dont le pendant est la description de la vie redevenue sauvage du verrat évadé (symboliquement juste, mais est-ce crédible dans un récit qui se veut réaliste ?), nous apprend-elle quelque chose que nous ne savions déjà ?

Au final donc, malgré quelques pages résumant bien l'horreur de l'élevage devenu industriel, un ouvrage pour moi "pesant", plus que "puissant" comme on me l'avait vanté.

Ce qui illustre le jugement que je me fais de la littérature "engagée" : elle est d'autant plus prenante qu'elle privilégie la littérature sur l'engagement.

 

"Car tout dans le monde clos et puant de la porcherie, n'est qu'une immense infection patiemment contenue et contrôlée par les hommes, jusqu'aux carcasses que l'abattoir régurgite dans les supermarchés, mêmes lavées à l'eau de javel et débitées en tranches roses, puis emballées avec du cellophane sur des barquettes de polystyrène d'un blanc immaculé, et qui portent l'invisible souillure de la porcherie, d'infimes traces de merde, les germes et bactéries contre lesquels ils mènent un combat qu'ils savent pourtant perdu d'avance, avec leurs petites armes de guerre : jet à haute pression, Cresyl, désinfectant pour les truies, désinfectant pour les plaies, vermifuges, vaccin contre la grippe, vaccin contre la parvovirose, vaccin contre le syndrome dysgénétique et respiratoire, vaccin contre le cercovirus, injections de fer, injections d'antibiotiques, injections de vitamines, injections de minéraux, injections d'hormones de croissance, administrations de compléments alimentaires, tout cela pour pallier leurs carences et leurs déficiences volontairement créées de la main de l'homme.

Ils ont modelé les porcs selon leur bon vouloir, ils ont usiné des bêtes débiles, à la croissance extraordinaire, aux carcasses monstrueuses, ne produisant presque plus de graisse mais du muscle. Ils ont fabriqué des êtres énormes et fragiles à la fois, et qui n'ont même pas de vie sinon les cent quatre-vingt-deux jours passés à végéter dans l'ombre de la porcherie; un coeur et des poumons dans le seul but de battre et d'oxygéner leur sang afin de produire toujours plus de viande maigre propre à la consommation." (p 343-4).

Publié dans écologie

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