Jean-Louis BRUNAUX Nos ancêtres les Gaulois
Déconstruction du "mythe national" :
Jean-Louis BRUNAUX
"Nos ancêtres les Gaulois"
(Seuil, coll "L'Univers Historique", 2008, 302 p.)
Dans notre "roman national", si cher aux Historiens réactionnaires, les Gaulois occupent une place de choix pour essentialiser un "peuple français" mythifié, et l'opposer à tous les étrangers à la fois hostiles et inférieurs, eux-mêmes essentialisés sur la base de quelques stéréotypes négatifs.
Or, si l'Histoire est bien souvent "la continuation de la politique par d'autres moyens", souvent pour préparer ou justifier des guerres, elle n'est pas que cela. Elle est aussi une science de l'établissement des faits du passé. Et c'est ce qui fait son prix.
Jean-Louis BRUNAUX est un de ces historiens qui procèdent modestement à l'établissement de faits, en l'occurrence à l'aide de fouilles archéologiques. Or celles-ci ont, depuis quarante ans, totalement renouvelé notre connaissance de la civilisation gauloise, qui n'a pas laissé d'écrits autres que ceux des Grecs, recopiés par les Romains, et notamment Jules César, dont les descriptions ethnologiques sur les Gaulois, base documentaire de bien des historiens français, sont entièrement pompées sur l'enquête de terrain de l'historien grec Poséidonios d'Apamée, qui date de deux siècles avant sa "Guerre des Gaules"...
L'objet du livre est donc de "Redécouvrir la Gaule" (titre de sa préface très stimulante) à travers quelques questions remettant en chantier des présupposés implicites de nos références quotidiennes.
Cela donne donc 16 chapitres, aux titres le plus souvent interrogatifs, regroupés en 5 parties : "La Gaule, le pays qui préfigure la France ?", "Les Gaulois, un peuple fruste ?", "La religion gauloise", "Les relations avec Rome", "Que reste-t-il des Gaulois ?".
Je ne vais bien sûr pas en détailler le contenu ici : je vous laisse le plaisir de la découverte. Mais j'en retiendrai quelques points qui contribuent fortement à la "déconstruction du mythe national".
Les vrais Français ?
Deux chapitres de la première partie, "La Gaule est-elle la France ?" et "La Gaule était-elle une nation ?" viennent en effet remettre en cause ce préjugé énoncé dans la préface : "on s'injurie de nos jours en des termes qu'on pourrait croire obsolètes : "Gaulois", "Barbares". Le sens attribué à ces qualificatifs est plus étrange encore. Le premier désignerait des Blancs, français depuis longtemps, et s'opposerait au second, regroupant une population plus bigarrée , définie par sa couleur de peau, sa qualité d'étranger ou de Français d'immigration récente." (p 7)
Or, concernant la première question, "la réponse ne peut être que nuancée"(p 43) : "la conscience de l'existence d'un pays dont nous traduisons le nom par "Gaule" se trouvait chez ses propres habitants mais aussi, d'un accord commun, chez ses voisins latins et grecs.Cependant, ce pays n'avait pas tout-à-fait les frontières qu'on lui connaît aujourd'hui et, surtout, la conception que s'en faisiaent ses habitants n'était pas celle que nous lui reconnaissons. Il n'était ni le territoire d'une patrie dans son sens ethnique ni celui d'une nation qui l'aurait fait sien. Il était plutôt une terre de conquête que se seraient partagées plusieurs vagues d'immigration celtes et qui, au fil du temps, devenait un territoire commun." (ibidem)
De fait, à l'époque de la conquête romaine, le monde gaulois est partagé, dans les frontières actuelles de la France, en quatre ensembles : la Narbonnaise, le long de la Méditerranée, est déjà intégrée au monde romain, et le monde gaulois indépendant se partage en trois ensembles bien distincts : la Belgique, peuplée d'immigrés récents (entre Rhin et Seine), la Celtique (entre Seine et Garonne) et l'Aquitaine (au sud de la Garonne).
Quant à la seconde, la nuance aussi s'impose : "Comme cette Gaule ne bénéficiait pas d'une administration civile et militaire commune, il serait abusif de parler de nation gauloise, au sens où l'on entend aujourd'hui la nation française ou la nation allemande." (p 74) Et même si, au moment de la conquête romaine, les peuples gaulois s'acheminaient vers une forme d'unification de ce type, Rome "a joué la carte d'un retour en arrière en renforçant l'autonomie des anciens peuples-États devenus civitates dont les liens de dépendance avec Rome avaient volontairement été diversifiés." De plus, "les invasions barbares qui suivirent ne firent qu'amplifier les différences ethniques plus ou moins réelles et un régionalisme persistant."(ibidem)
Des guerriers farouches et querelleurs ?
Là encore, constat nuancé. S'il est vrai qu'au départ les peuples gaulois étaient bien des peuples de guerriers, dès les siècles précédant la conquête par César, la plupart d'entre eux se sont "assagis" au contact des civilisations grecque et latine : leur tradition même de "mercenariat" au service des royaumes hellénistiques et de Rome cède la place à la pratique du commerce. "Seuls les peuples belges, arrivés plus tard en Gaule et possédant encore des traditions archaïques, tentent de s'opposer à ce mouvement." (p 94)
L'héritage des Gaulois ?
E t c'est à ce point, me semble-t-il, qu'il faut raccrocher un constat qui vient bien plus loin dans ce livre : celui de l'ouverture des Gaulois aux autres cultures, et de leur capacité d'absorption-adaptation à l'altérité. Et ce constat vient fortement réévaluer notre vision exagérément et naïvement positive de la culture gréco-romaine.
Car , "A l'inverse des Grecs et des Romains qui ont toujours, par des voies différentes et avec des résultats variables, cherché à préserver leur culture, les Celtes et les Gaulois font preuve d'une aptitude rare à s'ouvrir à celle des autres, à s'y assimiler, sans pour autant perdre leur âme ni abandonner leurs différences. Ce n'est pas une faiblesse de leur part mais une qualité rare que les historiens ont très vite oubliée, alors que les auteurs grecs et latins s'en étonnaient avec une admiration non dissimulée." (p 269)
Ainsi, au-delà d'une "nouvelle histoire de la Gaule" qui "demeure entièrement à faire" (p 286) sur la base de toutes les découvertes archéologiques et d'une remise en perspective critique des sources écrites, nous pourrions d'ores et déjà réinvestir cette image positive d'un peuple ouvert aux autres, et récuser l'opposition manichéenne présentée en introduction de Gaulois Blancs opposés aux envahisseurs barbares et plus moins basanés.