Marc LAZAR L'Italie à la dérive

Publié le par Henri LOURDOU

Marc LAZAR

L'Italie à la dérive

(Perrin, mars 2006, 160 p)

Note de lecture actualisée à partir des résultats des élections depuis 2006 en Italie.

(Articles wikipedia en Français "Elections générales italiennes de 2006, 2008, 2013 et 2018" + article Encyclopédie Larousse en ligne "Vie politique en Italie depuis 1945")

 

 

Bien qu'un peu daté (il s'est passé beaucoup de choses en 13 ans en Italie : on y reviendra), ce livre sérieux et documenté d'un politiste français "spécialiste de la gauche européenne et de l'Italie" (4e de couv') est une très bonne introduction au problème de la crise démocratique et de la montée des populismes.

En 4 chapitres bien structurés et appuyés sur une documentation abondante et rigoureuse, il présente en effet la première étape de la descente aux enfers de la démocratie italienne entre 1994 et 2005.

Partant d'un exposé de l'avènement politique de Silvio Berlusconi dans la décennie évoquée et de ses caractéristiques , il remonte à une analyse de l'évolution générale de la démocratie en Italie, puis à une analyse de l'évolution de la société, pour finir par un premier bilan du quinquennat berslusconien de 2001-2006. A travers cet exemple, il suggère une analyse plus générale de l'évolution de nos démocraties occidentales à travers le concept de "démocratie du public" et le contexte de mondialisation accélérée.

 

1-La révolution Silvio Berlusconi (p 18-44)

 

Berlusconi n'est pas tombé du ciel. S'il dévoile le 23 novembre 1993 son intention de se lancer en politique, c'est après avoir constitué un vaste empire industriel "dont les deux principaux piliers sont le groupe de presse et d'édition Mondadori, et surtout Mediaset, qui possède trois chaînes de télévision nationales. Créateur des télévisions commerciales rentables, il a contribué à briser le monopole de la Mamma RAI et révolutionné la programmation en bénéficiant, entre autres, du soutien actif de Bettino Craxi" (p 19-20) Celui-ci est le leader du petit parti socialiste qui dans les années 80 devint l'allié privilégié de la puissante Démocratie Chrétienne (DC) majoritaire et au gouvernement depuis la Libération, face au puissant PCI minoritaire et dans l'opposition depuis 1947 : il est depuis 1992, avec les leaders de la DC, l'objet des enquêtes des juges de l'opération "Mani pulite" ("Mains propres") qui aboutit à la disparition du PS et à l'explosion de la DC. Cette dernière est également favorisée par la mutation du PCI en Parti Démocratique de Gauche, à vocation plus gouvernementale. Cette déstabilisation des partis établis ouvre l'ère d'une profonde crise politique qui n'est pas, à ce jour, achevée.

Or Silvio Berlusconi, dont le groupe est menacé par ces enquêtes sur les abus ou les détournements d'argent public, choisit, avec succès, de retourner l'arme de la politique contre les juges en s'appuyant su rle suffrage universel...et la légitimité qu'il est censé fournir.

En l'espace de 6 mois, il construit de toutes pièces un parti politique "Forza Italia" ("Allez l'Italie") et conquiert une audience électorale inédite, en s'appuyant sur " de minutieuses études d'opinion utilisant toutes les techniques possibles"(p 21).

La nouvelle loi électorale votée à l'été 1993, qui renonce à la proportionnelle pour favoriser la constitution de majorités (75% d'élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour et seulement 25% à la proportionnelle), est mise à profit pour constituer une coalition avec la Ligue du Nord (régionaliste) et l'Alliance Nationale (néofasciste recentrée), ainsi que quelques groupes issus d'une DC décomposée, sous le nom de "Pôle des Libertés et du Bon Gouvernement" (p 23). Cet attelage improbable obtient 46% des voix au scrutin uninominal et 43% à la proportionnelle. Et Berlusconi devient Président du Conseil...pour 7 mois seulement, en raison de la défection de la Ligue. En 1996, cette défection l'empêche de reconquérir la majorité face à la coalition de centre-gauche menée par Romano Prodi ("L'Olivier").

