Sempiternelle question de la violence

Publié le par Henri LOURDOU

Sempiternelle question de la violence

 

Bien sûr que la mise en cause du système thermo-industriel productiviste-consumériste organisé dans le cadre du capitalisme ne peut être que radicale.

En ce sens, nos intellectuels radicaux, comme Frédéric Lordon, ont raison de railler les "appels sans suite" des personnalités qui s'en remettent aux "bonnes volontés" en général.

Là où le bât blesse, et où commence mon interrogation, c'est lorsqu'ils biaisent sur la question de la violence, en laissant entendre, sans le dire vraiment, que c'est l'unique et seule solution, comme dans le passage ci-dessous (souligné en gras) :

 

"La réalité c’est que pour agir avec l’urgence qui éviterait de tous griller, il va plutôt falloir passer sur le corps de certains gars. Eux ont voué leur argent, leur pouvoir et finalement le sens de leur existence entière à ce jeu même qui détruit la planète. Et comme ils ne lâcheront pas tout seuls l’affaire de leur vie, il va bien falloir la leur faire lâcher."

Appels sans suite (1)

dimanche 14 octobre 2018, par Frédéric Lordon

Article de Frédéric Lordon, publié initialement sur son blog hébergé par le Monde Diplomatique. Sa publication a été proposée par les amis du Monde Diplomatique comme contribution à nos débats.

http://lecafepolitique.free.fr/spip.php?article382

Q108 Le libéralisme économique est-il compatible avec l'écologie ?

 

Car ces mâles proclamations font l'impasse sur tous les problèmes que pose cet usage de la violence. Et ce ne sont pas seulement (même si cet aspect est tout-à-fait légitime à mes yeux) des problèmes moraux. Mais également des problèmes d'efficacité politique.

La question d'une rupture avec l'ordre des choses existant est une question autrement complexe que la liquidation physique de "certains gars"...

A notre tour d'ironiser comme le fait Frédéric Lordon à propos d'Aurélien Barreau ?

Il nous semble bien que ce dernier en mettant en cause notre rapport général à la Nature est un peu plus radical que Frédéric Lordon (d'où peut-être l'ironie mordante de ce dernier : il a trouvé plus radical que lui et ça ne lui plaît pas !). Car au-delà (ou en -deça) du capitalisme, il y a bien la question de notre rapport fondamental au vivant, et donc aux autres espèces.

 

Mais indépendamment de cela, faire lâcher prise aux super-prédateurs du capitalisme avancé passe-t-il par la prise violente de quelque Palais d'Hiver par des intellectuels en armes comme Frédéric Lordon (je présume qu'il s'entraîne...s'il est conséquent avec ses propos) ?

 

On sait bien que notre monde semble devenir de plus en plus violent, mais, paradoxalement, c'est au moment où le spectacle de la violence semble tout envahir que sa pratique directe nous répugne le plus.

En Occident du moins, mais peut-être aussi ailleurs, la violence est de moins en moins valorisée et supportée, et c'est, à mes yeux du moins, une marque de l'existence du Progrès.

Oui, ce fameux Progrès, dont, avec la Justice, Jacques Julliard fait l'un des deux éléments permettant de définir la Gauche ("Les gauches françaises. 1762-2012 : Histoire, politique et imaginaire", Flammarion, août 2012).

 

Car l'usage de la violence est la marque de l'impuissance de la Raison, et celle-ci l'instrument essentiel du Progrès.

Cette décrédibilisation progressive de la violence va de pair avec la progression de l'idée des Droits humains et de la juridification des rapports sociaux.

On voit bien que les Droits humains, longtemps ringardisés par la vulgate marxiste, ont opéré une montée en force qui s'accélère, malgré le procès que lui intentent certains intellectuels (Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère "Le procès des droits de l'homme. Généalogie du scepticisme démocratique" (Seuil, mars 2016).

Et que donc, exigence démocratique et revendication de l'égalité et de la liberté vont de pair avec une contestation non-violente des pouvoirs établis.

Les derniers épisodes en date ont lieu en Algérie et au Soudan, où des pouvoirs dictatoriaux ont commencé à céder aux exigences de la rue sans confrontation violente généralisée qui aurait conduit, comme en Syrie, au triomphe des dictatures.

Car là est aussi le problème : dans l'usage de la violence, les pouvoirs établis ont toujours in fine l'avantage. Car le terrain militaire est leur terrain. Le type de rapports sociaux engendré par l'usage systématique de la violence suppose et entretient la domination autoritaire des "forts" sur les "faibles".

 

La conclusion doit être claire : il importe de trouver un rapport de force qui limite voire supprime la violence pour en finir vraiment avec la domination et l'exploitation.

Ce travail devrait être la priorité de nos intellectuels radicaux, si du moins leur radicalité est autre chose que de l'affichage ou de la parade de mâle dominant qui exhibe ses plumes.

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