Encore la Révolution française : contre le mythe jacobin

Publié le par Henri LOURDOU

Encore la Révolution française : contre le mythe jacobin

Bernard NABONNE "Les amants de Fructidor",

Hachette, 1952, 320p, coll "Les beaux romans historiques"

Hugues MARQUIS "Agents de l'ennemi.

Les espions à la solde de l'Angleterre dans une France en révolution",

Vendémiaire, 2014, 352p.

Jean-Clément MARTIN "La Terreur.

Vérités et légendes",

Perrin, 2017, 238p.

Annie JOURDAN "La Révolution, une exception française ?"

Flammarion, 2004, 462p.

 

 

Cet ensemble de lectures provient d'un hasard : la trouvaille, dans une boîte à livres de jardin public, comme il s'en multiplie aujourd'hui, d'un exemplaire non découpé, donc non lu, de ce roman à l'eau de rose d'un auteur pour moi inconnu, qui s'avère (merci encore une fois wikipédia) avoir obtenu le prix Renaudot 1923, et dont cet ouvrage est le dernier, paru à titre posthume (il est mort en 1951).

Disons que sa lecture est agréable et ne fatigue pas trop la tête. Les deux héros, la cantatrice Antoinette Saint-Huberty et son second époux le comte Emmanuel d'Antraigues, sont des personnages historiques, ici idéalisés pour des raisons romanesques. Ils traversent toute la Révolution, avec les ellipses narratives nécessaires au rythme du récit, toujours prenant, pour finir par connaître un destin tragique en 1812 à Londres, assassinés tous deux par un domestique italien dont l'auteur reconstitue habilement les motivations, à cheval entre l'intrigue politique et l'amour déçu.

Le fond de l'histoire étant éminemment politique, il fallait cependant faire la part du romanesque et du réel dans ces personnages.

 

Le livre d'Hugues MARQUIS ramène le personnage de d'Antraigues à sa juste mesure. Il est en effet présenté dans le roman comme le principal agent du parti royaliste, habilement discrédité par Bonaparte auprès de Monsieur (le futur Louis XVIII), puis passé pour des raisons d'efficacité au service du tsar puis du roi d'Angleterre.

En réalité, il n'est qu'un des nombreux agents de la Contre-révolution, et pas forcément le plus réputé.

Ainsi, il envoie ses bulletins de renseignements aux britannique dès l'été 1793, à partir des renseignements fournis par ses trois correspondants parisiens, deux anciens militaires comme lui et un avocat (p 66), mais ces bulletins (131 du 25 août 1793 au 24 février 1796), entièrement composés de sa main, avaient un contenu en grande partie issu de son imagination et guidé par ses objectifs politiques : obtenir une aide inconditionnelle des Anglais pour rétablir la monarchie absolue (p 67) Cette particularité finit par semer le doute chez son correspondant , le ministre anglais à Gênes, Francis Drake. "Il se détourna nettement de d'Antraigues à la fin de l'année 1794, et s'orienta vers d'autres directions." (p 69)

Quand, morceau de bravoure du roman, d'Antraigues est capturé par les troupes de Bonaparte à Trieste en mai 1797, il fait des révélations à Bonaparte, d'autant qu'une partie de ses papiers est saisie et sert à Barras , La Revellière-Lépeaux et Reubell, trois des cinq Directeurs, à réaliser et justifier leur coup d'Etat préventif du 4 septembre (fructidor, d'où le titre du roman) contre les royalistes. C'est cette première trahison de d'Antraigues, transformée en concours malheureux de circonstances dans le roman, qui le rend suspect au parti royaliste et le pousse à vendre ses services au tsar, après être passé par l'Autriche. Son passage ultérieur en Angleterre résulte du traité passé entre le tsar et Napoléon à Tilsitt, ce qui lui permet de vendre aux britanniques les clauses secrètes de ce traité.

Une seule continuité dans son itinéraire : l'hostilité sans faille à la Révolution et à tout ce qui en résulte.

C'était donc aussi l'occasion d'interroger à nouveau la "légende noire" de cette Révolution, incarnée par l'épisode de la Terreur.

Jean-Clément MARTIN représente une nouvelle génération d'historiens de la Révolution apparue après le bi-centenaire qui vit la revanche de l'historiographie libérale, incarnée par François Furet contre l'historiographie marxiste jusque-là dominante, incarnée par Albert Soboul, et l'historiographie contre-révolutionnaire, qui connut son heure de gloire à l'apogée de l'Action française, dans les années 1920, avec Pierre Gaxotte.

Cette nouvelle génération entend dés-idéologiser l'Histoire de la Révolution non seulement en revenant modestement aux faits, mais encore en explorant l'histoire et les modalités de leurs constructions idéologiques .

Et c'est ce que fait ce petit ouvrage de synthèse sur la Terreur.

Il est très instructif. D'abord sur la construction de l'objet "Terreur". Celui-ci est en effet un artefact politique des Thermidoriens pour justifier leur coup d'Etat. Le problème étant que la créature, comme souvent, a échappé au créateur : son utilisation par la Contre-révolution en a fait un (faux) enjeu de mémoire multipliant les omissions, les surenchères et les procès d'intention de part et d'autre.

Jean-Clément MARTIN replace la question de la violence dans son contexte historique. Une violence endémique et souvent non contrôlée par les autorités. Il remet les discours à leur place : souvent des proclamations sans effet visant à simuler une maîtrise de la situation qui échappe totalement à leurs auteurs.

Il en résulte, sans minimiser pour autant la réalité de décisions contestables, que la responsabilité de Robespierre et Saint-Just, souvent désignés comme les monstres sanguinaires qui ont tout déclenché, n'est pas aussi totale que ce que veut la légende dans la multiplication des exécutions sommaires de cette période.

Inversement, d'autres responsabilités doivent être convoquées. Le tout dans un contexte politique très mouvant et confus qui caractérise la situation durant toute la période 1789-1799.

Et c'est bien ce que rappelle Annie JOURDAN, autre figure de cette nouvelle Histoire non-idéologique.

Pour arriver à la conclusion d'une nécessaire comparaison entre tous les processus révolutionnaires, et à la sortie du "mythe national" si bien analysé et dénoncé par Suzanne CITRON.

L'exceptionnalité française célébrée par tous les nostalgiques du jacobinisme est en effet une imposture qu'il faut dénoncer sans relâche. Elle alimente le nationalisme et le racisme, quoi qu'elle prétende, en présentant un soi-disant modèle éternel de la "bonne démocratie" : centralisée, autoritaire et bouffie de bonne conscience progressiste et ethnocentrique.

Publié dans Histoire

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