Pour la première fois depuis 1947, le PCI rebaptisé Parti Démocratique de Gauche, parvient au gouvernement, mais c'est dans le cadre d'une coalition incluant d'ex-Démocrates Chrétiens. Les tensions internes de la coalition amènent au remplacement successif de Prodi (centriste) par d'Alema (ex-communiste) puis Amato (ex-communiste aussi).

Cependant, cette expérience ne décourage pas Berlusconi qui reconstitue son "Pôle des Libertés" rebaptisé "Maison"en ralliant à nouveau la Ligue du Nord et en centrant sur sa personne la campagne politique de 2001. Cette hyper-personnalisation confrontée aux changements perpétuels de leadership du Centre-Gauche lui donne l'avantage électoral.

Sa mise en scène ostentatoire d'un "Contrat avec les Italiens" en 5 points signé en direct à la télévision marque les esprits : les cinq points ne sont bien sûr pas choisis au hasard. "Baisse de la pression fiscale, diminution de l'insécurité, hausse des retraites minimales, réduction du taux de chômage avec création d'au moins 1,5 millions d'emplois, ouverture des chantiers de grands travaux" (p 27) Comment ne pas toucher l'électeur avec de telles promesses ? A cela, il adjoint un livre publié à 15 millions (!) d'exemplaires qui raconte sa vie avec force photos sous le titre "una storia italiana". Résultat : la "Maison des Libertés" rassemble 45,4% des voix au scrutin uninominal et 49,6% à la proportionnelle, devançant "l'Olivier" de respectivement 1,7% et 9%.

Ainsi, Berlusconi a réussi son pari, et cette fois-ci son gouvernement va s'installer dans la durée : il va se perpétuer, malgré des élections intermédiaires (communales en 2002, provinciales en 2003, européennes en 2004) défavorables, jusqu'au terme du mandat des 2 Assemblées législatives en 2006.

Comment donc expliquer ce phénomène ?

Le premier élément d'explication est bien sûr la crise des partis dominants : "Des partis nouvellement apparus comme la Ligue Nord, divers mouvements qui recouraient à l'arme du référendum abrogatif pour essayer de démanteler des pans entiers du système politique, les médias, des magistrats, nombre d'associations et des intellectuels dénonçaient la partitocratie. Selon eux, ce pouvoir démesuré des partis politiques favorisait la corruption, le clientélisme,

l'absence de réelles décisions, la grisaille de la classe dirigeante ou encore sa déconnexion par rapport au réel." (p31)

L'enquête des juges de Milan sur la corruption (rebaptisée par la presse opération "Mains propres" entraîne le discrédit des partis de gouvernement, mais aussi du PCI-PDS, et l'émergence de nouveaux partis :

"Les élections d'avril 1992 sont marquées par l'augmentation de l'abstention et le mépris de la population pour une politique enfermée dans les mêmes schémas depuis l'après-guerre, incapable de se renouveler malgré les changements des dernières années. La DC voit ses intentions de vote chuter de 34,3 % à 29,6 %. Elle tombe ainsi pour la première fois de son histoire sous la barre des 30 %. Le PSI de Bettino Craxi perd 0,6 point (passant à 13,6 %), subissant sa première chute depuis 1979. Le Parti démocrate de la gauche (PDS) et le Parti de la refondation communiste (PRC), héritiers du défunt Parti communiste italien (PCI), perdent chacun un quart de leurs voix. Le vrai vainqueur des élections de 1992 est la Ligue du Nord, qui parvient à constituer son premier groupe parlementaire à la Chambre. Cette formation politique d'Italie du Nord faisait de la moralisation et du renouveau politique son cheval de bataille.

(...)

Aux élections administratives (municipales) du 6 juin 1993 le Pentapartisme (Alliance de gouvernement au pouvoir depuis 1980 de la DC, du PSI, du PSDI, du PLI et du PRI) subit un recul pesant : la DC perdit de nouveau la moitié de ses suffrages et le PSI disparut presque complètement. La Lega Nord devint la principale force politique dans l'Italie du Nord, elle conquit notamment la mairie de Milan,

"https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Mains_propres

 

Dans ce contexte, où l'aspiration à un renforcement de l'exécutif est propulsée par l'assassinat de juges par la Mafia, la situation économique et financière du pays périlleuse et l'adoption du traité de Masstricht imposant des règles de rigueur dans le nouveau cadre de l'Union Européenne, Berlusconi apparaît comme un homme neuf, décidé et efficace. Il va exploiter le filon de la bipolarisation en diabolisant une Gauche assimilée au communisme et destinée à rester minoritaire, au nom d'un "apolitisme" qui se situe dans le droit fil de la rhétorique historique de la Droite.

Cette réhabilitation des valeurs "traditionnelles" relève d'une politique identitaire dont son grand allié de la Ligue du Nord est l'incarnation.

De plus, il remplace la structure "parti", fondée sur l'adhésion et l'engagement personnel dans la durée, par un "club de supporters" national centré sur sa personne, et qui fédère derrière lui deux partis réels à implantation régionale : la Ligue pour le Nord, et l'Alliance Nationale pour le Sud. "Forza Italia a cependant évolué, notamment entre 1996 et 2001, date où il est devenu le premier parti italien avec 29,5% de suffrages, plus de 250 000 membres revendiqués et des milliers d'élus."(p 35)

Enfin, il s'appuie à fond sur la "communication" et le rapport individuel à la politique qu'elle instaure, au détriment des solidarités locales ou collectives. C'est à dire un rapport spectaculaire et consumériste qui valorise le "one man show" dans lequel Berlusconi excelle : ce sont ses excès-mêmes (mégalomanie, violence verbale) qui font son succès et le placent au centre du "débat".

Ses effets, pour limités qu'ils soient (tous les téléspectateurs ne sont pas dupes), n'en sont pas moins réels. (p 37-44)

 

2- Une malédiction démocratique ? (p 45-70)

 

Le danger que représente Berlusconi pour la démocratie ne saurait conduire à idéaliser la période qui le précède. L'Italie (tout comme la France) est une démocratie fragile et inaboutie (si tant est qu'une démocratie puisse être solide et aboutie, mais c'est un autre débat).

En ce qui la concerne, la démocratie italienne a dû s'installer dans le cadre d'une unité nationale tardive, avec la forte différenciation, souvent soulignée, entre le Nord, industriel, urbain, alphabétisé et libéral et le Sud, agraire, analphabète et autoritaire. L'épisode fasciste de 1922-1945 a été suivi d'une brève période d'union nationale autour d'une démocratisation radicale à volonté sociale, assez semblalbe au fond à la Libération française. Mais, contrairement à la France, l'exclusion du pouvoir du PC à partir de la "Guerre froide", y a donné les clés du pouvoir à un seul parti dominant, avec selon les époques des alliés de droite ou de gauche, la Démocratie Chrétienne, qui incarne également la forte prégnance de la religion catholique dans la société. Parallèlement, et quasi symétriquement, le PCI organise une opposition elle aussi quasi monolithique.

Cette double hégémonie donne naissance à ce que certains ont baptisé la "partitocratie". Un système basé sur la répartition des postes, la "lottizzazione", en fonction du poids des partis et des différents courants internes de chaque parti, étendu dans les années 70-80 aux partis d'opposition, et donc au PCI. Ceci au moment où une fraction de la jeunesse se lance dans la lutte armée "au nom d'une idéologie radicale de la révolution"(p 51) abandonnée à l'évidence par ce dernier. Celui ci cherche alors les voies d'un réformisme efficace sous le nom de "compromis historique", dans l'optique, qui sera éphèmère, de ce qu'on baptise en 1976 "l'eurocommunisme".

Mais ce qui est alors massivement perçu, c'est plutôt l'immobilisme d'un système qui favorise la corruption et le crime organisé. Ceci alors que son caractère social et redistributif est moins perçu, ou alors considéré comme un acquis intouchable...alors qu'il a été mis en place et géré par ces mêmes partis que l'on remet en cause radicalement.

Le "big bang" des partis et leur reconfiguration ouvre une période hautement volatil.

Les élections ultérieures à 2001 en témoignent amplement.

Ainsi, celles de 2006, dans une ambiance hautement conflictuelle, donnent la victoire d'une courte tête à une coalition de centre-gauche dirigée par Romano Prodi, ancien Commissaire européen. Avec 49,81% des voix contre 49,74% à la coalition de centre-droit de Berlusconi, elle fédère un ensemble de partis hétéroclites, davantage rassemblés par leur anti-berlusconisme que par un programme commun.

"L'Unione est la coalition de centre gauche alliée pour soutenir Romano Prodi comme candidat à la présidence du Conseil. Hétéroclite, certains disaient même qu'elle se disloquerait après la campagne, ce qui ne s'est pas réalisé. On y trouve :

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_g%C3%A9n%C3%A9rales_italiennes_de_2006

A noter que ces élections concomitantes pour les deux Chambres (députés et Sénat qui disposent d'un pouvoir égal dans la Constitution) se déroulent désormais à la proportionnelle intégrale avec prime majoritaire pour la liste arrivée en tête, afin de favoriser les plus larges coalitions.

Ce système électoral acte à la fois le profond éclatement du champ politique, et la nécessité de disposer d'une majorité claire pour gouverner efficacement. Mais il suppose un travail de compromis programmatique au sein des coalitions qui ne peut répondre à toutes les questions qui se posent à un gouvernement et demandent des réponse parfois instantanées.... donc une convergence de vue et une confiance avancée entre partenaires.

Et c'est bien faute de cela que la coalition de centre-gauche éclate dès 2008 : "N'ayant pas obtenu la solidarité du gouvernement à son égard, le ministre de la Justice, mis en cause dans une affaire de corruption, démissionne en janvier 2008, entraînant avec lui la défection de son parti, l'Union des démocrates pour l'Europe (Udeur), allié chrétien-démocrate de la coalition au pouvoir, décisif au Sénat pour la majorité de centre gauche. Afin de clarifier la situation politique du pays et de mettre ses alliés devant leurs responsabilités, le président du Conseil décide de se présenter devant le Parlement. S'il obtient la confiance des députés par 326 voix contre 275 (et l'abstention de l'Udeur), il est mis en minorité au Sénat sur la déclaration de politique étrangère par 161 voix contre et 156 en sa faveur, entraînant finalement la dissolution des chambres et l'organisation d'élections législatives anticipées". https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Italie%C2%A0_vie_politique_depuis_1945/187073


 

Les élections de 2008 voient un changement profond de stratégie du Centre-gauche : Romano Prodi se retirant de la vie politique est remplacé par Walter Veltroni, le maire de Rome et nouveau dirigeant du Parti Démocrate, issu de la fusion des Démocrates de Gauche et de La Marguerite. Celui-ci est à la tête d'une alliance plus resserrée, mais qui se veut aussi plus cohérente. Or cette stratégie échoue électoralement. La scène politique est alors partagée en 4 ensembles et de nombreux sous-ensembles dont la somme reproduit le clivage de 2006 : si le Centre-droit de Berlusconi obtient 46,81% des voix (soit près de 3% de moins qu'en 2006), la coalition de Centre-gauche de Veltroni n'obtient que 37,54%, alors que ses anciens alliés du Centre obtiennent 5,62% et de l'Extrême-gauche alliée aux Verts seulement 3,08% : leur total de 46,26% est en recul de 3,5% par rapport à 2006.

Cette nouvelle logique de dispersion des forces politiques crée du scepticisme et du désespoir au point de favoriser l'émergence d'un nouveau parti qui va percer en 2013 : le Mouvement 5 étoiles créé par le comique Beppe Grillo.

En attendant, c'est Berlusconi qui retire les marrons du feu en entamant un nouveau mandat, grâce à la prime majoritaire accordée à la coalition arrivée en tête.

Les élections de 2013 voient une confirmation et une amplification de cette dispersion électorale. Après l'intermède d'un gouvernement de "technocrates" dirigé par Mario Monti pour faire face à la grave crise financière de 2011, ce dernier échoue à faire émerger une offre politique centriste-europhile, et les résultats donnent un espace politique fracturé en 4 :

Le Centre-gauche (Démocrates) emporte la mise avec seulement 29,55% des voix, en regroupant les écologistes et ex-communistes et certains centristes; le Centre-Droit arrive en 2e position avec 29,18%: le M 5 étoiles crée la surprise à 25,56% et la coalition centriste de Mario Monti manque son pari avec seulement 11,01%.

Dès lors, l'émergence de la personnalité "alter-berlusconienne" de Matteo Renzi au Centre-gauche fait d'abord illusion, mais achève de discréditer la gauche par son opportunisme recentré, assez semblable à celui pratiqué en France par Manuel Valls. C'est ainsi que les élections de 2018 sont une véritable Bérézina pour elle : la coalition Centre-droit (déportée à Droite avec la personnalité de son nouveau leader issu de la Ligue, Matteo Salvini) l'emporte avec 37% des voix, devant le M 5 étoiles à 32,7%, le Centre-gauche reculant à 22,9 et l'Extrême-gauche se maintenant à 3,4%; la différence notable avec les 3 élections précédentes est l'abandon de la prime majoritaire et la réintroduction d'un scrutin mixte (majoritaire uninominal à un tour pour un peu plus d'1/3 des sièges et proportionnel pour le reste). En sorte que le premier parti aux deux Chambres est le M 5 étoiles, avec 222 députés sur 630 et 115 sénateur sur 315, devant la Ligue 125 et 58, le Parti Démocrate 111 et 53, Forza Italia, 104 et 57. De fait la coaltion majoritaire va se constituer de la Ligue et du M 5 Etoiles, soit les deux partis qui n'avaient pas jusqu'ici occupé les premiers rôles.

A noter que si la participation électorale est encore en recul, elle se situe toutefois à plus de 72%, ce qui est bien mieux que dans le cas français.


 

A quoi correspond ce profond renouvellement de la donne électorale ?


 

3- Une société mutante


 

Les tendances analysées en 2006 sont-elles toujours à l'oeuvre, et dans quelle mesure expliquent -elles cette fantastique évolution ?

Marc LAZAR pointe un premier élément d'ordre démographique : "En l'espace de cinquante ans, la Péninsule jeune et prolifique est devenue vieillissante et presque stérile. L'Italie détient, avec l'Espagne, le record des taux de natalité les plus bas du monde."(p 72) Les causes en sont multiples : émancipation féminine couplée à l'absence de politique familiale et de prise en charge de la petite enfance (assimilées au fascisme) en sont les principales. Toujours est-il que les deux principales conséquences en sont un vieillissement de la société, synonyme de fermeture et de repli, et un essor rapide de l'immigration : "Depuis deux décennies, la provenance géographique des étrangers s'est diversifiée tandis que leur présence s'est nettement renforcée, notamment dans le Nord-Est, région en proie à une récente pénurie de main d'oeuvre." (p 73)

Le résultat est l'apparition de tendances xénophobes, utilisées en particulier par la Ligue comme argument électoral. Cependant, note M LAZAR en 2006, de fortes contre-tendances, appuyées sur les associations de la mouvance catholique, font de l'Italie, encore en 2005, un pays où le refus de l'immigration reste minoritaire : "Dans un sondage européen réalisé en avril 2005, les Italiens disent à 58% refuser la phrase "je pense qu'il ne faut pas accueillir de nouveaux immigrés", devant par exemple les Français (54%) ou les Hollandais (45%)."(p 75)

Qu'en est-il treize ans plus tard ? On sait qu'un fait divers atroce concernant un meurtre avec mutilation d'une jeune femme commis par un demandeur d'asile nigérian toxicomane a fortement pesé sur la campagne électorale de 2018. Par ailleurs la crise de l'accueil de 2014-2017 a fortement impacté l'Italie, en raison du refus des autres pays européens, dont notamment la France de Manuel Valls, d'accueillir une part des migrants arrivés en Italie au nombre de 630 000. En l'espace de 15 ans le nombre d'étrangers en Italie est passé d'1,4 M à 5M, dont une majorité de Roumains. https://fr.wikipedia.org/wiki/Immigration_en_Italie

Le résultat au niveau de l'opinion est progressif et net : déjà en 2011 "plus de 65 % d'Espagnols, d'Italiens et de Britanniques totalement ou partiellement d'avis qu'« il y a trop d'immigrants dans [leur] pays ». "https://www.euractiv.fr/section/avenir-de-l-ue/news/sondage-les-europeens-sont-contre-l-immigration/ publié le 23-8-11

Depuis 2015, les sondages sur l'acceptation de l'immigration se font rares, signe des craintes des décideurs sur la publication des résultats. Cependant, l'Eurobaromètre semestriel de la Commission européenne montre qu'en mars 2018, le premier problème à traiter au niveau national pour les Italiens était le chômage (à 48%), loin devant l'immigration (à 35%).

http://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/index.cfm/Survey/getSurveyDetail/instruments/STANDARD/surveyKy/2180

Car l'évolution sociale ne se limite pas à la démographie.

L'économie italienne a elle aussi fortement évolué. Déjà dans le sannées 80 émerge la "troisième Italie " des PME qui caractérisent l'Italie du Centre et du Nord-Est, puis un nouveau pôle de croissance informelle centré sur les Pouilles et la Campanie au Sud (p 77-79). Ces phénomène s'accompagnent d'une montée générale du niveau de vie et une homogénéisation du mode de vie centré sur la consommation individuelle. Cet "hédonisme" et cet "individualisme" se heurtent à un machisme et une idéologie sacrificielle toujours ancrés dans la culture catholique traditionnelle. Ainsi les valeurs "familiales " restent prégnantes : "seulement 9,4% des naissances (il est vrai en chute libre) se produisent hors mariage en Italie, contre 64% en Islande, 55% en Suède, près de 50% en France".(p 82) Cependant, le poids de la religion catholique se fait moins pesant : si 90% des Italiens se disent toujours catholiques, seulement 27% vont régulièrement à la messe en 2005.

Mais face à cet effacement des repères traditionnels, qui s'ajoute à l'effondrement des grands partis, se lève une préoccupation identitaire qui investit le passé. La question est celle de la refondation d'une identité collective face à un monde d'incertitudes. A cela, deux réponses opposées sont possibles : celle, consumériste, proposée par Berlusconi, et à présent par Salvini, se fonde sur la double obsession de l'ordre et de l'entre-soi, l'autre, qui n'a pas encore d'expression politique claire, se fonde sur la recherche de la participation démocratique à travers des pratiques de solidarité et de partage. M LAZAR note à cet égard la force particulière en Italie de la vie associative locale et des pratiques de proximité, issue de la tradition de gauche, mais déçue par la politique institutionnelle.

Une particularité que nous retrouvons à bien des égards en France. Saurons-nous lui donner le prolongement politique adéquat ?

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